Le tonnerre grondait par-dessus le rugissement des puissants moteurs. La puanteur du diesel et de la terre brûlée saturait l’atmosphère. La pause du foreur était sur le point de s’achever. Il savoura une dernière bouffée sur son Stim. Il aurait pu jurer qu’il venait juste d’allumer cette saloperie. Alors même qu’il l’écrasait sur l’éboulis de gravats noirs, son corps avait déjà commencé à lui en réclamer un autre. Il l’ignora et rejoignit le reste de son équipe dans la longue descente vers le site. Il longea une flotte de Transport-cuves. Les immenses véhicules de forme sphérique flottaient sur un lit d’Anti-Gravs, tandis que leurs tubes ramassaient la lave concassée pour la traiter. Encore plus loin, il y avait les Racleuses. Leurs lames hurlaient comme des harpies en sciant la roche.

En atteignant sa propre Racleuse, il frappa sur la vitre. Après un certain temps, le conducteur arrêta l’engin et en descendit. Le foreur ne connaissait pas ce type, un nouveau. Et il ne s’embêterait pas à essayer de le connaître, vu le rythme auquel la Compagnie épuisait ses employés. Le foreur s’installa et se mit au travail.

Dans l’heure qui suivit, le foreur découpa encore dix mètres de lave. Il entendait à peine sa musique par-dessus le sifflement des lames et le halètement du moteur. Le futur lui réservait clairement une nouvelle visite chez l’ORL. Il fallait qu’il en finisse avec sa certification et sorte des mines avant de perdre son audition pour de bon.

Soudain, le mur devant lui s’écroula. L’ordinateur lança un avertissement et le foreur arrêta très vite les lames. Il avait dû rencontrer une poche de ce qui passait pour de l’air sur cette planète, ou un autre gaz. Il attendit en espérant que la voûte du tunnel tiendrait bon. La pluie de gravats finit par s’interrompre. Il s’empara de son capteur d’air et s’extirpa de l’engin. Le protocole de l’entreprise stipulait de façon très stricte que toute poche devait subir un test de détection de gaz inflammable, avant que la machine ne puisse reprendre le travail.

Le foreur se fraya un chemin entre les lames de la Racleuse, toujours fumantes dans l’air froid, et lança un balayage devant la machine. Tout semblait satisfaisant. Pas de danger, en tout cas. Il s’avança, essayant de voir ce qui avait provoqué l’effondrement.

C’est alors qu’il l’aperçut. Le capteur tinta en heurtant le sol.

*****

Le monde-décharge de l’Araignée dans le Système Cathcart était en principe une zone neutre pour les pirates, fugitifs et autres voyageurs à la réputation douteuse. Il était tout sauf sûr à l’instant où Tonya Oriel, scientifique marginale et exploratrice, sprintait à travers les couloirs étroits et déformés. Ça devenait une habitude.

Le paiement pour le Khérium trouvé sur Hadès s’était avéré encore plus élevé qu’elle ne l’avait espéré. La plus grande partie avait disparu entre les mâchoires des créanciers et usuriers qui frappaient à sa porte. Une autre partie du magot lui avait permis d’opter pour un meilleur vaisseau, mais le reste lui permettait de s’offrir un petit plaisir: un Codex Tevarin, le texte original de leur religion guerrière. Il n’en restait plus que quelques dizaines après la Purge de la Deuxième Guerre Tevarin. Plusieurs musées et collectionneurs s’étaient arrachés tous les volumes connus, mais d’une façon ou d’une autre cet informateur en avait déniché un. Ce n’était qu’après que Tonya fut venue payer, qu’il s’était rendu compte de sa valeur et avait triplé son prix.

Du coup, Tonya s’en était emparé et avait pris ses jambes à son cou. Un tir de laser fusa près d’elle et noircit le mur. Tonya jeta un coup d’oeil en arrière. C’était Nagia, le pillard, galopant derrière elle avec sa jambe boiteuse, un flingue, et une expression funeste sur le visage.

“Tu n’as nulle part où aller, gamine!” hurla-t-il en décochant un autre tir.

“On avait un accord, Nagia!” lui cria-t-elle en retour, sans ralentir.

“Les accords, ça change!” Nagia tira de nouveau pour ponctuer sa phrase.

“Ça ne veut rien dire!” Tonya passa en trombe devant un équipage venant d’arriver, et coupa en direction des hangars. Ils cédèrent vite le passage au fou furieux armé d’un flingue.

Nagia appela frénétiquement son équipage sur son comm. Fort heureusement, ils étaient bien trop imbibés pour s’en rendre compte. Nagia haletait tandis que ses pieds résonnaient avec fracas sur le sol métallique. Sa tête commençait à tourner. Cela faisait longtemps qu’il n’avait plus couru ainsi.

Il obliqua en direction du hangar au moment où des moteurs s’allumaient dans un déluge de feu, le renvoyant voler à travers la porte.

Tonya avait démarré le Fanal II à distance, un des nouveaux petits tours de son vaisseau. Elle se rua sur la rampe d’embarquement. Alors qu’elle se glissait dans le siège du pilote, Nagia se jeta à nouveau dans le hangar et fit feu vers le cockpit. Les boucliers brillèrent à peine en absorbant ses tirs. Cela revenait à jeter des cailloux sur un cuirassé.

Nagia se précipita pour alerter les gardes du pont d’envol, ceux qui maniaient les tourelles. Tonya ne s’attarda pas pour voir s’il parvenait à capter leur attention. Nagia regarda les feux de ses moteurs disparaître au loin. Il la retrouverait; d’une façon ou d’une autre…

Après quelques instants, il renonça et retourna vers le bar.

Laissant l’Araignée loin derrière elle, Tonya programma son cap. Elle savait qu’un vrai repas, un verre de vin ainsi que son nouveau Codex étaient tout ce dont elle avait besoin pour oublier le désagrément de sa transaction avec Nagia.

Un message s’afficha sur son écran.

Elle conclut qu’il devait s’agir d’un boulot. Les détails était rédigés dans un jargon juridique nébuleux, mais il y avait une rémunération rien que pour écouter la proposition. A trois jours de là si elle se mettait en route immédiatement.

Le vrai repas allait devoir attendre, apparemment.

*****

Le Fanal II s’enfonça dans l’atmosphère au milieu d’une immense tempête électrique. Tonya survola de vastes tranchées de sol découpé et fendu, avant de se poser sur le site du quartier général de Shubin Interstellar.

Deux agents de sécurité l’escortèrent jusqu’à une petite pièce blanche. Un grand avocat décharné lui sourit agréablement, avant d’énumérer des dizaines de clauses de confidentialité, et autres conditions écrites en tout petit. Elle parcouru le texte jusqu’à s’en faire mal aux yeux. Au bout d’une heure, elle l’interrompit.

“Pourriez-vous au moins me dire en quoi consiste le boulot?”

“Je suis désolé, Mademoiselle,” dit l’avocat, son sourire s’effaçant quelque peu. “Je suis tenu de ne révéler aucun détail pertinent jusqu’à ce que vous ayez correctement complété le-”

“Ça va. Ça va. Pigé.” Elle s’affala contre la table. L’avocat poursuivit. Elle donna son accord, lui fournit ses empreintes digitales, et même une signature. Enfin, l’avocat sembla satisfait. Elle l’observa, attendant la suite. “Pas d’analyse de sang? D’urine?”

L’avocat la regarda, perplexe.

“Non, Mademoiselle. Je ne crois pas que ce soit nécessaire.”

“Et maintenant, alors?”

“Le versement préliminaire est en cours de transfert sur votre compte.” L’avocat se leva, et la guida vers la sortie. Ils traversèrent des couloirs d’un blanc immaculé. Il s’arrêta devant une autre porte et pressa son pouce contre la serrure. Elle s’ouvrit en coulissant, révélant une plus grande salle de conférence. Une épaisse fenêtre rectangulaire dominait le site d’excavation.

Tonya entra et regarda les personnes présentes. Elle reconnut la plupart d’entre-elles ; Deke Johnson, Squig Bentley, Arthur Morrow, d’autres explorateurs au sens large du terme. C’étaient des pilleurs de tombes, des voleurs, des ivrognes, et des toxicos qui s’intéressaient plus ou moins à l’Histoire. Si c’étaient là ses concurrents, Tonya se sentait un peu offensée de se retrouver sur la même liste que ces dégénérés.

“Tiens, tiens, tiens,” dit une voix dans son dos. Tonya se figea, la reconnaissant immédiatement. “Mais qui voilà?”

Tonya se retourna. Senzen Turov lui fit son sourire étincelant.

“Ravi de te voir, Tonya.” Il s’approcha pour la serrer dans ses bras. Tonya l’arrêta d’une main sur la poitrine et le repoussa. Il joua les offensés. “Qu’y a-t-il?”

“Je viens juste de prendre une douche.”

“Allons, Tonya. Tu ne m’en veux quand même plus pour…”

“Pour m’avoir dépouillée?” Tonya regarda par la fenêtre. “Je pense que je m’en suis remise.”

“J’espère bien, tu m’as volé mon vaisseau et l’as revendu à des pirates.”

“Avec ces reliques Xi’An, tu pouvais t’en acheter deux de plus.”

“Trois, à vrai dire.” Senzen s’étira et s’appuya contre le mur à côté d’elle. Il examina la pièce, clairement en train de s’ennuyer. “Tu sais à quoi rime tout ça?”

“Non.”

“Nous devrions peut-être faire équipe. Comme à l’époque…”

“Je préférerais encore m’associer avec Squig,” dit Tonya. C’est ce moment que choisit opportunément Squig pour roter et péter en même temps. Il semblait très fier de lui.

“Ouais, et bien la Tonya que j’ai connue avait besoin d’un homme qui soit son égal, quelqu’un capable de la mettre au défi.” Senzen se pencha un peu plus près. Tonya le regarda. Leurs yeux ne se lâchaient plus.

“C’est ce que tu crois être?”

“Un homme?”

“Mon égal.”

La porte s’ouvrit en glissant. Gavin Arlington, PDG de Shubin, s’avança à grands pas dans la pièce. Il paraissait presque artificiel. Chaque cheveu, chaque ride, chaque pli de son costume semblait remplir une fonction, comme s’il exigeait la même efficacité de son corps que de ses travailleurs. Il était flanqué d’une armée d’assistants stoïques, ainsi que du chef de chantier. Ses yeux d’émeraude prirent vite la mesure de la racaille présente dans la pièce.

“Venez avec moi.”

Arlington les mena à l’extérieur. Toutes les activités minières à portée de voix avaient été interrompues. On n’entendait que le hululement du vent, le tonnerre plus au loin, et le crissement des graviers sous leurs pieds alors qu’ils approchaient des fosses.

Quarante-cinq minutes de marche silencieuse s’ensuivirent. Senzen lança un regard à Tonya, manifestement déconcerté. Elle haussa les épaules et secoua la tête. C’était vraiment étrange. Ils se rapprochaient d’une nouvelle trouée, cachée dans l’obscurité alors que le soleil se couchait face à eux. Arlington fit halte à la limite de l’ombre, à côté d’une des Racleuses. Deke Johnson trébucha et faillit tomber. Arlington se retourna face au groupe.

“Vous vous demandez sans aucun doute pourquoi je vous ai fait venir ici,” dit Arlington en toisant Deke. Puis il adressa un signe de la tête au chef de chantier.

La crevasse récemment dégagée fut inondée de lumière. Il fallut une seconde à tout le monde pour s’habituer. Tonya plissa les yeux et se concentra sur une irrégularité brillante, au centre de la masse noire face à eux. Emprisonnée dans le mur de lave se trouvait une surface lisse faite de métal, mais il ne s’agissait pas d’une veine de minerai. C’était un panneau façonné, usiné. La première impression de Tonya fut qu’il s’agissait d’une sorte d’épave. Ce n’était pas ça qui était incroyable…

Un mot à moitié effacé était inscrit dessus.

Artemis.

… A SUIVRE

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