Gates lâcha son paquetage et jeta un dernier coup d’œil à son minuscule appartement afin de s’assurer qu’il n’avait oublié aucun de ses rares effets personnels. Satisfait, il sortit son MobiGlas et appela la société de gestion pour leur faire savoir qu’il quittait les lieux.

Une fois les affaires courantes expédiées, Gates lança le logiciel d’anonymat sur son MobiGlas et passa un autre appel. Le visage en cœur d’Angélique apparut à l’écran, le sourire aux lèvres. Les bleus infligés par Kitty commençaient déjà à s’estomper. « Armi ! » lança-t-elle, les yeux un peu trop brillants pour être vraiment sobre, mais pas au point d’obliger Gates à s’en s’en formaliser.

« Content de voir que tu te portes mieux, Angélique. »

Elle hocha la tête, notant son ton froid. « Qu’y a-t-il, Armi ? »

« Je dois partir pour affaires. Tu vas devoir te débrouiller seule un moment. »

Angélique fronça les sourcils, ce qui étira son joli front. « Mais qui va veiller sur moi ? »

« Tu continueras comme c’était prévu. Rien ne change. »

« Le Sé- »

« Rien ne change”, coupa-t-il pour l’empêcher de prononcer le mot, “les virements ne cesseront pas. Sois heureuse, et garde les oreilles grandes ouvertes. Je reste en contact. »

« Et pour l’autre truc ? » demanda Angélique, en se passant la main sur son œil au beurre noir.

« C’est réglé. »

« Vraiment ? Comme ça ?»

« Oui. »

« Merci. »

« Juste un conseil : essaie de décrocher. Je ne serai plus là pour régler ce type de problème dans les prochains temps. En plus, tu sais très bien que ça ne te réussit pas. »

Elle se mordit la lèvre et détourna le regard, « Je sais… merci. »

« Fais gaffe à toi. » Il coupa la transmission et rangea son MobiGlass. Peut-être réglerait-elle son problème de drogue, ou peut-être pas. Quoi qu’il en soit, elle représentait une bonne source d’information sur la vie secrète du Sénateur Yaldiz, vu qu’elle y était intimement mêlée. Il jeta un dernier coup d’œil à l’appartement. Deux années, qu’on pouvait résumer en tout et pour tout à un seul sac et quelques nouvelles acquisitions ; quelques-unes déclarées, d’autres non. Pas mal, mais ce n’est pas la meilleure façon d’utiliser un vieil agent. Il soupira. Ça va me faire du bien de retourner au bercail, au service d’Action Spéciale. Gates ramassa son sac et s’en alla.

Une heure plus tard, il se présentait au guichet local de l’intendance de l’Advocacy afin de récupérer l’identifiant du vaisseau qui lui avait été attribué. Le gamin derrière le guichet eut un sourire au moment de faire glisser l’infoclé vers lui. « Avenger, désignation A3301. Cette vieille garce est sur la piste deux. »

Gates ignora le gamin, et signa le récépissé de l’identifiant avant de se diriger vers le vestiaire. Le fait d’enfiler sa combinaison ranima en lui la vieille flamme, et c’est d’un pas léger qu’il se dirigea vers la piste. Gates la trouva grâce au numéro peint sur sa poupe. À sa vue, il poussa un grognement. Il fut tenté de rebrousser chemin pour coller son poing dans la figure du jeune intendant : l’A3301 était certes un des premiers modèles d’Avenger, mais restait néanmoins plus jeune que Gates d’une bonne décennie.

Il haussa les épaules et grimpa à l’échelle. Ça fait trop longtemps, songea-t-il tout en jetant son sac dans le cockpit du vieux chasseur.

De vieilles compétences refirent surface, et les procédures préalables au décollage furent facilement expédiées. Gates transmit son plan de vol de mise sur orbite et son autorisation de départ, tous deux rapidement approuvés.

Il décolla avec une certaine prudence, afin de prendre ses marques avec elle. Après tout, ça faisait un bail que je n’avais rien piloté d’autre qu’un bureau, même avant ma mise à pied.

Gates sentit un franc sourire lui retrousser les lèvres. Comparée aux vaisseaux qu’il avait pilotés à l’Action Spéciale, elle était dépassée et manquait de réactivité, mais l’A3301 était pour l’heure toute à lui.

Le voyage jusqu’à la Boîte Noire fut long et ennuyeux ; il lui fallut effectuer plusieurs transits assortis de quelques arrêts afin de déjouer toute tentative de filature. L’astéroïde noir aux contours irréguliers ne ressemblait pas tant que ça à une boîte. Gates faisait partie des rares personnes à savoir que l’Action Spéciale ne lui avait pas attribué ce nom à cause de sa forme, mais bel et bien en raison de la procédure consistant à effacer les enregistrements des boîtes noires de tous les vaisseaux qui tombaient dessus par hasard.

Le système de défense qui entourait la Boîte Noire multiplia les demandes d’informations afin de vérifier son identité. Pendant un bon moment, seul le fait qu’on ne l’avait pas réduit à néant lui indiqua qu’il avait satisfait aux exigences des protocoles de sécurité.

On lui envoya un plan de vol et il le suivit à la décimale près. Il y a des choses avec lesquelles il ne faut pas plaisanter. Sur la face sombre de l’astéroïde, il s’engagea dans une cavité plus noire encore et s’arrima lentement au collier d’amarrage déployé pour son vaisseau. Un bruit sourd se répercuta à travers la coque lorsque des verrous magnétiques se refermèrent sur son appareil, reliant ainsi ses systèmes à ceux de la base.

Gates sourit en voyant ses senseurs s’éteindre en même temps que toutes les lumières, avant que le collier d’amarrage ne commence à tracter l’A3301 à l’intérieur de l’astéroïde. On faisait généralement confiance aux agents de l’Advocacy, mais la paranoïa était élevée au rang d’institution à l’Action Spéciale.

De la sorte, il n’aurait pu dire à personne quels vaisseaux se trouvaient dans la baie d’amarrage, quand bien même il l’aurait voulu.

Une voix de femme teintée d’un agréable accent le tira de ses pensées: « Agent spécial Gates, nous vous souhaitons un bon retour à l’Action Spéciale. Je suis l’Agent-Inspecteur Vasser. Lorsque votre verrière s’ouvrira, suivez la ligne bleue jusqu’à moi. Je vous expliquerai votre mission. »

L’Agent-Inspecteur qui me briefe en personne ? Suprenant. Elle tient probablement à mettre les choses au clair tout de suite en remettant le vieux baroudeur à sa place. Bien décidé à ne surtout pas perdre son sang-froid, Gates s’empara de son sac et attendit que la verrière s’ouvre. Lorsque ce fut fait, il suivit la ligne lumineuse le long d’une série de couloirs vides, jusqu’à une porte. Elle s’ouvrit à son contact et révéla une petite pièce.

À l’intérieur, Vasser était assise à une table, les doigts entrecroisés devant elle. Ses cheveux blonds, presque blancs, étaient coupés court afin de tenir sous un casque de vol ou une armure de combat. Ses traits étaient dans l’ensemble un peu anguleux pour son goût, mais elle n’en demeurait pas moins séduisante. Elle resta impassible au moment de lui serrer la main. Bonne poigne. Elle ne force pas. C’est bon signe.

« Agent-Inspecteur Vasser », la salua Gates en souriant.

Elle lui désigna le siège en face d’elle, « Agent Spécial Gates. J’espère que votre voyage n’a pas été trop éprouvant ? »

Il secoua la tête. « Ça fait du bien de retrouver un cockpit.»

Elle sourit, lui révélant pour la première fois ses dents blanches et régulières, « Avant que tout ceci ne soit terminé, vous risquez de vous en lasser. »

« J’en doute, mais dites-m’en plus. »

« Soit. » Elle pianota sur le dessus de son bureau pour afficher une série de dossiers.

Gates entendit son MobiGlas émettre une petite sonnerie, signe qu’il recevait des copies à étudier ultérieurement.

« Ces derniers mois, trois agents de l’Advocacy ont été assassinés. »

Voilà qui avait capté son attention. « Pourquoi n’en ai-je – » ses lèvres se refermèrent sur la question à l’instant où il comprit pourquoi il n’en avait pas entendu parler : s’il s’agissait d’agents morts dans le cadre de missions d’infiltration, leurs décès n’auraient pas été signalés, en tout cas pas via les canaux auxquels un agent suspendu de ses fonctions aurait pu avoir accès.

Elle enchaîna et fit comme s’il n’avait pas été sur le point de dire une sottise : « Nous avons déjà une équipe chargée de traquer le principal suspect dans l’une des affaires, mais je vous confie l’enquête sur les deux autres. Discrètement, en vous faisant passer pour un chasseur de primes. »

Ça colle pas.

Elle devinait trop facilement ses pensées, ou du moins avait-elle conscience que ses explications étaient insuffisantes : « Il y a un problème, Agent Gates ? »

Il haussa les épaules, « c’est juste que je ne suis pas réputé pour la discrétion de mes enquêtes. »

Son sourire refit surface. Il lui plaisait bien, ce sourire, pensa-t-il lorsqu’elle poursuivit, « Non, vous avez la réputation de tout casser. Ce qui nous arrange dans le cas présent : en fait, pour tout le monde en dehors de vous, moi et votre ancienne Agent-Inspecteur, vous êtes toujours mis à pied. »

« Puisqu’on parle d’Oda, elle ne déborde pas d’amour pour moi… Et il y a l’intendant qui m’a assigné le vaisseau avec lequel je suis venu jusqu’ici. »

« C’est mon problème, et je m’en suis déjà occupé. »

« D’accord. »

Elle leva un sourcil arachnéen, « C’est tout ce que ça vous inspire ? »

Il sourit à son tour, « Si vous dites que vous vous êtes occupée d’Oda, alors c’est réglé. Idem pour le gamin qui gère le dépôt des vaisseaux. En fait, je préférerais vous entendre parler de celui qui s’imagine pouvoir dessouder nos agents impunément. »

Elle le dévisagea longuement, et parut presque sur le point d’ajouter quelque chose.

Gates attendit, intrigué.

Plutôt que de parler, Vasser baissa le regard et fit apparaître l’image d’un agent dans son uniforme de l’académie. « Agent Max Nawabi. Il a achevé sa formation il y a douze ans. Sa dernière affectation : les douanes. Infiltré sur Corel pour enquêter sur des rumeurs de trafic d’esclaves. Ça devait être une opération de longue durée ; il rendait compte régulièrement jusqu’à ce que son superviseur perde tout contact il y a deux mois. On l’a retrouvé mort dans une ruelle sur Nexus le mois dernier. »

Une autre image de remise de diplôme. « Agent Gage Knowles. Il a réussi ses examens il y a dix ans. Dernière affectation en date : les stups. Envoyé sur Nexus pour une mission d’infiltration longue durée en rapport avec le trafic de stupéfiants entre les systèmes Magnus, Nexus et Corel. Il envoyait des rapports régulièrement jusqu’à ce qu’on perde le contact il y a deux mois. Son cadavre a été retrouvé sur un tas d’ordures quelques jours après celui de Nawabi. »

« À part les dates rapprochées, qu’est-ce qui vous fait croire que les meurtres sont liés ? »

Elle regarda Gates, puis afficha les autopsies des deux agents. « Dans les deux cas, aucun effort n’a été fait pour dissimuler les meurtres, et c’est la même arme qui a été employée à chaque fois. »

« Exactement la même ? »

« Oui. »

…À SUIVRE

Source: https://robertsspaceindustries.com/comm-link/spectrum-dispatch/13148-A-SEPARATE-LAW-PART-TWO

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2 Comments

  1. Merci encore pour la traduction, et je m’attaque de suite au prochain chapitre ! 😀

    J’adore !

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