La guerre est une question de psychologie. Vous entrez dans une pièce, parfois par choix, ou alors parce que vous vous êtes fait prendre à détourner du matériel médical à l’infirmerie des prisonniers, et êtes contraint à rester assis en face de l’ennemi pendant qu’il tente, par tous les moyens, de rentrer dans votre tête.

« Dois-je vous rappeler, » me demanda Cayla Wyrick, ma psychologue, « que le non-respect de nos séance est une violation de l’accord que vous avez passé avec le capitaine Fieras afin de vous éviter une cellule de quatre mètres sur quatre ? »

Elle avait un long cou et un visage étroit, mais néanmoins joli, qui faisait d’elle l’agent contractuel civil préféré de tout le monde. Ses mèches blondes étaient coupées court, mais avec style, et son maquillage était impeccable, comme pour défier n’importe quel singe de l’OSP-4 de tenter quoi que ce soit. Elle était jeune pour une thérapeute, surtout pour être stationnée si loin dans le système Banshee.

« Je ne comprends pas pourquoi Fieras insiste tant à propos de ces séances. Je ne suis qu’un contrebandier, pas un malade mental. »

Elle croisa ses jambes en s’enfonçant dans sa chaise. « Si vous n’étiez qu’un simple contrebandier, je suis sûre qu’il vous aurait simplement renvoyé, ou jeté en cellule. Mais il y a quelque chose entre vous deux n’est-ce pas ? »

Je pris une gorgée d’eau glacée et posai le verre sur la table à côté de moi. Le grand écran situé derrière elle affichait un paysage stellaire. D’ici quelques heures, la planète Lorona, où nous avions établi le point Lagrange, se dévoilerait dans le coin inférieur droit de l’image.
Évidemment, elle avait lu mon dossier. Et probablement regardé les vids de l’explosion qui avait ôté la vie à mon frère.

J’en voulais à Danny d’être mort si publiquement. Si nous avions été des mineurs sur une ceinture d’astéroïde sans nom, les détails de sa mort n’aurait intéressé personne. Mais nous étions des pilotes, les deux meilleurs de l’académie. Et lorsqu’il est mort, j’ai dû accepter la médaille qui lui revenait de droit, tout ça parce que j’étais juste après lui sur le tableau d’honneur. Ce fut du pain bénie pour tous les détracteurs que j’avais rencontrés durant les années précédant l’accident. Toutes mes actions furent alors attribuées au syndrome du survivant, ou celui du jumeau restant, ou tout autre désordre de la personnalité. Maintenant que j’avais été pris la main dans le sac, Fieras et Wyrick s’évertuaient à faire passer ce forfait pour tout, sauf ce qu’il était vraiment : un simple acte de cupidité.

Je ne voulais pas passer une minute de plus en thérapie, je préfèrerais rester en cellule.

« Vous vous rendez compte que cette couleur rouge que vous portez provient de la contrebande ? Les gars utilisent le même pigment pour faire des tatouages en prison. Ou bien se maquillent avec. Vous voyez ce que je veux dire.
– … Et je pense que nous en avons terminé pour aujourd’hui.» répondit-elle en pressant quelques touches de sa tablette, laissant l’écran s’éteindre doucement.

Un flash, tel une allumette que l’on craque dans une pièce sombre, attira soudain mon attention sur l’écran derrière elle : une des étoiles commença à bouger. D’abord pas plus grosse qu’un point au loin, elle grossit jusqu’à atteindre la taille d’une tête d’épingle au fur et à mesure qu’elle prenait de la vitesse de manière exponentielle, jusqu’à disparaître dans le coin supérieur droit du moniteur. Le tout ne dura pas plus de 5 secondes, et il me fallut à peine plus longtemps pour comprendre ce que j’avais vu.

Je m’élançai de ma chaise en direction de Wyrick. Mon poids sur son épaule fit basculer sa chaise. Un battement de cœur plus tard, la station s’ébranla violemment et les lumières vacillèrent avant de s’éteindre. Un souffle d’air chaud sortit de la bouche d’air conditionnée, suivi de flammes, colorant brièvement le bureau sombre de nuances oranges. Les lumières d’urgence, à la base des murs, s’allumèrent alors, nous permettant de voir à nouveau, quoique faiblement.

Je m’écartai d’elle et me mis à genoux. À sa décharge, elle ne dit rien sur mon plaquage.
« Que s’est-il passé ? » demanda-t-elle à la place.

« On a été touchés par un missile, » dis-je. « Au moins un. Pour une raison inconnue, le système de défense automatique ne s’est pas enclenché pour intercepter l’attaque. »

Les lumières d’urgence virèrent du rouge au jaune et s’illuminèrent, suivant un cycle qui indiquait explicitement la porte. Puis une voix générée par ordinateur se fit entendre partout dans la station.

« Lieutenant Cayla Wyrick, en tant qu’officier le plus haut gradé à bord de la station pénitentiaire Orbital Supermax 4, vous êtes à présent aux commandes. Veuillez vous rendre au poste de commandes auxiliaire en suivant les lumières jaunes .»

« Lieutenant Wyrick ? » Répondis-je d’un air sarcastique à l’ordinateur.
« C’est son rang de rémunération, par son grade ! »

Les employés civils sous contrat avec l’armée étaient rémunérés en suivant la logique des grades militaires. Wyrick était apparemment une OS-9, ce qui veut dire qu’elle avait un salaire équivalent à celui d’un lieutenant. Ce qui n’était pas la même chose que d’être effectivement lieutenant. Elle ne pouvait ni donner d’ordres, ni être saluée. L’ordinateur de bord avait fait une erreur, et il ne me fallut pas longtemps pour réaliser ce que cela signifiait. Nous avions été attaqués avec une précision chirurgicale. Tous les gradés présents dans la station étaient déjà morts.

Wyrick jeta sa tablette sur le bureau et tapa sur le paysage stellaire jusqu’à ce qu’il s’efface, laissant apparaître une carte de la station. Le vert correspondait aux zones intactes, le jaune signifiait que le pont sur lequel nous nous trouvions n’avait subit que des dégâts mineurs. Quand au rouge, nous pouvions à présent diminuer le budget nourriture de la prison… Et il y avait beaucoup de rouge.

Les doigts de Wyrick dansaient sur l’écran. « Le poste de commande, la salle des machines, l’espace médical… ils sont tous déconnectés. »

Je la rejoignis devant l’écran. « Puis-je ? »

Elle me fusilla du regard, puis saisit ses codes de dérogation à contre-cœur. Sans perdre un instant je retournait sur l’écran stellaire pour zoomer au maximum sur l’endroit d’où avaient été tiré les missiles. Il ne fallut pas beaucoup chercher pour tomber sur un petit vaisseau civil habilement modifié pour supporter d’énormes lance-missiles. Et quelques petits vaisseaux de combat en formation non-loin. Un plus gros bâtiment était caché derrière, mais les capacités limitées de la station lui donnaient un aspect pixelisé qui ne permettait pas de l’identifier. Soudain l’image devint sombre suite à l’apparition de quelque chose de si large que l’aperçu en était également grossièrement pixelisé. Un vaisseau de combat peut-être, qui passait très près de la station. Et pas non plus un vaisseau de l’UEE.

J’essayai les canaux de communication d’urgence mais n’obtins qu’un sifflement sourd sur toutes les fréquences. Nous étions coincés. « Des pirates. Je ne sais pas ce qu’ils font ici, mais ça ne peut pas être bon. »

« Une évasion vous pensez ? » demanda Wyrick.

« Peut-être, mais ne croyez-vous pas qu’une personne pour laquelle on déploie un petite armada aurait été directement envoyée sur Kellog VI ? » lui dis-je, faisant référence à l’infâme planète-prison. Les installations comme OSP-4 étaient des prisons à part entière, mais faisait aussi office de stations d’alimentation, ou d’espace de transit où les prisonniers à haut-risque en provenance des systèmes extérieurs séjournaient en attendant leur transfert pour Kellog VI. « C’est peut-être juste un raide. Lorsqu’une bande de pirate devient trop importante, ils n’arrivent plus à subvenir à leurs besoins en pillant des cargos qui se pointent occasionnellement. Une installation comme celle-ci devient alors une cible tentante. Les prisonniers sont juste un bonus supplémentaire. Ou sacrifiables, selon les caprices des pirates.

– Mais n’y a-t-il pas des moyens de se défendre ?

– Si, bien sûr . »

En tant qu’ancien quartier-maître de la prison, j’étais mieux placé que quiconque encore en vie dans la station pour savoir ça. J’affichais le poste de pilotage. Des débris flottaient dans les airs. Une sombre silhouette humaine glissait lentement vers le sol dans une gravité réduite à néant. Un scan rapide fit apparaître une fissure en dents de scie dans la coque. La décompression avait dû être rapide et violente, mais les deux chasseurs de la station étaient toujours dans leurs baies d’amarrage. « Il semblerait que l’on ait pas opposé une grande résistance. »

Une vibration sourde se fit alors sentir sur le pont tout autour de nous, puis l’écho d’un impact. Mon estomac fit un bond dû aux fluctuations de la gravité artificielle. Ce sifflement sinistre de l’air qui s’échappait par les évents était le signe que la station avait été endommagée au-delà de ses capacités de réparation, ce qui voulait dire que respirer allait vite devenir difficile.

« Nous devons partir, » dis-je.

Elle me suivit en traînant les pieds, jusque dans le hall.

Les dommages étaient plus étendus que je ne l’avais cru. Des câbles pendaient des sous-plafonds tels des lianes dans la jungle, laissant échapper des étincelles sur le sol. L’air sentait l’ozone et le caoutchouc brûlé, et il faisait atrocement chaud, comme si un incendie faisait rage non-loin. Nous traversâmes un couloir sombre et vide, à l’exception des flashs et étincelles que projetaient les câbles au dessus de nos têtes. L’ordinateur central nous guidait vers le centre de commande auxiliaire, mais j’avais un tout autre plan en tête. Je pris la direction du bloc de sécurité maximale de la prison.
« Que faisons nous ici ? » demanda Wyrick. Nous étions devant une porte en métal rouge, avec un clavier en son centre.

« Le système de communication est HS, il nous est donc impossible d’envoyer un message de détresse. À moins d’un miracle et qu’un transfert de prisonnier arrive à l’imprévu, nous ne pouvons espérer la moindre aide avant au mieux deux semaines. Rester ici à attendre n’est pas envisageable. » Alors que le ton de ma voix suffisait probablement, j’ajoutai : « Surtout pour vous. »

Wyrick devint mal-à-l’aise. « Il y a 1600 prisonniers et deux-cents membres de personnel à bord de ce complexe. Nous ne pouvons pas les abandonner. »

En essayant de ne pas paraître vexé je répondis. « Vous êtes une thérapeute et moi un quartier-maître. Nous n’avons pas l’étoffe de héros. Deux chasseurs sont encore à quai. Nous pouvons nous en servir pour quitter cette station et prévenir l’UEE. »

Elle regardait la porte sans comprendre. « D’accord, mais alors que faisons-nous ici ?

– On vient chercher un héros, » dis-je, dans un sourire narquois.

J’avais fait quelques recherches lorsque j’ai commencé à “mettre de côté de l’équipement pour mon profil personnel” juste au cas où j’aurais un jour besoin d’un coup de mains pour m’échapper. Tous les documents officiels sur lesquels j’avais pu mettre la main désignaient le gars que nous nous apprêtions à libérer comme le meilleur pilote à bord. Il s’agissait d’un ex-militaire, donc la plupart des documents avaient été censurés, mais j’avais tout de même trouvé la liste des médailles qui lui avait été remises, et les seules qu’il n’avait pas reçues étaient celles que l’on vous donne lorsque vous prenez une balle.

L’ouverture de la porte de cette cellule de sécurité maximale était comparable à l’ouverture d’un four. Une bouffé d’air chaud brûla mon visage et je détournai le regard par réflexe. Il n’y avait pas de flammes visibles dans le passage, mais certains des panneaux en plastique sur les murs étaient gondolés et couverts de cloques.

« Donnez-moi votre carte, » lui dis-je en tendant ma main vers elle.

« Nylund, » dis Wyrick, « vous ne pouvez pas… »

Je descendis le passage. « Ne vous inquiétez pas, je vais revenir. Je ne compte pas m’échapper par là. »

« Ce n’est pas ce que je voulais dire, » répondit-elle, en me tendant quand même sa carte.
Mon instinct me disait de ne pas entrer. La chaleur était trop intense, l’air irrespirable, entre autres choses… Je décidai de l’ignorer. J’aurais pu trouver un autre pilote, mais ce gars était le meilleur et j’étais convaincu qu’un autre nous aurait fait tuer. Je restai aussi près du sol que possible, du côté opposé aux plaques de plastique gondolées, mais c’était tout juste supportable. Je comptai deux portes et glissai la carte de Wyrick dans la rainure.

Le panneau passa au vert et la porte s’ouvrit. J’étais sur le point de découvrir le genre d’homme pour la libération duquel nous avions risqué nos vies.

À suivre…

Traduction depuis l’Anglais par Nathaniel Flint, relecture et correction par Hotaru
Source : https://robertsspaceindustries.com/comm-link/spectrum-dispatch/13999-Orbital-Supermax-Episode-One

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