« Vous me recevez? »

Gates dirigea la transmission vers le terminal de contrôle, puis eut un bref vertige lorsque l’image se mit à vaciller tandis que Seabrook se levait du siège de pilote, pour ensuite se diriger vers le sas.

« Oui, très bien. »

« Bien. Prêt ? » demanda-t-elle, laissant apparaître dans le champ de vision sa main tendue vers le panneau d’accès.

Il prit un instant pour réfléchir sérieusement à la question pendant qu’elle se déplaçait de la passerelle vers le sas. L’opération avait été montée à la va-vite au dernier moment, avec pour seules véritables ressources leurs tripes et leurs intelligences conjuguées. Sans oublier le vieil Avenger que Seabrook était parvenue à se procurer.

Deux aubaines avaient rendu le plan réalisable : premièrement, bien qu’ils n’étaient toujours pas certains que Morgan était retenu contre son gré, Seabrook avait réussi à découvrir où il se trouvait encore cinq heures plus tôt. Deuxièmement : en raison de la nature clandestine des activités des Inconnus, la station ne semblait pas dotée d’une sécurité renforcée.

« Gates ? » demanda-t-elle, s’apprêtant à ouvrir le sas reliant son vaisseau à la station.

« C’est parti, » répondit-il.

« D’accord. » Seabrook posa la main sur le panneau et quitta son vaisseau.

Il lui faudrait du temps pour atteindre le cœur de la station, donc Gates consulta l’affichage de son ordinateur de navigation. Il avait positionné l’Avenger qu’elle avait réussi à lui dénicher selon un vecteur d’approche progressive qui devait lui permettre de rattraper la station d’ici une dizaine de minutes, moment à partir duquel il commencerait à leur parler d’une demande de maintenance. En attendant, Gates passa au scan les vaisseaux actuellement amarrés à la station : le Caterpillar qui d’après l’identification de Seabrook avait amené Morgan se trouvait toujours là. Les deux autres vaisseaux semblaient être des clients normaux, venus effectuer une maintenance, des améliorations ou pour répondre aux besoins de transport de l’entreprise.

C’est Seabrook qui avait eu l’idée de se servir de ce dernier groupe comme porte d’entrée : elle avait falsifié un manifeste qui indiquait désormais qu’elle avait été chargée de transporter des pièces pour Nemonautics et qu’elle était censée les récupérer ici. Gates n’aimait pas compter sur le fait qu’ils n’auraient pas déjà les pièces en question, mais les responsables de l’entreprise semblaient avoir gobé l’histoire.

« Bonjour, » dit Seabrook, attirant de nouveau l’attention de Gates.

« Capitaine Tolliver, désolé pour le retard, mais nous avons eu des problèmes de ravitaillement ces derniers temps. »

L’image trembla légèrement tandis que Seabrook haussait les épaules. « Du moment que je respecte les termes de mon contrat et que vous pouvez me trouver un endroit où me reposer un peu les pieds… »

« Bien sûr, nous pouvons vous accueillir – » le responsable tapa quelques instructions sur sa console, « – sur le pont treize, cabine huit. »

« Merci. J’en ai un peu marre de voir les mêmes cloisons, si vous voyez ce que je veux dire… »

Attention Seabrook, il risque de s’imaginer que vous en pincez pour lui. Des opérations ont foiré pour moins que ça…

Le responsable sourit, et désigna les alentours de ses mains, « À qui le dites-vous. »

Soulagé, Gates poussa un soupir pendant que sa coéquipière grimpait dans l’ascenseur et choisissait le pont treize. « Toujours là? » demanda-t-elle une fois les portes fermées.

« Oui, votre signal est net. D’après vos données, il se pourrait que nous ayons eu du bol. Votre chambre se situe à l’étage juste en-dessous de celle de Morgan. »

Seabrook sifflotait une jolie mélodie tandis que les étages défilaient les uns après les autres sans que quiconque ne monte à bord. Ils avaient apparemment fait le bon choix en décidant de procéder à l’extraction de Morgan tard dans la nuit locale. La porte s’ouvrit face un petit couloir. La chambre qu’on lui avait assignée se trouvait sur le côté droit, à peu près à mi-chemin. Elle y entra, posa son sac et commença à retirer sa combinaison de vol.

Elle remonta la capuche de sa combinaison masquante et retint sa respiration le temps que le masque se mette en place. Dès qu’il eut commencé à faire circuler son air et à maintenir sa signature thermique au niveau ambiant, Seabrook déballa son désactivateur ainsi qu’un petit pistolet de poche, puis glissa le sac vide dans la poche dorsale extensible de sa combinaison. La combinaison masquante brouillait son image sur les caméras et tromperait les détecteurs de chaleur, mais elle ne lui serait d’aucun secours face à un observateur direct.

Elle se servit du désactivateur pour effacer l’historique de la porte puis retourna dans le couloir. Plutôt que de se diriger vers l’ascenseur, Seabrook se dirigea vers le conduit de secours et passa le désactivateur le long du tableau de commande. Il lui fallut un peu plus de temps que pour la porte de ses quartiers, mais elle finit par céder. Les conduits de secours était conçus pour être faciles à ouvrir, mais Seabrook ne voulait pas que le protocole automatique d’évacuation se mette en marche. Elle se glissa à l’intérieur et commença à gravir l’échelle.

« On en est où, niveau temps ? » demanda-t-elle, le souffle court.

« On est bons. Je vais commencer à interpeller le représentant d’ici deux minutes environ. »

« J’ai cru qu’il allait commencer à me draguer. »

Gates se fendit d’un sourire, content qu’elle ne puisse le voir. « Moi aussi. Je salue votre professionnalisme. »

« Ah, les hommes. Quand je porte ce truc sous ma combinaison de vol, mes formes sont tout ce qu’il y a de plus banales et pourtant vous cherchez toujours un peu d’action. »

« Eh, c’est pas moi que vous surprendrez à mater. »

« Donc vous admettez l’avoir fait ? »

« Je n’admets rien du tout. »

Seabrook gloussa, puis s’arrêta. Elle tapa une instruction sur son désactivateur. La transmission de ce dernier fut redirigée vers l’écran de Gates et remplaça l’image de Seabrook. Le couloir de l’autre côté de la trappe de secours n’était pas vide : à l’autre extrémité, juste devant la porte de Morgan, se tenait un homme au cou épais qui avait toutes les caractéristiques de l’homme de main.

Mauvaise position, songea Gates dans un coin de son esprit tandis que Seabrook jurait en silence.

« C’est pas bon, » dit Seabrook.

« Non, effectivement. Des idées ? »

« Merde, j’aurais dû vérifier le système de sécurité avant de me mettre en route ! » Sa frustration s’exprimait tout bas, mais avec intensité.

« On pouvait pas prendre le risque de les avertir avant que vous ne soyez sur place. Pas d’autre idée ? »

« Et puis merde, j’y vais maintenant. »

« Faire quoi ? »

« M’infiltrer et prendre le contrôle du système. Je vais faire dégager ce type. Préparez-vous à ramasser les morceaux. »

« Vous êtes sûre de votre coup ? »

« Gates, ne me demandez pas ça. Vous voulez ce crétin, oui ou non ? »

« Vous connaissez déjà la réponse. »

« Alors fermez-la et laissez-moi bosser. » Seabrook se reposa sur le côté opposé du conduit, détacha le clavier flexible de son désactivateur et se mit au travail.

Le comm de Gates signala une autre transmission entrante. Il l’accepta. « Vagra cinq cinq – » il fallut quelques instants à Gates pour reconnaître l’identifiant de l’Avenger, « – ici la station alpha de Harmony Maintenance. Votre trajectoire vous amène droit sur nous. Avez-vous besoin de nos services ? »

Gates activa le micro, « Harmony Maintenance, ici Vagra cinq cinq. Mon vaisseau a effectivement besoin d’une maintenance, pouvez-vous m’envoyer la liste des services proposés ainsi que vos tarifs pour un Avenger ? »

« Avec plaisir. »

« Merci. Vous avez un emplacement disponible pour l’amarrage ? »

« Oui monsieur, de quoi avez-vous besoin ? »

« J’ai dépassé de quelques heures la maintenance périodique de mes moteurs. »

« De combien ? »

« Environ deux cents. »

Il entendit un reniflement presque contenu, « quelques heures seulement, hein ? »

« J’ai pas trop d’argent, en ce moment. »

« Eh bien, nous avons des formules pour tous les budg- »

« J’y suis, Gates, » la transmission de Seabrook coupa l’appel en cours.

« D’accord, j’étais juste en train de – »

« Pas la peine, il ne va pas vous rappeler, de plus gros problèmes viennent de commencer à faire clignoter ses écrans. Je vais y aller. Tenez-vous prêt. »

« Bien reçu. » Gates accéléra.

À l’image, Seabrook prit une profonde respiration puis pressa une dernière touche. Les sirènes d’alarme de la station se mirent à retentir de façon assourdissante, même à travers les haut-parleurs.

Sur la caméra de sécurité, l’homme de main se tourna vers la porte de la chambre de Morgan.

Seabrook ouvrit d’un coup la trappe de secours et fonça dans sa direction. Elle fut très vite sur lui : ses mains grandes ouvertes le touchèrent à l’épaule, au bras puis au dos. La combinaison masquante se déchargea dans un craquement sourd à chacun de ses coups. Le gorille s’écroula au sol, KO dès le deuxième coup. Le troisième avait été donné soit par précaution, soit sous le coup de l’excitation ; quoiqu’il en soit, Gates approuvait.

Elle ouvrit la porte d’une poussée de la main.

Morgan se tenait debout, nu et l’œil hagard, au milieu d’une pièce exiguë et dépourvue de meubles qui ressemblait bel et bien à une cellule de prison.

Gates fut submergé par un sentiment de soulagement, ce qui ne manqua pas de le surprendre. Je n’avais pas réalisé à quel point je détestais l’idée qu’il ait pu me trahir.

« Morgan, vous voulez vous tirer de là ? » demanda Seabrook.

« Et comment ! »

« Suivez-moi, alors, » elle fit demi-tour et fila vers la trappe de secours.

« On va où ? » demanda-t-il tout en la suivant.

« Dehors. »

« Dehors ? Je ne suis même pas habillé ! »

« J’ai remarqué, mais la dernière chose qu’il vous faut à l’instant ce sont des vêtements. »

« Ah bon ? »

Elle ouvrit la trappe. « Les bulles de secours ne sont pas très spacieuses, vous savez. »

« Merde, » dit-il en faisant face à Seabrook, pour ensuite se tourner de nouveau vers le tube de secours.

Quelque chose toussa rapidement plusieurs fois de suite. Un trou rouge apparut dans la poitrine de Morgan. Le tube d’évacuation derrière lui fut tapissé de rouge.

Seabrook grogna, fit volte-face et leva son pistolet pour décocher quelques tirs à travers le couloir. Gates aperçut brièvement la porte ouverte de l’ascenseur, ainsi que les deux nouveaux gorilles qui s’y trouvaient. L’un d’eux tenait une carabine.

Les deux gorilles plongèrent pour se remettre à couvert. Seabrook poussa Morgan à travers la trappe ouverte, et regarda le système automatique de la nacelle de secours se déployer. Morgan, aspergeant la nacelle de sang, disparut en clin d’un d’œil tandis que le système l’éloignait du danger.

Le toussotement mécanique se fit de nouveau entendre derrière Seabrook. Elle chancela contre la trappe et grogna « Putain, ça pique. »

Gates comprit alors : les hommes de main utilisent des balles frangibles pour éviter de perforer l’habitat – ils sont en train de la canarder, mais la combi masquante devrait tenir.

Elle contre-attaqua et les renvoya se mettre à couvert avec quelques tirs supplémentaires, puis pénétra dans la capsule de secours en claquant la trappe derrière elle. La nacelle s’activa et l’entoura très vite.

Gates ralentit, vit la nacelle de Morgan jaillir de la station et changea de trajectoire pour le récupérer. Ceci fait, il mit en place une liaison comm, « Morgan ? »

Il entendit un toussotement, organique et humide celui-ci, puis : « regarde ça, je saigne. » Il toussa de nouveau, « Gates. J’aurais dû savoir que c’était toi. Je suis désolé. J’en ai pas pour longtemps, alors écoute : le Commandant Gilles Stroller, des renseignements de la Navy. C’est lui la taupe. Il est sur Nemo. J’ai son adresse… Trouve-le… Fais en sorte qu’il paie… »

… À suivre

Traduit de l’anglais par Baron_Noir, relecture par Hotaru. Source : https://robertsspaceindustries.com/comm-link/spectrum-dispatch/13222-A-SEPARATE-LAW-PART-SEVEN

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