Avec David Haddock et William Weissbaum.

 

1. Quelle approche adoptez-vous pour rédiger la fiction ? Partez-vous d’une idée générale (imaginée par vous ou trouvée ailleurs) pour ensuite l’étoffer, ou bien préférez-vous sélectionner un sujet pour ensuite vous lancer, en voyant jusqu’où votre imagination vous emportera ? Jusqu’à quel point chacun évalue-t-il le travail de l’autre ? (Je suppose que le fait de travailler ainsi en étroite collaboration doit vous offrir bien des occasions d’échanger des idées et d’œuvrer de concert sur la plupart des articles).

_ William : Nous adoptons les deux approches… Parfois, nous partons de nos propres idées, et à d’autres moments c’est un concepteur qui vient nous demander de lui fournir, pour un besoin spécifique, du contenu de grande qualité – que nous sommes bien évidemment toujours en mesure de proposer ! Nous avons déjà un peu évoqué tout ça, mais ce dont nous n’avons jamais vraiment parlé, c’est de notre collaboration, et du plaisir que nous trouvons à bosser ensemble. Bizarrement, à mon arrivée chez CIG, nos deux bureaux étaient beaucoup plus éloignés l’un de l’autre…

_David : Notre bureau était un peu plus petit, la place ne nous permettait pas de rapprocher les deux bureaux…

_W : Et notre collaboration s’est bien améliorée dès lors que nos deux bureaux en sont venus à se toucher…

_D : Tout dépend en fait de ce sur quoi nous travaillons. Pour ce qui concerne Squadron 42, nous avons une approche sensiblement plus cadrée, qui dépend de la mise à disposition de certains éléments du développement, ce qui fait que nous sautons fréquemment d’une chose à une autre. Alors que pour les Spectrum Dispatch (que nous rédigeons de façon alternée, chacun son tour), il nous arrive de dire « eh, j’ai une idée pour l’article de mardi, qu’est-ce que tu penses de ça » et nous en discutons, ou bien l’un de nous deux arrive avec un article déjà rédigé et demande à l’autre ce qu’il en pense. Mais quoi qu’il en soit, tout ce que nous produisons est systématiquement relu.

_W : David relit effectivement environ 99% de ce qui est rédigé, il prend son rôle d’auteur principal très à cœur. Pour lui, tout ce contenu forme un ensemble cohérent, tandis qu’en ce qui me concerne je ne lis pas forcément tout (j’essaie de suivre, quand même !)

 
2. Vers le milieu du XVIIIè siècle, l’espérance de vie aux États-Unis tournait autour de 40 ans. En 2014, c’est plutôt environ 80 ans. En tenant compte des progrès de la médecine, mais aussi du danger inhérent au voyage spatial, quelle est l’espérance de vie moyenne d’un ou une stellaire en 2944?

_W : 150 ans.

_D : Oui. Lors des premières discussions sur le fil « interrogez un développeur », il y a eu un débat passionné autour de cette question, car beaucoup de gens estimaient qu’au vu des progrès actuels de la médecine, l’espérance de vie future irait bien au-delà de ce nombre. Mais dès le début, quand nous avions abordé ce sujet avec Chris, il nous avait semblé opportun de ne pas avoir une espérance de vie supérieure à 200 ans. Nous voulions que l’histoire de cet univers se compose de phases bien distinctes, et nous ne voulions donc par exemple pas avoir dans le « présent » du jeu des gens qui auraient personnellement vécu l’ère Messer, afin que cette dernière soit plus ancrée dans le passé.

_W : Nous sommes donc partis du principe que la vie humaine avait une limite maximale, mais que la médecine avait permis d’en améliorer la qualité (en éliminant la sénilité, les anomalies génétiques, etc), ce qui permettait aux gens de vivre pleinement leurs 150 ans.

 
3. J’aimerais en savoir plus sur les relations entre humains et extra-terrestres. Y a-t-il des colonies hybrides, ou d’autres entreprises communes ?

_D : Euh, en fait non, et je crois me souvenir que c’était surtout par rapport à un problème que cela posait aux artistes. Il y avait eu tout un débat, mais en gros du point de vue génétique, il fallait qu’il y ait des degrés d’hybridation du genre 10, 20 ou 30% et c’était difficile à réaliser tout en restant crédible –

_W : En fait, je crois qu’il parlait plutôt de colonies fondées conjointement par des humains et des Xi’An, par exemple.

_D : Oh, dans ce cas oui, bien entendu, et dans différents domaines.

_W : Oui, on pourrait avoir des équipages mixtes. Les Tevarin seront complètement intégrés à l’UEE (avec des problématiques politiques et sociales, certes). De plus, les ports accueilleront beaucoup de commerce inter-espèces, ce qui produira un melting-pot de Banu, Xi’An et humains vivant côte-à-côte. Mais en gros, oui, vous pourrez avoir un meilleur pote Banu.

 
4. J’ai lu beaucoup de choses passionnantes sur l’histoire, les événements, les planètes et les gens, mais qu’en est-il des arts ? Le sonnet Shakespearien a-t-il survécu ? Pourrai-je découvrir un haïku peint sur un mur?

_D : J’espère bien que le sonnet Shakespearien aura survécu, c’est une si belle chose.

_W : Qu’est-ce que la musique, sinon de l’art ? Et nous avons de la musique dans cet univers.

_D : Oui, nous ne sommes pas encore trop entrés dans ces détails, mais nous avons néanmoins un peu évoqué cet aspect dans le Lore Builder avec les célébrités, les artistes, peintres, etc (c’est d’ailleurs vous, les fans, qui avez fourni le contenu). C’est un peu délicat, parce que si vous commencez à parler d’auteurs ou de poètes, vous risquez de devoir aussi rédiger leurs œuvres, ce qui n’est pas une mince affaire –

_W : On avait une histoire de film d’art et d’essai qui devait se faire virer d’un festival, non ?

_D : Il y a ce Banu, celui qui a découvert le système Tamsa, qu’il a nommé d’après une artiste abstraite dont il était passionné.
Mais pour en revenir aux artistes « classiques », ils ne seront pas forcément tous aussi significatifs qu’aujourd’hui, mais après tout l’Odyssée reste un classique après plus de deux mille ans.

_W : Bon livre.

_D : Bon livre. Un peu long.

 
5. Question d’un fan d’horreur. A-t-il été envisagé de pouvoir découvrir un vaisseau capital abandonné, qui aurait un côté un peu « maison hantée » ou surnaturel (à la façon du film « Event Horizon » ou de « Alien : Isolation ») ? Si c’est le cas, cela a-t-il été associé d’une façon ou d’une autre à l’univers du jeu ?

_D : Oui. Pour reprendre Asimov (NdT : en fait, c’est plutôt Arthur C. Clarke), toute technologie suffisamment avancée est indiscernable de la magie. Une chose peut paraître surnaturelle parce qu’elle sort de notre champ de connaissances. Nous devons toutefois rester dans les limites de l’univers que nous avons défini, donc pas de zombis de l’espace.

_W : Il y a bien des histoires de fantômes dans notre fiction.

_D : Oui. En tout cas, le coup du vaisseau abandonné et rempli de cadavres, c’est un classique incontournable.

 
6. Depuis le début du projet Star Citizen, de quelle façon votre écriture a-t-elle évolué, et de quelle façon pensez-vous la voir changer à l’avenir ? Lorsque vous créez des missions pour l’UP (ndt : Univers Persistant), est-ce que vous commencez par imaginer les histoires, ou bien sont-elles bâties autour de contraintes liées à la jouabilité ?

_D : C’est clairement devenu plus intéressant depuis que certains systèmes du jeu ont été créés, comme le système de conversation ou certaines mécaniques, parce que du coup on nous demande de créer des choses spécifiques pour ces systèmes. Au tout début, il fallait écrire des articles expliquant nos plans généraux pour le jeu, tandis que désormais ce sont des parties précises du jeu.

_W : Nous sommes désormais dans une véritable phase de production, nous écrivons des dialogues qui sont ensuite enregistrés etc, donc notre travail est moins abstrait. C’est une transition intéressante, nous sommes plus concentrés et plus paniqués.

_ D : J’adore la panique.

_W : Pour la deuxième partie de la question –

_ D : Je dirais que nous sommes encore en train de nous pencher sur les mécaniques de l’UP, donc nous n’avons pas encore vraiment écrit de missions dans le détail-

_ W : Tony et les gars ont procédé à certains tests sur le fonctionnement des missions, même sans histoire proprement dite, juste pour se pencher sur leurs mécaniques de base, du genre aller de là à là etc… Donc lorsqu’ils auront bien dégrossi tout ça, nous pourrons venir vraiment créer des histoires autour de ces mécaniques.

_ D : Et lorsque cet aspect-là aura été bien formalisé, ce sera du 50/50… Nous aurons une meilleure compréhension du fonctionnement des choses, nous leur ferons des suggestions et ils ajouteront leur grain de sel. C’est déjà d’ailleurs un peu le cas, puisque nous leur posons déjà des questions sur la structure des missions.

_ W : Et nous comptons bien créer des missions avec des retournements de situation qui vous sortiront de votre routine. Concernant SQ42, même si ça s’éloigne de la question, nous partons plutôt de l’histoire générale, puis les concepteurs intègrent des lieux et des mécaniques de jeu et nous renvoient la balle, et cet échange aboutit petit à petit à un compromis entre narration et jeu.

 
7. L’équipe des auteurs fera-t-elle l’effort d’inclure un peu d’humour dans Star Citizen ? Ce serait génial si certains PNJ avaient des personnalités plus légères – l’humour pourrait parfois être subtil, avec une répartie bien sentie, et à l’occasion un petit moment de comédie bien placé pourrait alléger un peu l’atmosphère.

_ D : Absolument!

_ W : J’allais dire peut-être…

_ D : Je pense que c’est certain!

On peut avoir des gens amusants dans un environnement sérieux. Mon exemple préféré reste Hudson dans Aliens, car c’est un personnage drôle au cœur d’une situation très sérieuse, qui prend justement ce côté sérieux très au sérieux, mais réagit de façon amusante en raison de sa personnalité dynamique. Je parlais justement de ça avec Chris la semaine dernière : quand tout reste en permanence sombre et sinistre, cette monotonie prend le pas et finit par tomber à plat. Un peu de légèreté disséminée ici ou là permet de ponctuer cette noirceur… C’est aussi un des trucs géniaux dans Firefly : c’est une série qui peut parfois s’avérer particulièrement sombre et violente, tout simplement parce que la chaleur de la comédie vient équilibrer le tout… Du coup, lorsque la situation devient grave, cela parait vraiment sombre parce qu’on voit ces fortes personnalités être effrayées.

_ W : Oui, et lorsque j’écris un passage un peu plus léger ou drôle, je fais en sorte que les personnages ne percent pas la trame de l’univers ; ils se moquent du monde, mais l’humour reste intégré à l’histoire. En effet, les blagues les plus faciles consistent parfois à pousser les personnages à dire « c’est vraiment stupide ce que je suis en train de faire, pourquoi devrais-je aller chercher telle boîte, etc » mais ce faisant, vous vous tirez une balle dans le pied au lieu de construire quelque chose.
Mais bon, vous aurez effectivement un ailier qui fera « pouet » en permanence avec une petite trompette…

_ D : Il a de très grandes chaussures…

_ W : Ça me plaît vraiment, en fait… Harpo en ailier…

_ D : « Couvrez mes arrières ! Pouet pouet ! », « J’te couvre ! Pouet ! »

 
8. Pouvez-vous citer des partis politiques appartenant aux différents gouvernements ? Y a-t-il un petit groupe de Banu qui voudrait cesser de commercer avec les humains, ou quelque chose de semblable à nos partis politiques et gouvernements actuels ?

_ D : Pour l’heure, chez les humains, nous avons trois partis politiques de premier plan : le parti universel, le parti centraliste, et le parti transitionaliste. Nous ne nous sommes pas vraiment encore penchés sur ceux des extra-terrestres…

_ W : Nous ne pouvons pas vraiment encore en parler en détail, mais pour faire simple, nous voulons proposer beaucoup de variété dans les actions accessibles aux joueurs dans l’UP, donc même si ce ne sera pas un point de vue majoritaire, il y aura forcément toujours par exemple un petit groupe de Banu voulant couper les liens commerciaux avec les humains. Nous voulons couvrir tous les points de vue, et plus un point de vue sera marginal, moins vous aurez de chances de croiser dans l’univers quelqu’un qui y souscrira.

_ D : Et au fil du temps, ils pourraient gagner en influence, et ainsi de suite.

_ W : Et j’imagine qu’il y aurait autant d’êtres humains souhaitant stopper tout commerce avec les Banu ; nous avons d’ailleurs publié il y a peu un article sur un thème proche. Le parti que j’aimerais rejoindre, c’est « l’after party » !

 
9. Prévoyez-vous de permettre aux joueurs de continuer à contribuer à la constitution de l’univers par des éléments secondaires (comme vous l’avez fait récemment pour les boissons et les vêtements dans les « lore builders ») une fois l’univers persistant lancé ?

_ W : Probablement. Nous en arrivons à un stade où nous avons déjà tellement de matière que nous allons peut-être devoir temporiser pendant un temps, mais oui, nous allons certainement maintenir cette habitude de faire appel à vous, les donateurs, pour remplir un peu plus l’univers. Comme nous l’avons déjà dit, une fois l’UP lancé, beaucoup de contenu sera généré par les actions des joueurs.

_ D : – bafouille – Peut-être via des bulletins quotidiens…

_ W : Oui. Ce ne sera pas forcément toujours aussi formalisé, et il ne nous en faudra peut-être plus autant une fois l’UP lancé, ce qui fait que ça se fera d’une autre façon, mais permettre à la communauté d’avoir un impact sur le jeu est un de nos buts affichés, et contribuer à la fiction en fait partie.

 
10. De quelle façon les armes nucléaires (ou autres armes de destruction massive) sont-elles abordées par la fiction du jeu ? 900 ans se sont écoulés, et je ne peux poser le regard sur un Retaliator sans penser à tous les traités et régulations bannissant certaines technologies, ce qui serait la seule façon de justifier le fait de toujours employer des missiles à base d’explosifs.

_ D : Je ne sais plus si au final, il va y avoir ou non des têtes nucléaires pour les missiles. Ce sont les concepteurs qui s’occupent de ça.

_ W : Cela a bel et bien été envisagé, je ne suis pas sûr de ce qui sera décidé en définitive.

_ D : Ce qui est intéressant, c’est qu’en fin de compte on parle d’une société où les gens ordinaires peuvent s’acheter des vaisseaux de guerre puissamment armés, en gros. C’est donc une société très différente, surtout parce que l’environnement est très dangereux, avec les Vanduul, les pirates ou esclavagistes et qu’il faut donc se protéger.

_ W : L’espace est bien trop vaste pour que l’ordre puisse y être maintenu par une force unifiée…

_ D : Pour ce qui concerne les armes nucléaires, c’est surtout une question à poser aux concepteurs… Regardez les frégates et leur taille. Pour endommager un truc pareil, il faudrait effectivement des armes nucléaires.

_ W : C’est intéressant, parce que nous avons bien intégré la notion d’armes de classe militaire. Lorsque nous mettons des vaisseaux militaires à la disposition des civils, nous précisons que tout l’équipement d’origine n’est pas inclus. Donc nous avons bel et bien incorporé l’idée que certaines technologies sont trop puissantes, trop dangereuses, ou que les militaires veulent garder un avantage sur les civils. Cela implique donc qu’il y a un certain niveau de dévastation qui est considéré comme inapproprié pour un usage conventionnel. Et pour y avoir accès, vous êtes obligé(e) de passer par le marché noir. Donc un vaisseau de série produit par un constructeur majeur ne serait équipé d’aucune technologie interdite, afin d’éviter tout problème avec les autorités.

_ D : Il y a donc une limite. Reste à la définir. Une partie de la dangerosité des armes nucléaires est liée à l’atmosphère, à cause de l’irradiation, des retombées transportées ensuite par les vents… Problème qui ne se pose pas dans l’espace.

_ W : Le simple fait d’être dans l’espace implique déjà d’être exposé(e) à divers rayonnements.

_ D : Du coup les armes nucléaires perdent un peu de leur superbe. Et ça ne s’arrête pas à ce type d’arme. Je ne crois pas qu’on vous laisserait effectuer un bombardement orbital, car vous seriez abattu en l’espace de quelques secondes. Enfin, pour récapituler, oui, il y a une limite, mais nous sommes encore en train de la définir. Cela tient en partie à l’équilibrage du jeu, d’ailleurs. Avec Arena Commander, on cherche surtout à déterminer quelle arme fait quoi, par quoi elle peut être contrée, quelles sont ses forces et ses faiblesses, etc… Donc une fois que l’on a déterminé de quoi sont capables les armes civiles, on peut en faire autant pour les armes militaires et expliquer pourquoi elles sont plus puissantes.

_ D : Et il nous faudra aussi justifier pourquoi lorsque vous vous retrouvez à la surface d’une planète, vous ne pouvez pas faire usage d’une arme nucléaire, pourquoi vous ne pouvez pas la tirer en plein milieu d’une ville. Je ne vois pas encore pourquoi, mais il faudra trouver quelque chose.

 

 

Traduit de l’anglais par Baron_Noir. Source : https://robertsspaceindustries.com/comm-link/transmission/14415-10-For-The-Writers-Episode-2

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