Solar-7 : Episode 3 – Proxémie

 
 
 

La proxémie est une approche de l’espace qui désigne l’ensemble des observations et théories que l’homme fait de l’espace en tant que produit culturel spécifique. L’un des concepts majeurs en est la distance physique qui s’établit entre personnes prisent dans une interaction. Des expériences ont déterminé qu’il existait quatre types de distances chez l’être humain, le passage de l’une à l’autre étant marqué par des modifications sensorielles et le tout étant représenté par des sphères “proxémiques”. La sphère intime se situe à moins de 40 cm, la sphère personnelle se situe entre 40 et 120 cm, la sphère sociale entre 120 et 360 cm et enfin la sphère publique au delà de 360 cm.
La distance n’est pas le seul marqueur de la communication étudié par la proxémie. L’interaction visuelle, la direction du souffle et les micro mouvements des mains peuvent avoir également une signification non consciente.

 
 
 
Cole a l’irritante manie de trop fréquemment titiller ma sphère intime autant par sa proximité que par ses mimiques associées, c’est réellement quelque chose qui me hérisse le poil d’habitude. Pourtant il parvient à le faire d’une manière si naturelle et désintéressée qu’au final j’en finis presque, et c’est comble, par m’irriter davantage de ce désintéressement que de la violation de ma distance intime. J’ai vraiment un caractère particulier n’est ce pas ?
A son crédit cependant, la sensation de confinement est bien réelle à bord de ce vaisseau aux allures de “blatte géante”. Enfin Cole lui, dit que sa “poupée” est je le cite, “tellement laide qu’elle en devient belle”.

Heraldess naviguait grand train à travers l’espace…

Après quelques heures de formation accélérée à la connaissance et à l’utilisation basique des outils du Herald, Cole semblait beaucoup y tenir et la jeune femme ne pouvait l’en blâmer, elle finit par s’endormir recroquevillée dans un coin de la cabine à même le sol et les bras repliés sur elle. Elle avait catégoriquement refusé d’utiliser la couchette, prétextant des draps sales et une hygiène locale tout à fait douteuse.

Je suis consciente que cette attitude de ma part est d’une stupidité totale, mais que voulez-vous, il faut parfois savoir assumer son caractère de teigne bornée. Et de ce coté là, je ne me loupe pas souvent.

– Psssst, mademoiselle ?
La jeune femme s’éveilla dans un léger sursaut qu’elle ne put réprimer. Il était accroupi juste devant elle, le visage à environ quarante-deux centimètres, proche de la limite à ne pas franchir donc, lui agitant sous le nez un mug de café chaud. Elle lui posa d’abord la main sur la poitrine pour le reculer légèrement, puis observa le mug et renifla en esquissant une grimace.
– C’est du jus de batterie ?
– Toujours le mot pour rire hein, dit-il en lui souriant. T’as dormi longtemps princesse, et il faut qu’on cause tous les deux.
Elle se cala un peu mieux, inspira et acquiesça, prenant le mug et remerciant Cole d’un léger signe de tête.
– Oui, d’accord. De quoi veux tu que l’on parle ?
Elle se réchauffait les mains sur le mug, n’ayant bizarrement pas de réticence à le tutoyer. Lui, recula un tout petit peu et s’assied en face d’elle, il avait beau paraître rustre, il montrait beaucoup de respect dans son attitude en matière de communication. Toujours se placer au même niveau, écouter, regarder. Des choses simples mais que la jeune femme appréciait.
– Je ne vais pas t’raconter d’histoires, c’est pas mon genre. Même si le fait qu’tu sois venue te planquer en dessous de mon vaisseau est un sacré foutu hasard, faut qu’tu saches que je venais tout juste d’atterrir ici en suivant un signal crypté qui en ce moment t’indique toi, belle inconnue. J’te montre si tu veux.
Elle ouvrit de grands yeux, plus étonnée que sur la défensive pour le coup.
– Mais…
Il se leva et alla jusqu’au poste informatique, affichant en quelques manipulations un écran qui montrait un système de traçage élaboré pointant en effet le vaisseau lui même, et listant l’historique des déplacements de la jeune femme sur la planète Rytif. Elle observa cela un long instant, plissant les yeux et utilisant sa matière grise. Il se contentait de la regarder, encore une fois très proche d’elle, elle finit par tourner son regard vers lui.
– C’est une clé mémoire que vous pistez n’est ce pas ?
– La clé mémoire d’un “jeu vidéo” clandestin, répondit-il en hochant la tête. L’homme qui t’a blessé hier n’était pas juste un connard de dragueur éconduit hein ?
Elle sorti la petite clé mémoire estampillée “VASS” de sa poche.
– Non c’était un assassin professionnel, et il voulait récupérer cela lui aussi.
– Les données sur c’te clé, elles concernent ta cession sur le jeu ?
La jeune femme dardait son regard sur l’homme, cherchant à déceler le moindre signe d’hostilité mais il n’y en avait aucun.
– Mes cessions de jeu oui, deux. Je suis allée au bout à chaque fois. Mais pourquoi ça a tant de valeur ?
– L’avancée scientifique autant que le commerce de loisir clandestin de haute technologie sont deux facteurs de convoitise pour générer de gros profits.
– Quel est ton rôle là dedans Cole ? Tu n’as rien d’un tueur toi.
– J’aide des amis à privilégier l’avancée scientifique sur les gros profits. Comment t’as eu VASS entre les mains ?
Son ton n’avait rien d’une injonction, la jeune femme sentait qu’elle pouvait choisir de répondre ou de ne pas répondre.
– L’exemplaire du jeu appartenait à Peter Gray, un homme d’affaire de petite envergure et peu scrupuleux des lois. Il m’a fait essayer VASS et l’expérience m’a suffisamment troublé pour que je songe à lui subtiliser la clé mémoire. Manifestement j’aurai du m’abstenir. Gray a été assassiné depuis, et j’ai aussi un assassin à mes trousses.
– Pourquoi tu côtoyais c’type ?
Ils échangèrent un long silence lourd de sens. Elle enchaina sans répondre.
– Tu veux la clé alors.
– C’est à toi de décider c’que tu veux en faire, je ne te forcerai pas la main. Mais je peux peut-être te proposer un deal.
– Je t’écoute.
– Je te trouve une nouvelle identité, et en échange tu m’aides à retrouver la trace de trois autres clés comme celle-ci. Vu ce qui vient de t’arriver, ces dispositifs VASS en circulation mettent en grand danger ceux qui les possèdent, et le timing est très serré.
Il marqua une petite pause pour la regarder, elle écoutait attentivement, sans le lâcher du regard. Il poursuivit.
– Elles se trouvent plus ou moins aux quat’coins de la galaxie. Même si elle en a pas l’air, Heraldess est une princesse d’une rapidité exceptionnelle, mais le pilote a besoin d’se reposer un minimum si il veut pouvoir assurer le transit le plus rapidement possible. Donc voilà le deal, j’te conduis sur site et toi tu prends contact avec le possesseur d’la clé pendant que j’me pieute pour pouvoir ensuite reprendre la route fissa. Toi tu t’reposes pendant le voyage. Tu penses avoir les compétences nécessaires pour gérer ça ?
– Oui, j’ai les compétences, répondit-elle sans la moindre hésitation et retrouvant cette petite pointe d’arrogance qui la caractérise souvent. En revanche, j’ai trois questions.
– J’t’écoute.
– Prendre contact, ça inclut de récupérer chaque clé mémoire ou simplement localiser le propriétaire du jeu ?
– J’pense que l’mieux c’est de jouer franc-jeu. Tu l’informes et tu lui proposes de se débarrasser du problème en t’refilant la clé. Après si t’estimes qu’il faut lui voler à toi d’voir, mais on est pas là pour buter qui que ce soit ok ?
– Vu, elle hocha la tête, semblant d’accord avec la méthode. Seconde question, admettons que nous récupérions les trois clés, à la fin dois-je te donner la mienne également ?
Cole sourit un peu, et répéta.
– C’est toi qui décidera.
– Soit, dernière question. Est ce que je peux avoir ma nouvelle identité avant ? Car ça me serait très utile pour pouvoir agir correctement dans ce boulot.
– Ca m’semble normal, ta nouvelle identité en premier, après on bosse. Deal ?
Il lui tendit la main, la jeune femme réfléchit, semblant hésiter sur un point de détail avant de se raviser et de lui serrer la main vivement.
– Deal !

Vous savez ce qui m’a fait hésiter ?
C’est la perspective de passer autant de temps dans cet espèce de cagibi malodorant qui nous sert de vaisseau. Il est très difficile de résister à la tentation d’ouvrir une foutue fenêtre qui n’existe absolument pas évidement; ou alors de se procurer un nettoyeur haute pression pour tout décaper. Faute de mieux, la première chose que je vais faire quand je pourrai avoir un contact avec la civilisation sera d’acheter un panier à linge pour monsieur Cole, un pack de solar-7 ainsi qu’un sac de couchage et un oreiller pour ne pas avoir à dormir pliée en quatre dans un angle plein de cambouis.

…Et une brosse à dents.
…Non, deux brosses à dents, ça lui sera fort utile aussi.

L’Heraldess naviguait dans un secteur de la galaxie ou peu de vaisseaux circulaient. Cole avait tout du pilote expérimenté, sous cet air un peu laconique et nonchalant se cachait un navigateur chevronné et appliqué. Il maîtrisait son appareil et il savait éviter les mauvaises rencontres. En effet aussi rapide qu’il soit, le Herald n’était pas un vaisseau taillé pour le combat. En revanche il était solide, fiable, et possédait un équipement technologique de très haute qualité, il disposait même d’un petit coffre fort.

Cole finit par poser l’appareil dans une espèce de base secrète, on ne pouvait la qualifier autrement, à l’intérieur de ce qui s’apparentait à un petit corps céleste comme une lune ou un gros astéroïde. La jeune femme n’avait que peu de connaissance en la matière et elle aurait été incapable de situer l’endroit ou ils arrivaient tous deux.
Ce qui ressemblait d’abord à une grotte se changea en complexe abritant au moins un large hangar pressurisé et probablement quelques salles annexes. Nichée derrière le siège de Cole, elle observait activement l’environnement, croyant repérer un logo indiquant la société VFG Industrial.
– Navrée ma jolie mais faut que tu restes à la console. Tu n’devrais pas avoir l’droit d’être ici, on a pas encore passé ce stade de confiance dans nos relations.
Elle comprenait, mais ça ne l’empêcha pas de grappiller quelques secondes d’observation intensive.
– Ca veut dire que tu vas débarquer, et que moi je vais devoir rester enfermée à poireauter au milieu de cadavres de Liberty Lake et de tes caleçons usagers ?
Cole souriait tout en posant l’appareil en douceur.
– Tu sais que j’aime beaucoup ton sens de la formule ?
Elle éluda cette question rhétorique.
– Combien de temps vais-je devoir patienter ?
– On a un timing serré alors j’vais pas trainer. J’vais avoir besoin d’une photo d’toi par contre, et de toutes les infos nécessaires pour t’établir une identité civile légale dans l’UEE.
La jeune femme acquiesça et se mit au travail sur la petite console pour lui fournir toutes les informations requises. Et elle se hâta de regrouper les cadavres de bière ainsi que le linge sale de monsieur histoire qu’il évacue tout ça de là. Cole prit tout ça avec lui, non sans un petit sourire.
– Tu embellis mon quotidien jeune inconnue.
– Ca n’a pas l’air très difficile !

Elle resta donc à faire les cent pas dans l’appareil. Elle s’était suffisamment reposée pour avoir retrouvé la forme. Son pouce était toujours très douloureux mais l’atèle et les anti inflammatoires faisaient que si elle ne le bougeait pas elle ne le sentait presque pas. Cela l’handicapait un peu par contre. Néanmoins elle entreprit d’occuper son temps d’attente à ranger le vaisseau dans un premier temps, puis à faire de l’exercice dans un second. Il fallait être imaginatif pour utiliser le peu d’espace à s’entrainer physiquement, mais elle ne manquait guère d’imagination. Enfin pour terminer, elle entreprit de regarder par le cockpit dans tous les angles possibles et imaginables. Ne voyant pas grand chose de plus à part le nez d’un autre vaisseau, bien plus volumineux et esthétique que le Herald à première vue, elle ne parvint pas à déterminer clairement le modèle, peut-être un Constellation. Finalement en se tortillant dans une position improbable, elle réussit tout de même à lire sur la coque ce qui s’apparentait au nom du vaisseau, c’était écrit “Armitage”.

La porte de l’Heraldess s’ouvrit à ce moment, Cole entrant en la regardant se repositionner normalement avec un adorable sourire de peste.
– T’étais…en train de faire quoi là ?
– Du stretching ! Dit-elle en clignant des yeux plusieurs fois.
– Comme les chats hein, tu retombes toujours sur tes pattes toi.
Elle lui sourit et s’avança vers lui !
– Alors, cette identité ?
Cole déposa un sac avec quelques affaires, en sorti un mobiglass et lui tendit.
– Voila je t’ai trouvé quelques fringues et quelques affaires de fille, souriant en coin puis poursuivant ensuite. Et t’as aussi un nom, Kiani Cole.
Alors qu’elle avait déjà presque arraché le mobiglass des mains de l’homme et qu’elle avait plongé un nez très critique dans le sac d’affaires, elle bloqua, releva la tête instantanément et ouvrit grand les yeux.
– Kiani Cole ?… Kiani COLE ??? Ne me dis pas que je suis ton épouse ???
Elle le foudroyait du regard, lui s’était écarté à distance de sécurité, et se voulait rassurant.
– Naaa naaa, tu es… ma fille.
Là elle écarquilla encore davantage les yeux.
– ta FILLE ? Mais c’est presque encore PIRE !!! P…Pourquoi ?
Il leva les mains, de manière apaisante.
– On a pas fait ça pour t’emmerder hein, c’était administrativement plus facile et ça créé un lien qui donne d’la crédibilité en cas d’enquête poussée. Si on vient m’interroger j’pourrais confirmer. Et je t’assure que mon “nom” n’te posera pas de problème, y’a même eu un temps ou j’ai été considéré comme quelqu’un de bien tu vois.
La jeune femme fit quelque pas dans l’étroit corridor qui composait l’unique espace intérieur du Herald, elle tournait pratiquement en rond avec une furieuse envie de se passer les nerfs sur tout objet destructible à portée. Elle s’efforça finalement à retrouver un semblant de calme et surtout de réflexion, concédant d’un hochement de tête.
– Bon, soit, admettons… Maintenant, pourquoi Kiani ? dit-elle en levant un index menaçant.
Après un court sourire, Cole toussota avant de répondre.
– Je t’ai d’jà parlé de mon p’tit problème d’imagination non ?
Elle fit tourner son doigt comme pour lui indiquer d’embrayer…Il embraya
– Ok, et bien il fallait bien t’donner un prénom alors comme j’ai déjà une fille qui s’appelle Kiana j’ai pensé à Kiani… J’ai pas vraiment mieux comme explication.

Kiana, Kiani… Ne voyez surtout pas là un artifice machiavélique pour un amateur de loisirs vidéo-ludiques de concilier deux personnages en un même compte, surtout pas !

Elle cligna des yeux, à un rythme quasi effréné durant une demi seconde, pour conclure.
– En effet, tu as un problème d’imagination !
– Ouai, lâcha t-il laconiquement.
– Donc tu as une vraie fille qui s’appelle Kiana et maintenant une fausse fille qui s’appelle Kiani, et ça ne te pose aucun problème ?
Cole haussa les épaule, un peu gêné tout de même. Elle poursuivit.
– Tu as donc une femme aussi ?
– Ex-femme.
– Et ta fille, elle… est vivante ?
– Ouaip.
– Tu ne lui a pas demandé son avis ?
– Nope… On ne s’est pas vu depuis bien longtemps à vrai dire, et j’ai pas trop envie d’en parler.
– Je dois arrêter l’interrogatoire et me contenter de cela alors ?
– Ce s’rait sympa d’ta part._
La jeune femme le regarda longuement, puis elle finit par soupirer et concéder d’un signe de tête. Il acquiesça aussi, sérieux mine de rien, montrant qu’il ne prenait pas cela à la légère. Il approcha d’elle et lui tendit la main une nouvelle fois.
– On a toujours notre deal ma jolie ?
– On a toujours notre deal cowboy de l’espace.
Elle lui serra la main vigoureusement.
Une petite heure plus tard, ils repartaient tous deux vers le signal de la plus proche clé mémoire VASS.

A suivre …

 


 
Solar-7_Kian
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