Solar-7 : Episode 6 – Wildfire

 
 
 
Lorsque l’on vit seul sur une station spatiale scientifique entièrement automatisée, coupé de tout contact social depuis plusieurs mois, il est essentiel pour la santé physique autant que psychologique de maintenir un rythme de vie très minuté ainsi qu’une routine. Notre organisme a besoin de repères pour fonctionner de manière saine et opérationnelle. Le professeur Orson Kemp, astrophysicien, était un homme discipliné et expérimenté.
 
Le réveil sonnait chaque jour de la semaine à sept heures, il s’adonnait dès le réveil à quelques exercices physiques pour ne pas s’empâter dans une sédentarité excessive puis il déjeunait. Le reste de la matinée était consacré à l’analyse des données récoltées durant la nuit, il prenait son repas du midi entre douze et treize heures puis s’accordait une heure de temps libre durant laquelle il se promenait dans la station. L’après midi il travaillait à l’organisation de nouvelles tâches, au calibrage des appareils, aux contrôles de maintenance et aux tâches administratives. Il arrêtait son activité autour de dix huit heures invariablement pour se détendre un peu, prendre le repas du soir et ensuite il se vidait l’esprit en lisant, regardant des vids, jouant à des jeux. Il se couchait à vingt trois heures.
Le planning de chaque weekend était différent du planning de la semaine car il était tout aussi important de maintenir un rythme journalier qu’hebdomadaire, il se réveillait deux heures plus tard et ne pratiquait pas d’activité physique. En fait, il consacrait chacun de ses weekend à VASS, calibrant de nouvelles parties chaque samedi pour s’y adonner durant la nuit du samedi au dimanche. Le dimanche enfin il établissait des comptes rendus de chaque cession afin d’améliorer la cession du weekend suivant. C’était devenu une passion qu’il parvenait à ne pas amener au stade de l’obsession en cantonnant scrupuleusement cette activité au weekend, cependant il était obligé de constater que seuls les univers oniriques qu’il parcourait avec ce jeu lui procuraient encore la sensation de vivre et d’exister. Le reste du temps il se sentait plus proche du robot que de l’être humain, sa vie avait peu à peu perdu son sel et sa saveur.
 
Orson Kemp avait participé à la conception de VASS pour Original System. En tant qu’astrophysicien il était chargé de superviser la crédibilité des lois physiques et cosmologiques de chaque environnement conçu par le programme. Son travail avait été précieux et il avait très mal vécu son licenciement suite à l’abandon du projet par le fameux éditeur. Il s’était passionné pour les possibilités offertes par le jeu et était pratiquement tombé en dépression pendant les semaines qui avait suivi son éviction. Alors quand on lui avait offert de poursuivre son travail, même de manière clandestine, il avait donné son accord sans hésiter.
Le professeur Kemp se fit donc embaucher pour un emploi solitaire à bord d’une station spatiale scientifique de l’UEE particulièrement isolée. La station se situait aux abords de la planète Odin III dans le système du même nom, son objectif était l’étude des effets de l’évolution d’une étoile en naine blanche sur les astres sous son influence.
 
A la base cette station était censée fonctionner de manière quasi autonome mais l’UEE avait jugé bon de maintenir une présence humaine permanente pour des raisons d’efficacité et de sécurité. Kemp avait accepté ce poste bien rémunéré mais particulièrement ingrat car il savait que cette isolation lui permettrait de ne pas être inquiété vis à vis de VASS, il savait qu’il pourrait poursuivre sa conception d’un “univers virtuel” cosmologiquement parfait.
Au bout de plusieurs mois seul, il évaluait être parvenu à ses fins. En revanche ce qu’il avait sous estimé était l’effet délétère qu’avait eu ce travail sur sa psyché, Orson Kemp avait fini par se convaincre que VASS pouvait être tout aussi réel que le monde dans lequel il vivait. Il avait fini par se persuader que si il programmait une cession de jeu sans fin, et qu’il s’assurait de ne pas se réveiller grâce à une forte prise de somnifères, alors son esprit voyagerait de manière définitive vers ce nouveau monde.
Parfaitement conscient que cela allait certainement le tuer, il considérait que ce qu’il vivrait durant cette expérience vaudrait largement plusieurs vies dans sa réalité. A vrai dire, le professeur Kemp ambitionnait même d’atteindre une forme d’immortalité de cette manière, par un procédé de répétition de cycles de jeu théoriquement infinis. Chaque cession conduisant à une nouvelle cession, la relativité du temps subconscient devait l’amener progressivement à vivre une infinité d’existences oniriques en seulement quelques jours de temps réel. Au fil des cessions le temps se compresserait davantage pour au final ne plus compter vis à vis de son existence physique.
 
Ce samedi soir, il entamait son voyage sans fin.
Et ce même samedi soir l’Heraldess approchait de la station, car Orson Kemp possédait le dernier dispositif VASS clandestin à récupérer.
 

“She comes down from Yellow Mountain
On a dark, flat land she rides
On a pony she named Wildfire
With a whirlwind by her side
On a cold Nebraska night
 
Oh, they say she died one winter
When there came a killing frost
And the pony she named Wildfire
Busted down it’s stall
In a blizzard he was lost
 
She ran calling Wildfire
She ran calling Wildfire
She ran calling Wildfire
 
By the dark of the moon I planted
But there came an early snow
There’s been a hoot-owl howling by my window now
For six nights in a row
She’s coming for me, I know
And on Wildfire we’re both gonna go
 
We’ll be riding Wildfire
We’ll be riding Wildfire
We’ll be riding Wildfire
 
On Wildfire we’re gonna ride
Gonna leave sodbustin’ behind
Get these hard times right on out of our minds
Riding Wildfire”

 

(*) Wildfire : Une très jolie chanson interprétée par Michael Martin Murphey
– https://www.youtube.com/watch?v=Pc3OnSQc48s –

 
 
Kiani s’éveilla paisiblement après de longues heures de repos, elle écoutait Cole entonner tout près d’elle une chanson d’un autre âge, la voix de celui-ci s’était faite plus sensible que trainante pour l’occasion. Il tenait sa main valide et la couvait du regard. Elle attendit la fin pour ouvrir des yeux embués et le regarder, un léger sourire sur le visage.
– Ca fait un sacré bout de temps que l’on ne se ballade plus à cheval Cole, dit-elle d’une voix douce et encore un peu endormie.
– C’est une très vieille chanson, mais on peut facilement assimiler Wildfire à un vaisseau tu sais, avec un peu d’imagination.
– Tant que tu ne l’assimiles pas à une blonde ça me va…
– J’pourrai, ça t’irais pas si mal une jument sauvage… Vive, rapide, farouche et passionnée, qui cherche sa place en ce bas monde, répondit-il en souriant.
Elle le regarda longuement sans répondre, lui renvoyant juste une expression presque complice, il poursuivit alors.
– J’ai l’droit de m’occuper un peu d’ta main en vrac ?
Elle répondit à l’affirmative d’un fin hochement de tête, il s’affaira alors avec minutie à lui défaire son attèle pour lui injecter un anti inflammatoire et nettoyer un peu tout ça.
– T’as des grandes mains pour une brindille, dit-il évasivement.
– N’est ce pas, à vrai dire je suis une grande brindille, mais on m’a déjà dit que j’avais des mains de pianiste. Pourtant je crois que j’ai tout sauf la fibre artistique… Contrairement à toi Cole, répondit-elle avec un léger sourire.
– Si tu fais référence à mes chansons ringardes, c’est pas très fairplay, sourit-il.
– C’était très mignon.
– Vraiment ?
– Vraiment.
Cole se concentra un peu sur les soins, lui replaçant l’attèle solidement et il reprit ensuite.
– T’en as fais beaucoup Kiani ces derniers jours, et c’est devenu plus dangereux que je l’croyais au début. T’es pas obligée de continuer t’sais, je peux te déposer quelque part et te filer assez d’crédits pour que tu puisses recommencer une nouvelle vie. A vrai dire j’crois que ça me rassurerait, tu mérites pas toutes ces emmerdes.
– Tu ferais ça, vraiment ?
– Ouai, t’as été chouette et j’m’en voudrai beaucoup si il t’arrivait un truc.
Elle sembla réfléchir, toujours allongée, les yeux fixés sur le plafond, pour répondre finalement.
– Objectivement Cole, ce serait un mauvais choix. Un détour maintenant serait une perte de temps qui pourrait s’avérer très néfaste, Stone est surement sur le chemin pour notre prochaine destination et chaque minute comptera. A partir de là, tu es un meilleur pilote alors notre équipe fonctionne correctement non ? Toi en vol et moi au sol.
– J’suis pas si souvent objectif…
– Il ne reste qu’une clé, c’était notre marché non ?
Cole acquiesça non sans éprouver quelques remords, à ce moment un petit signal à bord de l’Heraldess indiqua que la destination était proche, alors il retourna s’installer à son siège pour repasser en pilotage manuel.
Kiani se leva assez vite, son corps était tout courbaturé et elle se sentait encore bien épuisée. Ces derniers jours avaient été éprouvants, son pouce la faisait toujours souffrir même si les injections parvenaient à rendre la douleur supportable. Elle prit le temps de se changer, de se faire un brin de toilette et de manger un peu avant de le rejoindre au cockpit.
Elle vint près de lui, buvant son avant dernière canette de solar-7.
– Monsieur Cole, un petit topo serait bienvenu je crois…
Cole se lança alors dans un rapide briefing.
– La dernière clé mémoire est en possession du professeur Orson Kemp, un des scientifiques qui a participé à la conception de VASS. Il a été viré quand l’UEE à interdit le jeu à la vente et depuis il a accepté un boulot foireux dans une station spatiale automatisée et paumée aux confins du système Odin. Il bosse tout seul depuis presque neuf mois, et il a gardé un dispositif avec lui pour occuper ses heures perdues.
– As tu réussi à entrer en contact avec lui ? demanda-t-elle.
– J’ai essayé mais aucune réponse, et c’est pas vraiment normal. Je te passe le dernier message qu’il a enregistré à l’attention d’éventuels visiteurs.
 
” Ici le professeur Orson Kemp, responsable de la station UEE-SK145. J’entre ce jour en phase de sommeil prolongé, les hangar A et B de la station sont à votre service si vous devez apponter pour urgence, tous les systèmes sont automatisés et opérationnels. Je vous demanderai juste de ne pas me déranger, et de ne pas vous rendre dans le module de recherche, sous aucun prétexte. ”
 
Kiani prit une longue gorgée de solar-7.
– Le message est d’aujourd’hui ?
– D’il y a cinq heures ouai.
– Donc si je résume, on peut apponter mais en théorie on ne doit pas se rendre dans le module scientifique de la station. Cependant je suppose que c’est là ou se trouvera le dispositif VASS car il est tout à fait probable qu’il soit en ce moment même en train de l’utiliser. Il va me falloir du matériel pour désactiver ou contourner les systèmes de sécurité. On a ça ? Car j’ai perdu mon mobiglass en plus…
– La milice te l’a prit sur Terra ?
Kiani acquiesça et Cole réfléchit un peu avant de poursuivre.
– Il y a deux combinaisons de combat zéro-G à bord, vu que t’es une grande tige elles devraient t’aller. Elles disposent toutes les deux d’un ordinateur qui fonctionne en réseau avec l’Heraldess, donc si tu peux te connecter physiquement sur les consoles de la station on disposera de la puissance de la belle pour contourner les système de sécurité, ça devrait suffire si tu t’y connais un minimum.
– Je m’y connais plus qu’un minimum, reprenant son petit ton supérieur.
– J’en doute pas ma jolie aux doigts de fée.
 
Kiani acheva de boire sa canette, pinça sadiquement les cotes du pilote qui grimaça en retour, puis elle alla s’équiper. Encore une fois le plus délicat fut de faire cohabiter son attèle avec les étroits gants de la combinaison, tout le reste lui allait correctement, même si c’était un peu large.
Elle ronchonnait tout de même.
– Je déteste tout ce qui entrave mes mouvements !
Cole ajouta du cockpit.
– Tu devrais prendre une arme aussi, on sait jamais…
– Ca ira merci, je déteste les armes !
Il fronça les sourcils.
– Tu crois pas qu’tu pourrais mettre les caprices de coté cette fois ?
– C’est bien toi qui m’a expliqué que le voyage était plus important que la destination n’est ce pas ? Et bien une arme est ce qu’on appelle un raccourci, et un tel raccourci est très néfaste pour l’accomplissement personnel. Je suis ma meilleure arme, et je suis d’autant meilleure que je ne parasite mon “voyage” avec des raccourcis.
Ce fut au tour de Cole de ronchonner sur son siège.
– Donc tu n’utilises jamais d’arme ?
– Seulement quand c’est indispensable, ou quand j’aurai atteint un accomplissement personnel que j’estimerai suffisant pour qu’il ne soit plus parasité par un raccourci, conclu-t-elle.
– Mouai, j’crois que c’est pas la peine que j’argumente hein ?
– Pas la peine du tout ! Mais merci de t’inquiéter pour moi.
Après une petite seconde, Cole demanda fier de lui.
– Et l’solar-7 c’est pas un raccourci ?
– Je t’emmerde Cole, cordialement.
 
Vous êtes parfaitement en droit de trouver mon raisonnement absurde, limité ou prétentieux. D’une part je suis prétentieuse c’est un fait, et d’autres part je n’ai pas le temps de développer suffisamment mon point de vue pour vous le rendre moins “limité”. Mais ça fait maintenant plusieurs siècles voire millénaires que l’homme utilise une multitude d’outils. Il y a des outils pour tout et n’importe quoi, pour autant aucun outil n’a jamais pu nous affranchir complètement de notre corps et de notre tête. Un outil est simplement fait pour nous faciliter la vie, or on ne progresse pas autant dans la facilité que dans la difficulté. Les premiers outils à développer et à maitriser quand on veut exceller et s’élever plus haut que le citoyen lambda restent invariablement depuis la nuit des temps notre esprit, notre corps et notre âme.
Bon, Je suis plus circonspecte concernant notre âme car c’est un concept un peu trop abstrait aujourd’hui encore, mais je veux bien concéder que ça doit servir à quelque chose !
Je ne vous donnerai qu’un conseil, atteignez d’abord l’excellence en vous même, après alors vous pourrez exceller bien plus aisément dans tout ce qui vous chantera.

 
La station UEE-SK145 était située dans l’orbite lointain de la planète Odin III, un astre entièrement recouvert de glace et portant d’innombrables cicatrices d’essais d’armements lourds en tout genre. Le secteur ne présentant aucun véritable intérêt pour la plupart des voyageurs spatiaux, il était extrêmement peu visité et pour ainsi dire coupé même de la plupart des relais d’informations présents dans le système. La station en elle même était composée de deux sections. Le plus petit bloc correspondait au laboratoire scientifique alors que l’autre plus massif comprenait deux hangars d’appontage et les commodités associées. Les deux blocs étaient reliés par un long corridor tubulaire d’environ un kilomètre. Le laboratoire était tourné vers la planète avec tout son arsenal de sondes, de senseurs et de matériel d’analyse.
 
Apponter, accéder au corridor, le traverser et accéder au laboratoire. Puis aviser en fonction de la situation du professeur Kemp pour récupérer le dispositif, et enfin rejoindre Cole et son cafard volant !
 
…Et gérer les imprévus, en général c’est là que ça coince.

 
L’Heraldess se posa dans le hangar A, les deux hangars de la station étaient étroits et ne pouvaient pas accueillir de vaisseaux plus imposants qu’un Freelancer. Kiani ne perdit pas un instant et traversa le hangar qui, mis à part quelques containers stockés dans le fond et du matériel de maintenance, était pratiquement vide. Elle monta à l’escalier pour atteindre la passerelle, au bout de celle ci se trouvait une console d’opération. Elle s’y connecta rapidement pour accéder à un plan de la station, il n’était pas détaillé mais ça lui suffirait amplement pour se représenter mentalement les lieux et mémoriser les quelques informations importantes. L’ensemble du bloc hangar était bien accessible pour les visiteurs, en revanche comme prévu le corridor d’accès au laboratoire était lui verrouillé. Elle n’avait pas les accès donc elle allait devoir passer par les systèmes de l’Heraldess pour pirater la console. Elle engagea la procédure. Elle n’était pas à proprement parler une experte en la matière mais ses connaissances étaient suffisantes pour opérer efficacement et déverrouiller l’accès au labo en quelques longues minutes.
– Ok Cole, j’ai ouvert le corridor et désactivé les sécurités électroniques du labo. J’ai aussi activé la gravité artificielle dedans, il ne devrait plus rester qu’un sas à déverrouiller manuellement à l’entrée. Je me mets en route !
– Bien reçu, sois prudente. Normalement Kemp est tout sauf dangereux mais son message n’était pas bien encourageant.
Cole restait en alerte à bord de l’Heraldess, il avait passé la seconde combinaison zero-G et s’était armé. Au cas ou, il se tenait prêt à toute éventualité. Il ne se reposerait pas durant cet intermède.
 
Kiani traversa le long corridor séparant les deux sections de la station au petit trot, un peu mal à l’aise dans sa combinaison légèrement trop large pour elle. Elle arriva au sas d’accès du laboratoire, observant rapidement ses caractéristiques. Sans perdre trop de temps elle sorti un petit couteau, sectionna un câble puis ouvrit le boitier de maintenance. De là elle désactiva le moteur hydraulique du sas ainsi que le système de frein de sécurité, enfin elle tourna la manivelle pour déverrouiller manuellement et elle poussa fort pour ouvrir un passage et s’introduire dans le bloc scientifique.
 
Le bloc était dans un état impeccable, parfaitement rangé, tout était à sa place et même le ménage y était fait régulièrement. Elle ne s’attarda pas sur les détails trop longtemps, elle restait sur ses gardes en progressant couloir par couloir et pièce par pièce. Il n’y avait pas le moindre bruit mais les lumières restaient allumées dans presque toute la section. Elle trouva le professeur Kemp dans ses quartiers personnels, allongé sur sa couchette avec le dispositif VASS actif et positionné sur son crâne. Elle s’approcha vite et constata qu’il ne respirait plus, Kiani analysa que son état était du à une prise trop importante de somnifères probablement amplifiée par l’effet du dispositif sur son subconscient. Elle se crispa sensiblement.
 
Qu’est ce que cet idiot a cherché à faire ?
 
La voix de Cole résonna dans l’oreillette de la jeune femme.
– T’en es ou ma jolie ?
– Le professeur est devant moi, il s’est suicidé avec le jeu sur la caboche, je ne comprends pas pourquoi il a fait ça…
La voix de Cole était bien plus hâtive qu’à l’habitude.
– Ecoutes Kiani, tu peux récupérer la clé mémoire ?
– Oui, mais qu’est ce qu’il y a ?
Il poursuivit.
– Ta priorité c’est de récupérer la clé puis de t’enfermer dans le bloc, tu peux faire ça ?
Elle marqua un court temps de réflexion.
– Je suppose que oui, mais réponds moi !
– Je viens de repérer en visuel un vaisseau en train de se poser dans le Hangar B, je n’l’ai pas vu au radar il doit avoir un système furtif. T’as eu l’occasion de voir le vaisseau d’ton pote assassin jusque là ?
Kiani serra les poings fort, si fort qu’elle s’en faisait mal au pouce.
– Non.
– C’est un 315p manifestement super bien équipé, dit-il sous pression.
– Je n’y connais rien en vaisseaux Cole, mais si c’est lui tu devrais t’en aller d’ici très vite !
– Non, non en vol Heraldess n’a aucune chance au combat contre ce type de modèle, elle ne sera pas plus rapide non plus et l’environnement ne me permettra pas de jouer à cache-cache.
– Si c’est Stone et que tu restes ici, il va te tuer, ce type est un assassin professionnel de haut niveau crois moi.
– Ouai j’ai cru comprendre que t’en connaissais un rayon, mais j’ai pas vraiment l’choix, faut qu’je tente ma chance ici !
 
Elle fulminait.
– Non cache toi, attends moi et on va l’aff…
Il lui coupa la parole.
– Ecoutes moi s’il te plait, je t’ai entrainé là dedans alors fais ce que je te dis, la clé de Kemp est plus importante que moi. Je viens d’envoyer un message, il y a de bonnes chances qu’il soit capté et qu’on puisse avoir de l’aide d’ici quelques heures. Alors enferme toi dans le bloc scientifique et attends les secours. Si j’arrive à m’en sortir je te recontacte dans quelques minutes !
– Non non non NON !
– Kiani, fais ce que je te dis je t’en prie, j’ai pas l’intention d’me faire buter mais j’pourrai pas supporter que toi t’y restes. Alors enferme toi et attends !
Cole coupa la transmission.
 
Mais qu’est ce que c’est que ces gens qui se sacrifient pour moi à la première occasion, c’est STUPIDE et je suis loin loin loin de mériter ça…
Non ils ne se sacrifient pas pour moi, ils se sacrifient pour VASS, du moins je l’espère. En quoi ce jeu peut-il être si important pour qu’ils risquent leur vie ainsi, ou qu’on engage un tueur qui doit valoir une petite fortune pour le récupérer ?

 
Maudissant Cole, Kiani retira la clé mémoire du dispositif et l’observa un instant, elle était annotée d’une mention “23” écrite au stylo. Elle la glissa tout de même dans une poche.
 
Les autres clés n’avaient pas d’annotation…
Mais ce n’est pas le moment…

 
Elle retourna très vite au sas, referma celui-ci, resserra manuellement les verrous à la manivelle et s’affaira à la bloquer physiquement avec le manche d’un balai. Puis elle s’assit contre la paroi et se mit à gamberger.
 
Contacte moi Cole, dis moi que t’es aussi bon combattant que pilote, s’il te plais.
 
Les secondes et minutes passèrent dans un silence pesant, la jeune femme était une nouvelle fois en proie à de terribles conflits intérieurs auxquels elle ne parvenait pas à trouver d’issue qui lui convenait. Objectivement suivre les instructions de Cole semblait être la tactique la plus sure pour conserver la clé, si toutefois cette fameuse “aide” arrivait dans les temps. Ca ne lui convenait pas pour autant.
 
Appelle, appelle, appelle je t’en prie…
 
– Asmodeis ?
Elle ne reconnaissait que trop bien cette voix fluette, même au travers de l’oreillette.
 
Sale enfoiré !
 
– Dis moi que tu ne l’as pas tué, répondit-elle à Stone.
– Il doit vivre encore, mais ce n’est plus qu’une question de minutes et ça ne dépend plus vraiment de moi maintenant. Cependant ton ami n’est pas encore au stade de l’antilaz.
Les yeux fermés, une petite larme coulant le long de sa joue, elle dit.
– Tu…. viens de la même secte que moi si tu connais mon nom de code…
– On m’a parlé de toi durant le trajet oui, de bonnes notes durant ta formation puis un parcours honorable mais quelle déception ce fut de découvrir que tu as tourné les talons à la première occasion. Je fais cela depuis sept ans de plus que toi, tu as du te rendre compte du chemin qui te restait à parcourir pour rivaliser.
Kiani ne répondit pas, à vrai dire à cet instant les railleries lui importait peu.
Stone poursuivit alors.
– Tu as raison, restons professionnels, je te propose un sauf-conduit honnête.
– Dis toujours…
– Je me trouve à l’heure actuelle à l’intérieur de votre vaisseau, et je constate que trois des quatre clés se trouvent dans un coffre sécurisé que je n’ai pas le moyen d’ouvrir rapidement sans ton aide, il me manque un code d’accès. Je te propose d’échanger ce simple code contre ma parole de ne pas mettre ton ami dans un état qui interdirait toute forme de résurrection médicale. Et comme j’imagine que tu t’es soigneusement enfermée dans le laboratoire avec la dernière clé, je te propose d’échanger la clé contre ma parole de te laisser en vie. Tu repars avec ton vaisseau ainsi que ton ami, et je repars avec l’objet de ma mission, sacrifiant l’objectif secondaire d’éliminer les témoins gênants. Mais je le ferai de bon coeur en l’honneur d’une ex-collègue si valeureuse.
Kiani se cogna l’arrière de la tête contre la paroi du sas, tendue, le conflit intérieur la terrassant toujours autant. Stone conclut.
– C’est l’option facile, mais si tu te sens d’humeur téméraire tu peux encore tenter d’obtenir une victoire totale en venant m’affronter. Le gagnant remporte tout.
Elle fixait l’espace par le hublot, presque totalement immobile.
 
Sale enfoiré.
 
Elle finit par répondre, d’une voix étrangement sereine.
– Le code d’accès du coffre est 96XE-18A, ne touche plus mon ami.
– Accordé, laisse moi une minute veux-tu.
Kiani se leva alors, il fallait mettre chaque seconde à profit. Elle se dirigea vite jusqu’aux quartiers de Kemp pour tirer celui-ci de sa couchette. Stone reprit la communication alors qu’elle le trainait dans les couloirs du bloc scientifique.
– Le code fonctionne, j’ai récupéré les trois clés. Ou se retrouve-t-on pour la seconde partie ?
– Je suis enfermée dans le bloc, Stone, alors si tu veux la clé il va falloir que tu ouvres du coté corridor et que je déverrouille du coté labo, sinon je ne peux pas plus sortir que tu peux entrer alors rejoins moi, répondit-elle en déposant le corps de Kemp a coté d’une nacelle de survie.
– J’arrive Asmodeis. J’ai hâte de découvrir ce que tu vas choisir, acheva-t-il.
Kiani coupa la communication tout en installant frénétiquement Kemp à l’intérieur de la nacelle, puis elle programma la balise de détresse, après tout il pourrait être récupéré et probablement soigné.
 
Il ne va pas courir, il me reste quelques minutes le temps qu’il traverse le corridor.
 
Elle referma la nacelle et lança l’éjection, la suivant du regard une seconde par le hublot, puis elle se précipita jusqu’à la console de sécurité du laboratoire. Il lui fallu quelques minutes pour prendre le contrôle des fonctions primaires avec l’aide de l’ordinateur du Herald, elle lança la procédure d’isolation en zero-G du bloc scientifique.
Quelques secondes plus tard Kiani se retrouvait en apesanteur dans le bloc, si Stone forçait l’accès, il aurait une charmante surprise avec la dépressurisation. Elle retourna alors au sas en flottant habilement dans les couloirs et retira le balais qui bloquait manuellement la manivelle d’ouverture. Puis elle referma le casque de sa combinaison, activa l’oxygène et reparti jusqu’à la soute de la nacelle de survie éjectée. En zero-G le système de sécurité n’allait pas interdire l’ouverture de la soute. Elle se glissa dans le tube d’éjection et en quelques mètres elle fut dans l’espace, agrippée à la paroi externe du bloc laboratoire.
 
Un peu plus d’un kilomètre à parcourir sans jetpack, au moins il y a des points d’accroches pour la maintenance sur la structure de la station, c’est jouable mais si je me foire une seule fois, je suis bonne pour flotter dans l’espace jusqu’à ce que ce castra psychopathe me récupère avec un sourire narquois sur le visage !
 
Kiani s’élança dans une succession de délicates manoeuvres en apesanteur sur l’extérieur de la petite station scientifique. Rejoignant d’abord la structure tubulaire du corridor, elle entrevit une fraction de seconde par un hublot Stone arriver au sas du bloc labo.
Il reprit d’ailleurs la communication à cet instant.
– Je suis au sas, dit-il d’un ton froid.
– C’est déverrouillé de mon côté, il faut que tu utilises le boitier pour désactiver l’hydraulique et ensuite que tu tournes la manivelle.
– Qu’est ce que tu as choisis ?
– Allons, je te laisse la surprise, répondit-elle tout en progressant le long du tube reliant les deux sections, restant en contact permanent avec celui-ci pour ne pas être aspirée par l’attraction même lointaine de la planète Odin III.
– RAAAAAAHHH, s’écria Stone. Il venait certainement de se faire happer par la dépressurisation du couloir à l’ouverture du sas. Elle continuait son avancée, souhaitant très fort sans trop y croire qu’il se soit brisé la nuque sur une paroi au passage !
Au bout de quelques secondes d’agitation qu’elle entendait au travers de l’oreillette, il parvint à dire, secoué.
– Ce…. ce n’est pas très malin tu sais !
Elle serra les dents, sans cesser sa progression rapide.
– Cela dépend, de mon point de vue, je mène deux à zéro contre toi à la course !
Elle l’entendit frapper dans quelque chose avant que la communication ne se coupe.
 
C’est ça, énerve toi Stone…
 
Elle avançait, lentement mais surement.
Stone allait devoir s’accoutumer de l’apesanteur pour la poursuivre. Soit il choisirait le corridor au risque de trouver l’accès au hangar condamné, soit il choisirait l’extérieur comme elle mais elle aurait suffisamment d’avance. Il pouvait aussi décider de tenter de prendre le contrôle de la console de sécurité du bloc pour réactiver la pesanteur artificielle mais l’opération lui prendrait du temps.
 
C’est jouable !
 
Un dernier petit “saut” le long de la paroi et Kiani s’agrippa au sas du hangar. Stone n’était pas visible à l’extérieur donc quoiqu’il tentait, il le faisait de l’intérieur. Elle ouvrit et se glissa dans le sas puis referma, dépressurisa, et enfin elle entra dans le hangar A. Elle ne prit pas le risque de retourner au corridor pour condamner l’accès à Stone, elle se dirigea directement jusqu’à l’Heraldess, le souffle court. Elle trouva Cole étendu à quelques mètres de là et se précipita sur lui, il avait été touché par deux tirs au niveau de l’abdomen mais il semblait encore respirer.
– Kia…. tu… Stone…. il est ou ?
– chhhht, dit-elle en lui passant un bras autour du torse pour le trainer.
Elle le hissa non sans mal jusqu’a l’intérieur du vaisseau, le déposant et refermant.
– Cole, cole… Tu m’entends ?
Il fit un léger signe de tête, pâle et grièvement blessé.
– Tu m’as dis qu’on allait recevoir des secours hein ? Ils vont venir d’ou ?
– As….téroïdes de…. Odin I. Tu….tu vas piloter ?
– Il va bien falloir non ?
Il devait quasiment sourire en la regardant, presque fier. Elle secoua légèrement la tête, le visage marqué par la fatigue autant que par l’émotion.
– Tu peux mourir si tu veux, ça m’épargnera ce sourire énervant, dit-elle crispée mais essayant comme elle pouvait de maintenir son caractère de peste insensible.
Il devait presque rire, prit de quelques soubresauts, puis il perdit connaissance.
Elle resta quelques secondes à le tenir ainsi, concluant.
– Je vais te trouver de quoi te ramener, je te le promets.
 
Stone reprit alors la communication.
– J’ai toujours les trois clés, Asmodéis. Sa voix avait retrouvé un semblant de calme, mais Kiani y décelait une nette trace de nervosité.
– Et il t’en manque toujours une, dit-elle en se relevant et en fixant le cockpit étroit de l’Heraldess.
– Il semblerait que tu aies l’initiative, alors dis moi, quelle est la suite du programme ?
Kiani prit une longue inspiration puis se dirigea vers les commandes du vaisseau tout en répondant d’une voix déterminée.
– Tu veux te battre Stone ? Alors viens te battre… Dans l’espace.
 
La jeune femme s’installa, s’attacha puis lança les systèmes et les moteurs…
 
 

A suivre …

 
 


 
 
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