Bonjour à tous les paumés des ondes !

A l’antenne, c’est  votre architecte de la vérité, chevalier du salut des ignorants, distributeur de consciences ou, pour les intimes, Mark Deters ! Pour une nouvelle édition du MDS !

Ah ! Votre enthousiasme palpable, que je sens au travers de la toile du temps devant ces nouvelles révélations sensationnelles -que vous aurez sous vos yeux à l’heure où je courrai à nouveau pour échapper aux démons reptiliens-, me donne du baume au cœur. J’apprécie votre vigilance à mon égard, et vos efforts pour ne pas me contacter afin d’éviter de donner des pistes à nos poursuivants, même si ça vous fends sûrement le cœur de ne pas me féliciter pour tout ce travail accompli. Ma boite mail est vide, le répondeur de mon téléphone aussi (je le sais ! Je vérifie tous les jours !), et ça ne m’a jamais fait autant plaisir de le constater. Mais votre absence est illusoire, je nous sens comme un million d’âmes unies ; ensemble pour faire jaillir la vérité, au sujet de cette secte d’illuminés et de dépensiers aveugles, trahissant leur propre conscience et prenant des chemins de traverse les menant à l’abîme qu’ils creusent à coups de millions de dollars mal utilisés ! Ne serait-ce qu’y penser m’arrache le cœur, et je vous le dit, et le redit : nous sauverons ces pauvres gens d’eux-mêmes. Nous leur ferons ouvrir les yeux devant leurs erreurs, devant leur soif d’illusions, devant l’horreur d’un monstre qui, sans vergogne, construit chaque jour le malheur d’une troupe d’abrutis ! –euh, pardon, d’ignorants. Toute la lumière sera faite sur ce comportement sectaire et sécessionniste, qui consiste à donner sa confiance à quelque chose de normativement déviant. Sérieux, vous les indécis qui m’écoutez, vous pensez vraiment que c’est voué à la réussite, le fait de créer un jeu vidéo qui transgresse les règles mêmes du milieu ? Comme si un marginal, parce qu’il avait amassé plus que d’autres pauvres ères qui ont tentés avant lui la même chose, pouvait sortir quelque chose de bien d’un système qui ose construire sur l’argent de donateurs (Ça existe depuis que le principe du don a été créé ? Allons bon).

Vous pensez que secte est un mot bien trop fort ? Permettez-moi de vous prouver le contraire, car j’ai aujourd’hui le plaisir de vous annoncer que j’ai déterré la rencontre d’un membre confirmé de cette organisation de niche par un journaliste sous couverture. Laissons-donc les mots de côté, et regardez attentivement cette retranscription de la très intéressante visite chez Jean-Kévin (nom d’emprunt), donateur depuis 2012. Parce que oui, la fin du monde a bien eu lieu à cette date ; les gens pensent juste que ça aurait dû être brusque, alors qu’en fait, c’est une lente agonie entre les serres du plus grand rapace de notre temps.

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« Faut payer pour toucher ! » Me lance ce petit bonhomme affable, lorsque je m’approche un peu trop de l’icône aux dorures ouvragées qui encadre le visage de Chris Roberts. Un peu décontenancé, je m’éloigne de ce réduit qu’il m’explique comme étant auparavant celui de ses toilettes. « Il y a des choses plus importantes que de poser un étron. Les besoins naturels ne sont rien face à un plus grand accomplissement spirituel. » Saisissant un petit balai à poussière, il commence tranquillement à épousseter méticuleusement chacun des objets à la gloire du “PCMasterRace”, tel que la chose est écrite sur une banderole de papier toilette, fixée de part et d’autre du plafond de la petite pièce.

« J’ai mis des années à rassembler toutes ces reliques à la gloire de notre prophète et sauveur » Me dit-il. Et en effet, quelle collection ! Un véritable billet de un euro  à l’effigie du chien de Chris Roberts, acheté pour la bagatelle de deux cents euros (« Une affaire » Affirme-t-il avec un mouvement de tête « Il était en solde »). Sur le bord droit, une  souris à boule de 1979, posée aux côtés d’une maquette de Constellation Phoenix ; faite métal mais aux bords usés, visiblement lustrée et frottée lors de longues sessions d’admiration tactile. L’icône elle-même, dont on m’a défendu l’accès, est un peu plus visible à la lumière des néons : l’on peut y voir leur saint patron dans son plus bel apparat [Un sweat Squadron 42, ndr]. En observant de plus près les magnifiques bords style renaissance du cadre, j’aperçois qu’il est griffé de la main même de son Chris adoré. Et au bord gauche du petit autel se tient une boîte de jeu estampillée Elite Dangerous (l’inscription est difficilement déchiffrable), qui elle, fait par contre luire une lueur de haine au fond du regard de mon hôte. Visiblement martyrisée par le feu, elle est parsemée d’entailles diverses témoignant d’un acharnement féroce, limite pathologique, à son encontre. Les bords calcinés et l’Opinel en son coeur la laisse presque méconnaissable, et je n’ose poser de questions à son sujet. Il continue sans y prêter attention : « Ici, vous avez toute la collection des Wing Commander, encore sous plastique, jamais utilisée. J’ai dû faire chanter trois gérants d’échoppe rétrogaming, et dépenser une fortune pour vérifier qu’ils étaient d’époque. »

Pour autant, il ne semble pas regretter le moindre sou dépensé. Mais il veut malgré tout nuancer les critiques. « Bien sûr que j’ai des remords à dépenser mon argent. Regardez, hier encore j’étais au supermarché, devant le rayon des conserves et des pâtes. Eh bien je n’osais pas acheter ces marques Carrefour hors de prix, alors que d’ici quelques jours, l’Eglise d’Austin [NDR : l’un des studios de CIG ; il se signe de deux mains jointes en triangle et murmure « Gloire à CIG » à cette mention] nous proposera un nouveau concept de vaisseau, une nouvelle étape dans l’abandon de nos richesses terrestres pour atteindre la plénitude cosmique. Devant de telles promesses, qui peut se contenter de simplicités humaines ? »

« Et que répondez-vous à ceux qui disent que l’argent investi dans votre “religion’” est de l’argent perdu puisque ça n’est qu’une poudre aux yeux illusoire ? » Je tente. Son sourire s’élargit et son regard est soudainement plein de compassion. « Fut-une époque, j’aurais simplement allumé un grand feu pour purger ces païens incroyants et proche de…gnnn… l’hérésie. Mais avec le temps et les pérégrinations sur le 15-18 de JVC, j’ai appris à plaindre ces pauvres ères vides de buts et remplis de fausse volonté. On sent dans leurs propos le manque d’un guide spirituel, et/ou la renonciation aux paroles de notre seigneur et maître, sans doute par peur devant l’immensité de ses promesses. Je comprends. Je me mets à leur place, j’aurais beaucoup de mal à croire qu’il est à ce point généreux et plein d’avenir. Mais il faut apprendre à dépasser cette peur humaine de l’inconnu, et plonger dans le grand vide de son porte-monnaie pour y trouver l’or caché en son sein. »

Heresy approved

« Mais où puisez-vous la conviction de croire en toutes ces choses ? Je ne suis qu’un humble gamer, mais de mon encore plus humble point de vue, ces promesses nécessitent la foi d’une montagne ! ». « Vous n’auriez pas pu mieux l’exprimer », me répond-t-il en me tendant la main. « Venez, je vais vous montrer ». Nous nous dirigeons vers l’arrière de la maison, et pénétrons dans ce qui semble être une pièce sans fenêtres, baignée d’une odeur tenace de doritos et de sodas bas prix. Quelques faibles lumières l’éclaire, les plus fortes étant celles d’un PC hors de prix orné de néons luisants. Autour du bureau sur lequel il est posé se tient un cercle de bougies cérémonielles, toutes reliées par du ketchup. « Cela me permet de protéger ma virginité, » M’explique-t-il « puisque j’ai voué mon corps à l’œuvre sacrée de notre grand prophète, Star Citizen. Et à rien d’autre. » Son dévouement est admirable. Il jette précipitamment un paquet de 1000 mouchoirs presque vide, et allume son ordinateur, qui joue une amusante mélodie personnalisée en se lançant.

« Mais tout d’abord, les ablutions rituelles. » Il se lève, puis se dirige vers une table construite avec un assemblage de GTX Titan et de cartes mères Asus Maximus, que soutiennent un montage de tours accrochées entre elles par des câbles HDMI. Il sort d’une remise une Xbox One flambant neuve, et se saisit d’un couteau richement orné. J’ai l’insigne privilège de pouvoir jeter un œil sur ce dernier. Le manche en bois de cactus est gravé de dickbutts d’une rare qualité, et sa lame à dents finement ciselées affiche un “Get Rekt, N00b” du meilleur goût.

J’ai apparemment l’incroyable honneur d’assister au rituel quotidien qui anime tout joueur PC de Star Citizen. Entre affirmation de sa foi pour la grande race des PCistes haut de gamme, et adoration inconditionnelle pour leur guide spirituel sur le chemin qui mènera aux étoiles, cette religion ouverte d’esprit, compatissante pour ceux qui sont dans l’erreur du portefeuille trop plein, et de l’appréciation de jeux débuggés, a devant elle un grand avenir.

« Le bug est l’essence de l’âme » me disait [Jean-Kévin] tout à l’heure sur ce sujet pas si épineux que ça, de leur point de vue. « Il est la manifestation du péché refoulé en chacun de nous, et sa présence volontaire sur les games instables met notre volonté et notre foi à l’épreuve. Moi, je puise en chacun des crashs et des chutes de FPS une sérénité presque jouissive, qui me convainc, à chaque mise à jour apportant toujours plus de défis, que chacune des promesses de Chris Roberts arrivera à terme dans une apothéose de satisfaction pour chacun d’entre nous. » Sur la question du temps que mettra tout ceci à voir le jour, il est, par contre, catégorique. « Vous ne pouvez pas trouver le chemin du Salut en moins de temps qu’il n’en faut pour cuire du riz. Je suis prêt à attendre une vie pour que ce ragg-na-rogh devienne une réalité, et notre grand prophète, dans sa mansuétude, nous affirme qu’il en faudra bien moins que ça. Que veulent-ils de plus ? Une politique DLC ? Oseraient-ils nous pousser dans les tréfonds des magouilles financières de l’industrie pour satisfaire leur volonté de superficialité ? C’est une honte, monsieur ! ». Vous comprendrez que devant de tels arguments, j’en eusse perdu mon latin ; que redire face à ce discours empreint de tant de dévotion et de sincérité ?

« Notre Chris, qui êtes aux studios, » prie-t-il donc devant l’autel, sur lequel est déposé la pauvre Xbox One, dont j’entends les plaintifs cris de pitié sortir de la carte son et les huit cœurs de son processeur battre frénétiquement, consciente de l’imminente fin de sa vie d’icône pour paysan. « Que ton jeu soit développé, que son règne advienne, sur la Terre, comme au ciel » Disant cela, il se saisit du magnifique poignard sacrificiel. « Donne-nous aujourd’hui notre vaisseau de ce jour, pardonne-nous nos créances, comme nous pardonnons aussi à ceux qui n’ont rien dépensé, et ne nous soumet pas à l’hésitation, mais délivre-nous du Smart. Ramen. » Il lève les bras vers l’immense poster de l’équipe de CIG en surplomb en signe de supplique. « Acceptez, je vous prie, ce sacrifice de 299,00 euros TTC à la gloire de notre race bénite, porteuse de la HD et du jeu vidéo dans toute la splendeur de sa démesure graphique. Que les composants de cette hérétique console de salon ne servent plus jamais à la perdition d’âmes pauvres et innocentes. » Puis, brandissant le couteau, il l’abat avec force et conviction dans les entrailles de sa victime.


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J’en suis désolé, mais c’est tout pour aujourd’hui. Vous comprendrez que je doive me couvrir en évitant de me dévoiler trop longtemps à des oreilles indiscrètes. Vous n’imaginez pas les colossaux moyens qu’ils allouent à étouffer tout contrevenant, tout contestataire à leur machinations sombres et inavouables. Comme s’ils pouvaient avoir le discernement d’utiliser ces millions à des fins honnêtes ! Non ! Il faut qu’ils assurent leurs arrières, et les personnes comme moi sont traquées pour finir à l’image de ces Xbox sacrifiées sur l’autel d’un culte aussi sanglant que dispendieux. Peut-être aurez-vous un jour la suite de cette rencontre riche en informations.

Gardez espoir, nous ferons un jour toute la lumière sur les ténèbres insondables de cette secte de fanboys corrompus.

C’était Mark Deters, pour vous offrir ma vérité, toute ma vérité, rien que ma vérité.

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