La première course – épisode trois
par Thomas K. Carpenter
Avant propos : les deux premiers épisodes de cette série avait été traduits par Sitasan et moi-même, mais comme vous l’avez probablement noté, “The First Run” avait été mise de côté au profit d’articles sur le développement de Star Citizen. Faisant mon retour dans l’équipe de traduction de starcitizen.fr, j’ai décidé de m’attaquer à cette fiction avant de m’occuper de “A Human perspective”. Vous pourrez donc très prochainement profiter ici d’une version française des deux séries qu’il nous restait à traduire !
La première course : épisode un – https://pulsar42.sc/2015/03/23/la-premiere-course-une-livraison-de-sorri-lyrax-episode-un/
La première course : épisode deux – https://pulsar42.sc/2015/04/07/la-premiere-course-une-livraison-de-sorri-lyrax-episode-deux/
Bonne lecture !
– Hotaru
Lorsque les larmes montèrent, je ne pus les retenir, ce qui ne fit qu’empirer les choses.
Je ne pleure pas facilement, et je ne pleure certainement pas en public. En fait, la seule fois où j’aie pleuré devant d’autres gens dont je me souvienne, c’était à l’enterrement de ma mère, et à l’époque je me fichais de ce que les autres pensaient de moi.
La plupart des voyageurs qui passaient par le port étaient en voyage d’affaire, donc ils se ruaient dans les taxis volants qui les conduisaient à leurs réunions. Quand je commençai à sangloter, ce fut comme si j’avais contracté une maladie contagieuse et les gens se mirent soudainement à m’éviter.
J’enfonçai ma tête dans mes bras, reniflant la morve qui menaçait de s’échapper sur les manches de mon pull préféré.
Lorsque les larmes se tarirent enfin, je pris une profonde et tremblante inspiration.
Cet homme qui s’était emparé de mon mobiGlas, peu importe de qui il s’agissait, n’avait pas fait semblant. C’était tout ce que je savais.
Autrefois, je voyais des types comme lui se pointer à la Horde Dorée, et mon père était toujours prompt à leur montrer le chemin vers la sortir comme à me renvoyer faire l’inventaire. Il y avait quelque chose de sauvage chez eux, comme s’il s’agissait de prédateurs lâchés au milieu d’un parc de moutons.
Je me berçais toute seule d’illusions dans la station, en pensant que le capitaine pouvait faire partie d’une mission de mise à l’épreuve qu’on m’avait confiée. Ces illusions s’étaient désormais envolées.
Cela me fit également réaliser que la compagnie m’avait peut-être envoyée avec les mauvais documents, ou alors il s’agissait des bons documents et on avait prévu de leur faire passer la station de sécurité. Et cet homme, de toute évidence une sorte de criminel, avait appris leur existence.
Ce qui fit que les retrouver devint encore plus important à mes yeux. Je pinçai mon bras, folle de rage contre moi-même pour ne pas avoir pris soin du mobiGlas. Si je ne parvenais pas à le récupérer, je serais sûrement renvoyée de FTL, peut-être même qu’on me demandera de le rembourser à cause de ma négligence, et ensuite il faudra que je retourne voir mon père à cause de mon échec, mais également de ma dette.
Comment alors allais-je récupérer le mobiGlas ?
Comme l’avait dit le Capitaine Hennessy, j’étais une recrue inexpérimentée. Je ne savais pas qui était cet homme, ni où il se rendait. Et il avait désormais dix bonnes minutes d’avance sur son électrocycle, alors que j’étais encore à pieds.
Mon estomac émit un grognement, me rappelant un autre problème. J’étais affamée. Affaiblie par la fin, en fait.
Mon père disait que j’avais un appétit d’oiseau, si celui-ci était un condor. J’aime me dire que j’avais le métabolisme d’un colibri, parce que je mangeais tout le temps.
Abandonner revenait à chercher quelque chose à manger. Ce n’est pas comme si j’avais une piste pour trouver ce type. Je pris la décision de commencer par trouver un vendeur de brochettes d’agneau épicé, tout en réfléchissant aux différentes options qui s’offraient à moi.
Lorsque je saisis la lanière de mon sac à dos, ma main heurta l’objectif de la caméra et un frisson d’excitation parcouru mon visage.
Je posai rapidement mon sac à dos pour le fouiller de fond en comble jusqu’à trouver mon mobiGlas personnel. J’avais oublié que je l’avais, et (avec un peu de chance) la caméra était peut-être en marche. Qui sait ? Il peut m’arriver d’être veine.
“Faites qu’elle enregistre, faites qu’elle enregistre”, marmmonai-je tout en inspectant les fichiers de la caméra.
Je laissai échapper un soupir de soulagement lorsque je vis qu’un enregistrement était en cours.
Remontant dix minutes en arrière, je rejouai la scène. L’objectif de la caméra était retourné, la prise de vue était en contre-plongée, ce qui nous faisait regarder la poitrine et le menton de l’agresseur. Puis la caméra valsa avec moi lorsqu’il saisit mon mobiGlas et se tira.
Je rejouai la scène à trois reprises jusqu’à voir ce dont j’avais besoin. En premier, la plaque d’immatriculation arrière de l’électrocycle, accompagnée d’un autocollant d’une compagnie de location. À moins d’avoir prévu ce vol depuis plusieurs semaines, et même avec de fausses informations, je pourrais être en mesure de découvrir son identité grâce à la compagnie de location.
Le second indice, qui était le plus préoccupant, était la combinaison spatiale de pilote qu’il portait sous sa veste en cuir. Je ne vis son visage que lorsqu’il attrapa mon mobiGlas, mais la caméra avait filmé sa poitrine.
Il semblait probable que son vaisseau était caché quelque part sur la planète, ou stationnait en orbite à proximité. Ce qui signifiait également qu’il ne comptait pas rendre l’électrocyle.
Mais si je pouvais trouver où il l’avait loué, ça pourrait m’indiquer où il avait mis pied à terre. C’était une possibilité, mais il faudrait pour cela que je me mette aussitôt à sa poursuite. Ce qui signifiait que je n’allais rien manger.
Je soupirai.
Puis j’appelai un taxi, un véhicule terrestre à moteur diesel plutôt qu’un modèle volant, puisque c’est bien tout ce que je pouvais me payer, et lorsque le conducteur me demanda où je voulais aller, je m’arrêtai net. Il fallait que je bouge, même si je ne savais pas où il se rendait. Alors il fallait que je fasse un choix pertinent.
Le Sud était la région la plus riche, alors il était peu probable qu’il y passe. Le Nord était plus industriel, ce qui impliquait beaucoup de caméras de sécurité. Ce qui ne laissait que l’Ouest ou l’Est.
Un rapide coup d’œil sur la carte de mon mobiGlas me révéla que la partie occidentale de New Alexandria était moins peuplée. Je trouvai un village le long de la route principale et dis au conducteur de s’y diriger. Il était également pertinent d’aller vers l’Ouest, parce qu’il était sur un électrocycle et avait donc besoin d’emprunter une route, ce que les fermiers et autres gens de la campagne utilisent encore.
Sur la route, je joignis les services de location du coin, en demandant si un homme, dont la carrure était trop imposante pour une moto, avait bien pu en louer un récemment. Personne ne voulait me répondre jusqu’à ce que je leurs annonce que : premièrement, il s’agissait de mon mari et il essayait de nous quitter, mon nouveau-né et moi, et deuxièmement, il ne comptait pas rendre le véhicule.
Je trouvai la bonne compagnie au bout du troisième essai. Elle se situait loin dans l’Ouest, à plus d’une centaine de kilomètres de la ville. Je réfléchis au coût du transport et réalisai que je n’aurai pas assez d’argent. Si je voulais poursuivre dans cette direction, je serais fauchée.
Une fois attaché au siège, je regrettai amèrement ce que j’essayais de faire. Ce serait plus sûr de faire marche arrière, garder mes sous et profiter du reste du voyage pour réfléchir à comment je rembourserai FTL.
L’autre option qui s’offrait à moi était de me faire à tout ce foutoir et de rester sur la planète, trouver un travail qui correspond à mes compétences, quelles qu’elles soient.
Mais une petite voix en moi ne voulait pas laisser filer cette opportunité. J’avais travaillé et économisé pendant des années pour en arriver là. Je ne pouvais pas laisser un peu de malchance me démoraliser. Ça, et le fait que je ne voulais pas retrouver mon père les mains-vides et endettée.
Je tapai du poing sur le siège, ne récoltant qu’un regard réprobateur de la part du conducteur. Puis mon estomac gronda, me faisant écoper d’un sourire narquois.
Et juste au moment où une pluie fine commença à arroser la fenêtre du taxi, nous passâmes devant une rangée d’étals de nourriture sur au moins un kilomètre. Aussitôt, je pouvais entendre les marchands, qui annonçaient leurs produits de leurs voix rocailleuses : raviolis frits au fromage, ragoût de volaille, sucettes aux pommes, bières fraiches et j’en passe.
Les étals défilaient lentement à cause du trafic routier. Si je n’étais pas aussi affamée, et si je ne fixais pas aussi longuement chaque étal qui passait, j’aurais peut-être raté le colosse recroquevillé sous l’une des bannes.
“Arrêtez-vous là”, lançai-je, et l’on s’arrêta derrière un énorme camion de livraison intercontinental, avec des roues aussi hautes que moi.
Le colosse finissait de s’enfiler deux brochettes, probablement d’agneau épicé à en juger par son air satisfait. Logique. Il était encore en train de sucer la viande sur les pics, je décidai donc de faire quelques brèves emplettes. J’avais besoin d’avaler un morceau, j’étais franchement patraque.
La pluie s’était intensifiée, et je slalomai au milieu de la foule jusqu’à l’une des étals qui présentait la moins longue queue, tout en essuyant mon visage trempé par la pluie. Des raviolis frits aux fromages. Je n’en raffolais pas, mais je n’allais pas faire ma difficile.
Bien que la file d’attente était courte, je progressai lentement. Je serrai les poings et priai que le mouvement s’accélère, mais ça ne semblait que ralentir davantage ma progression. Mon estomac ajouta quelques grognements aux jurons que je marmonnai.
Et au moment même où je finis par atteindre la devanture et le marchand de l’étal, un grand homme à la peau tannée et des chiffres tatoués sur le cou, demanda de sa voix lyrique : « Qu’est-ce tu veux, ma jolie ? » Je vis le colosse se diriger vers son électrocycle garée à proximité.
Lorsqu’il la chevaucha et fila, je laissai échapper un juron et couru en direction du taxi. Le marchand me hurla après : « J’allais rien te vendre, t’façon ! »
Je suivis le colosse à bord du taxi sur plus de trente kilomètres et pendant tout ce temps j’avais des envies de nourriture. Puis le géant quitta la route principale à deux voies et un chemin de gravier qui reliait deux fermes. Il faisait pratiquement nuit, et la couverture nuageuse empêchait la lumière de passer.
Je demandai au chauffeur de dépasser le chemin de gravier, nous faire revenir sur nos pas puis emprunter le sentier. Après les fermes, le paysage devint forestier, bien que les arbres étaient courts et trapus, et que leurs feuilles jaunâtres laissaient échapper à travers ma fenêtre ouverte un parfum proche de l’eucalyptus.
Lorsque je vis le vaisseau derrière les arbres, je demandai au chauffeur de me déposer. Il me demanda s’il devait attendre, mais je n’avais pas la monnaie pour faire le trajet retour, je lui indiquai donc de partir. Il encaissa mes crédits par mobiGlas, ce qui ne laissa que des miettes sur mon compte en banque.
Je suivis le chemin, remarquant les marques de pneus sur l’herbe humide. Lorsque je parvins à la lisière de la clairière, je me baissai et observai les alentours. À l’exception du vaisseau gris acier, dont le nez marqué de brûlures indiquait de nombreuses entrées atmosphériques, la clairière était déserte.
Accroupie, je fus soudainement rattrapée par la raison. Par l’espace, qu’étais-je venue faire ici ? Cet homme était probablement un tueur, et tout du moins, un criminel.
Fermant les yeux, j’écoutai les insectes cliqueter au milieu des arbres. À l’instant même où je décidai soudainement d’abandonner ma quête stupide pour récupérer le mobiGlas de la compagnie, j’entendis une branche craquer dans mon dos.
« Petite vermine obstinée, » dit une voix provenant de la zone où la branche avait craqué. « On dirait que Dario s’est trouvé une alliée. »
La diction de la personne qui parla me perturba. C’était le vocabulaire sophistiqué d’un aristocrate typique de la Terre, pas d’un vulgaire voyou de la taille d’un guerrier Vanduul.
Mais je n’ai pas eu la chance de voir cette personne avant de me faire frapper par derrière et de perdre conscience.