La première course : épisode sept

Par Thomas K. Carpenter

Mon père était le stéréotype du propriétaire de bar. Bourru, mais adorable. Simple, mais très intelligent. Il avait l’œil pour repérer une bonne affaire, pas comme ses clients qui y perdaient au change.

Une fois, un riche homme d’affaire s’était perdu et avait atterri à la Horde Dorée, mon père engagea la conversation avec lui. Je peux encore le voir s’accouder au bar, nettoyant des verres avec un chiffon, une étincelle dans les yeux.
À chaque fois que le client fortuné, un homme de Terra avec des yeux améliorés qui brillaient d’une lueur phosphorescente, prenait une gorgée de sa meilleure Vodka Centaurienne, mon père remplissait le reste du verre en grande cérémonie, sans le compter une seule fois sur la note de l’individu.

Mon père riait aux blagues de l’homme d’affaires, frottant son menton pendant que le type parlait sans discontinuer de dérivées socio-primaires – un sujet dont je sais que mon père ignorait tout – et de façon générale il en était de même pour tous les autres clients de la Horde Dorée.

Plus tard, quand je demandai à mon père pourquoi il avait accroché avec le client et ne l’avait fait payer qu’un quart des verres consommés, alors que la bouteille de vodka valait vingt fois une bouteille normale, il me lança son fameux sourire attentiste et retourna passer la serpillère dans le bar.

Deux mois plus tard, d’autres hommes affaires habillés de la même façon se pointèrent et dépensèrent une petite fortune. Alors qu’il faisait les comptes de la soirée, il me fit un clin d’œil et me demanda si j’avais appris quelque chose.
« Tout le monde veut quelque chose, même s’ils ont l’air de ne rien vouloir. »

J’étais folle de rage contre mon père pendant une semaine après ça. Mais j’étais jeune, et les mécaniques des affaires ne voulaient pas dire grand-chose pour moi à l’époque – que tout constitue une transaction, tout vient à un prix.
Je songeai à cette leçon pendant alors que je modifiais le moteur en me basant sur les instructions que m’avait envoyées Dario. Même si je ne sautais pas à travers le point de saut, la vitesse supplémentaire était précieuse et me donnait plus d’options.

Le cœur de ma décision était le suivant : soit tout cette affaire avec les fichiers sur mon mobiGlas était devenue hors de contrôle et Dario essayait d’éliminer la source du problème, soit il essayait de les récupérer (et peut-être m’aider par la même occasion).

Je ne me faisais pas d’illusion : il ne s’intéressait aucunement à mon bien-être. Sinon, il ne m’aurait jamais utilisée comme mule pour passer des fichiers à travers la sécurité de la station Oya.

Assise dans le siège du pilote avec les pieds calés sur le panneau de contrôle, suçotant une poche d’eau et mastiquant bruyamment des barres nutritives fades, je regardai la petite bille bleu et marron grossir, pendant que les points rouges sur l’écran du détecteur clignotaient en se rapprochant.

À la fin, je décidai d’emprunter le point de saut comme indiqué par Dario. Cependant, j’allais devoir apporter quelques changements à son plan. Le point de saut menait vers Gurzil. Le protocole normal était d’entrer dans le point de saut à une vitesse raisonnablement faible pour éviter les collisions avec les véhicules entrants ou des stations de contrôle proches.

Au lieu de ça, j’allais passer à travers à la vitesse maximale, avec les boucliers entiers, au cas où Dario reviendrait sur sa décision de m’aider. Je savais que mon plan laissait la place au hasard et que je n’avais aucune connaissance technique concernant les vaisseaux, mais je détestais m’en remettre au destin et ne rien faire.

Lorsque le Night stalker approcha enfin du point de saut, j’avais consommé toute la nourriture et toute l’eau du kit d’urgence, j’avais eu un bon sommeil réparateur et j’étais fermement attachée au siège du pilote, mon sac à dos posé à mes pieds.

Sur le chemin du point de saut, l’ordinateur de bord tenta à trois reprises de me faire réduire la vitesse, mais j’outrepassai ses protocoles à chaque fois. Après un passage terrifiant au sein du trou de vers, je jaillis de l’autre côté du point de saut et mes boucliers encaissèrent aussitôt de puissantes frappes provenant d’un trio d’Avengers pointant leurs canons à distorsion dans ma direction… j’eue bien fait de monter les boucliers au maximum.

J’effectuai des manœuvres évasives avec le Night stalker, ce qui revient dans le cas présent à marteler les commandes de toutes parts et espérer que le meilleur se produise. Toutes les alarmes du tableau de bord s’éteignirent alors que les pirouettes mettaient à rude épreuves les sections endommagées du vaisseau.

J’ignore comment, la voix de Dario surgit des haut-parleurs de mon vaisseau : « Cessez le feu ! Cessez le feu ! »

« Mais qu’est-ce que vous racontez, par l’espace ?! Je me fais arroser ! » hurlai-je en retour.

« Ils se sont désengagés, ils se sont désengagés ! »

Mon pouls battait la chamade dans mon crâne, et il me fallut un moment pour trouver le bon écran, mais je pu voir que les Avengers n’étaient plus à mes trousses. C’était une bonne chose, mais le Night stalker avait encaissé davantage de dégâts et le moteur de manœuvre ne fonctionnait plus qu’à cinquante pourcents. Je me contentais désormais de dériver.

« Je viens te chercher, Sorri », dit la voix de Dario, « prends tes affaires et immobilise-toi afin que je puisse m’aligner et m’amarrer à ton vaisseau. »

En regardant à travers la vitre du cockpit, je pu voir ce qu’il me semblait être le Fardancer (ndt : “la Danseuse perdue”). On aurait dit un Freelancer hautement modifié, ou un autre modèle que je ne connaissais pas.

Les deux vaisseaux se connectèrent et je me rendis jusqu’aux sas de pressurisation du vaisseau de Dario. Il m’accueillit dans ses quartiers, arborant une chemise gris clair à col ouvert et un pantalon à poches. Il esquissa un sourire et ses yeux gris-verts pétillèrent en me voyant.

« Désolé, Sorri. » (ndt : encore un « Sorry, Sorri » dans le texte original)

Je remarquai qu’une cage bougeait sous la table.

« Eh, le lynx ! »

« Ouais. »

Je croisai les bras. « Je suppose que vous voulez le mobiGlas. »

« Ce serait appréciable. »

Je lui lançai et il l’attrapa au vol. « Merci, cela facilite grandement les choses. Je peux te ramener chez toi plus tard, mais pour le moment j’ai une affaire à conclure. »

Je rejoignis Dario dans le cockpit, et bien que d’un point de vue technique il ne différenciait pas beaucoup de celui du vaisseau de Burnett, il y avait de petites différentes un peu partout qui dévoilaient la personnalité de Dario. Des babioles pendaient aux bouts de ficelles accrochées au plafond : un os sculpté primitif, une ancienne pièce de monnaie circulaire Banu, une fléchette de chasse Vanduul. Les sièges de pilotage revêtaient des coussins cousus à la main plutôt que des armatures métalliques.

« Bon, Juliet », lança Dario à son vaisseau, « quelle est la situation ? »

Alors qu’il ouvrit les rapports de balayage sur l’écran, j’imaginai le vaisseau répondre avec une voix rauque de femme. Les Fils du Silence se sont positionnés de façon à concentrer leurs tirs. Ils ne se contentent pas d’attendre patiemment, mon ange.

« Ces Avengers, ce sont les Fils du Silence ? » demandai-je. Dario me répondit par un hochement de tête inconscient.
Il croisa sa jambe sur son genou et tapota sur le repose-main. « Ouvre un canal de communication avec Pushkin, mais seulement en vocal. »

Un homme au visage sournois avec des cheveux noirs gras et des oreilles de chauve-souris apparut à l’écran.
« Dario, pas de visuel ? Ça ne te ressemble pas. »

Dario me fit un clin d’œil. « Je ne suis pas au meilleur de ma forme aujourd’hui, je préfèrerais ne pas t’infliger de telles horreurs. Pouvons-nous nous mettre au travail ? Cela n’a déjà que trop duré. »

« Tu as les concepts d’arme désormais ? » demanda Pushkin, l’air pensif.

Dario leva le mobiGlas, bien qu’il n’y ait aucune communication visuelle. « Juste là. »

« Alors je suis prêt à t’offrir un tiers du prix initialement proposé », répondit Pushkin.

Dario posa ses deux pieds au sol et se redressa. « Un tiers ? Tu es fou ? Des complications et du retard, je veux bien, mais rien ne justifie une telle réduction. »

Pushkin s’enfonça dans son siège et plaça ses mains derrière sa tête. « On pourrait tout aussi bien mettre ton vaisseau hors d’usage, monter à bord et te prendre les plans. Un tiers, c’est un bon prix. »
« Je pensais que l’on avait un accord. »

Pushkin révéla ses dents. « Tu as rompu notre accord. Le changement de plan a coûté cher aux Fils du Silence et nous a mis en danger. La prochaine fois, fais ton travail. »

Frottant ses tempes du bout des doigts, Dario ferma les yeux et hocha la tête. Il semblait qu’il allait accepter les conditions révisées, qui me convenaient bien. Je voulais simplement être hors de danger. Et plus vite on se débarrassait des fichiers, plus vite on pourrait partir.

Dario haussa les épaules de façon peu enthousiaste en me regardant et ouvrit la bouche lorsque l’alerte d’ennemis à proximité retentit. Pushkin coupa sa caméra.

Soudain, la zone autour du point de saut se remplit de vaisseaux. Des vaisseaux des Démons stellaires.

Et le pire était que le Fardancer était au centre de tous les regards, entre le groupe de Fils du Silence et celui des Démons stellaires.

Mon pouls repartit aussitôt à vive allure, mais je ne paniquai pas avant que Dario ne commence à se harnacher solidement au siège du pilote, ses cheveux normalement coiffés en arrière qui retombaient sur son visage, pendant qu’il marmonnait « C’est mauvais, c’est mauvais, c’est mauvais. »

À suivre…

Traduction depuis l’Anglais et relecture par Hotaru – Source : https://robertsspaceindustries.com/comm-link/spectrum-dispatch/13900-The-First-Run-Episode-Seven
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Traduction soumise à la licence CC By SA 3.0. Vous êtes libre de copier et réadapter ce texte en mentionnant les auteurs originaux, les traducteurs et la source. Merci !

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