La première course : épisode huit

Par Thomas K. Carpenter

« Pourquoi ne bougez-vous pas ? » marmonnai-je dans ma barbe, comme si le moindre bruit mettrait le feu aux poudres entre les deux bandes de pirates.

Dario pianota sur les commandes, un bouton après l’autre, et des informations s’affichèrent à l’écran pour ensuite disparaître. Il lui fallut, sembla-t-il, quelques instants pour enregistrer ma question avant qu’il ne s’arrête, prêt à actionner du bout du doigt un demi-cercle lumineux qui pouvait selon moi correspondre à la puissance de nos boucliers. Il fronça les sourcils en me regardant.

« N’as-tu jamais croisé le chemin d’un chien enragé ? Eh bien, ici nous sommes coincés entre deux des pires molosses, et le moindre mouvement pourrait les faire partir au quart de tour. »

J’ouvris la bouche, mais la voix de Pushkin se fit entendre à travers les systèmes de communication, et je pouvais ressentir son intonation de chien enragé.

« Vous voulez nous payer des cercueils vides ? En invitant les Démons stellaires ? Je sais que je suis difficile en affaires, mais les impliquer était une décision stupide. Plus stupide que je ne te pensais capable, Dario. »

Dario balaya le cockpit du regard avant de répondre. « Je ne les ai pas invités, Pushkin. »

« Alors qu’est-ce qu’ils foutent ici ?! »

Dario se lécha les lèvres. « Laisse-moi m’en occuper. »

« T’as intérêt. »

J’avais l’impression que Dario ne lui avait pas dit que les Démons stellaires me suivaient. Cela expliquait pourquoi il voulait régler ça rapidement, mais un détail me perturbait.

« Ils ne me suivaient pas d’aussi près, si ? »

Dario hocha de la tête. « Ils se sont peut-être servi de leurs moteurs quantiques une fois qu’ils ont réalisé que tu te dirigeais vers le point de saut. De toute façon, ils sont ici et nous devons faire avec. »

Une lueur rouge clignotante apparu sur ses instruments de bord. Dario fronça les sourcils. Les Démons stellaires. Il appuya sur un bouton.

La voix de Synthia surgit des haut-parleurs : « Dario Oberon ? »

« C’est bien moi », répondit Dario, haussant légèrement les épaules.

« Vous avez quelque chose qui m’appartient », dit-elle.

Dario me sourit et me lança un regard qui semblait dire « t’as vu ce qu’elle ose me dire ? ». « Une invitation ? Je ne vous en ai certainement pas envoyée. Ceci est une réunion privée. »

Synthia émit comme un bruit de postillon. « Votre petite sorcière m’a volé quelque chose. »

« En amour comme en piraterie, tous les coups sont permis. Je pense que nous – » Dario me fit un clin d’œil, « – n’avons fait que le reprendre. Je présume que l’autre vielle baleine se tapit quelque part. »

Le commentaire sembla totalement désarçonner Synthia, ce qui, je pense, était l’intention de Dario. « Vieille baleine ? »

« Mon vieil ami, Burnett. À moins que vous ne l’ayez passé à travers le sas de décompression, ce qu’aurait fait n’importe quel être humain ? »

« Il est là », grogna Synthia. « Et nous voulons récupérer les données, et la fille. »

Dario leva un sourcil et me fit signe de la main en levant le pouce. J’avais toujours peur d’être désintégrée, mais je pouvais de nouveau respirer.

« Et pourquoi voudrais-je faire ceci ? » demanda Dario.

« Parce que si vous ne le faites pas, nous ouvrirons le feu sur les Fils du Silence, vous ne serez plus que poussière stellaire en une fraction de secondes. »

Le sourire de Dario disparu.  « Et vous perdrez votre offre. »

« On perd, on gagne. Comme vous l’avez dit, tous les coups sont permis en amour comme en piraterie. Il vaut mieux que les gens sachent qu’il ne faut pas nous duper plutôt que d’accepter une offre dont nous ne savons rien. Et en plus, Burnett dit qu’il peut faire mieux, qu’il s’agissait d’un coup parmi d’autres et qu’il a des renseignements sur un système d’armement qui pourrait me faire chavirer. »

Je bondis hors de mon siège, Dario s’interposa et appuya sur l’écran.

« Il ment », m’écriai-je juste après que les communications aient été coupées.

« Comment peux-tu le savoir » m’interrogea-t-il en fronçant le nez.

« Je le sais, c’est tout. J’en suis certaine », lançai-je, mais honnêtement, ce n’était qu’une intuition basée sur le peu de temps passé à ses côtés.

Mon argument fut coupé court lorsque les instruments sonnèrent de nouveau. Cette fois, c’était Pushkin des Fils du Silence.

« Qu’est-ce qui prend autant de temps ? Pourquoi ne partent-t-ils pas ? Je ne veux pas la moindre effusion de sang. Réglons notre affaire et passons à autre chose. Je suis généreux et prêt à monter jusqu’à trente-huit pourcents de l’accord initialement convenu. »

Dario se frotta la nuque. Je savais ce qu’il pensait. Je le pensais aussi. Si quelqu’un essayait de partir, Synthia et les Démons stellaires ouvriraient le feu. En d’autres termes, il sauterait probablement sur l’offre, simplement pour se mettre hors de danger.

« Ils vont bientôt partir, Pushkin. Laisse-moi simplement terminer », répondit Dario avant que la loupiotte rouge ne se remette à clignoter.

« Tu n’as pas intérêt à me doubler -» Dario appuya sur l’écran.

« Il ment », murmurai-je rapidement avant que Dario ne réponde à l’appel des Démons stellaires.

« Et si », lança Dario avec un ton nonchalant, « je vous vendais une copie des plans d’armes pour la moitié du prix auquel je comptais les vendre au Fils de Silence ? »

J’avalai ma salive. Je n’arrivais pas à croire qu’il osait négocier dans un moment pareil. Et s’ils acceptaient, il gagnerait plus que ce que les Fils du Silence lui proposaient actuellement.

C’est alors que Synthia se mit à tempêter, vociférant des insultes plus vite que la rotation d’une étoile à neutrons. Dario brisa le silence et se tourna vers moi. « Pourquoi crois-tu qu’il mente ? Explique-moi. Donne-moi une raison et je te croirai. »

J’avalai de nouveau ma salive. Il me croira ? « Je… euh… je le sais, c’est tout. »

Il pencha sa tête en avant et secoua lentement sa tête. « Il va me falloir autre chose. Je ne peux pas prendre de risque si j’ai un mauvais jeu. »

Je pressai mes tempes du bout des doigts comme pour forcer mon cerveau à cracher le morceau.

« Il nous ment parce que… », la réponse m’apparut soudainement, « parce qu’il n’a aucune autre affaire en vue. Il l’a dit. Et son vaisseau était neuf, pas personnalisé. Il l’appelle encore « vaisseau » et il n’a même pas pris la peine d’attribuer un verrouillage vocal. Même lorsqu’il s’est emparé de mon mobiGlas sur Oya III, il roulait sur un électrocycle trois fois trop petit. Comme s’il avait mis les voiles à l’instant même où il avait eu vent de votre projet, et tout laissé derrière lui. Ce n’est pas quelque chose que vous feriez si vous aviez une autre bonne affaire en cours, pas vrai ? »

Ses lèvres s’écartèrent, il s’approcha et me donna une tape sur la jambe. « C’est tout ce que je voulais savoir. Merci. »

Il écrasa le bouton de communication. « Vous avez terminé ? Écoutez, j’ai changé d’avis. Je vais vous les vendre pour soixante-dix pourcents, mais d’abord vous devrez reculer. Inversez vos propulseurs et éloignes-vous des Fils. »

« Soixante-dix ? Vous êtes fou ? Je me contenterai de l’offre de Burnett », déclara Synthisa.

« Je ne saurais dire lequel de vous deux ment, mais il n’a aucune offre à faire. Sinon, mon vieil ami ne viendrait pas se mêler de mes affaires. Il est fauché et désespéré. Est-ce vraiment lui que vous voulez à bord de votre vaisseau ? »

« Dans ce cas, nous ouvrirons tout simplement le feu et nous verrons si vous aimez ça », répliqua Synthia.

Son sourire ne faiblit pas alors qu’il répondit : « Vous ne ferez pas ça non plus. Bien sûr, nous nous ferions réduire en poussière stellaire, mais vous aurez des pertes, et les pertes font mauvaise presse. Vous êtes maligne, Synthia, pas comme Pushkin et les Fils du Silence. Vous jouez avec une main vide, et vous la jouez bien, mais vous n’avez rien. Acceptez l’offre. Soixante-quinze pourcents. »

« Soixante-quinze ? Je vous en donnerai soixante. »

« Soixante-cinq ? »

« Ça marche », cracha Synthia. « Marché conclu. Je vous enverrai les crédits dès que nous recevrons les données. »

« Bien, bien. Mais pour le moment, et afin que nous ne débutions aucune mini-guerre ici, veuillez inverser vos propulseurs. »

« Entendu. »

Puis Dario rappela les Fils du Silence, à l’instant même où les Démons stellaires se mirent à s’éloigner.

« Mes confuses, Pushkin », dit Dario. « Les Démons stellaires ne sont pas les pirates les plus malins de la galaxie. Ils ne comprenaient pas la facilité avec laquelle tu pourrais les détruire jusqu’à ce que je ne leur explique. »

« À ce point, hein ? » répondit Pushkin.

« Peut-on désormais conclure le marché ? Cinquante-cinq pourcents ? »

Je pouvais presque entendre Pushkin hocher la tête. « Seulement parce que je veux me barrer d’ici. Cet espace pue comme ces trainées de Démons stellaires. Marché conclu pour quarante-cinq. »

« Tu es dur en négociations », concéda Dario en me faisant un clin d’œil.

Lorsque les communications furent coupées, et que les lumières rouges disparurent de l’écran, Dario posa ses pieds sur le tableau de bord et mis ses mains derrière sa tête.

« C’était moins une, mon vieux. C’était moins une. »

Ma bouche demeurait bée. « Vous avez conclu le marché initial et un autre. »

Il semblait prêt à me donner une réponse amusante lorsque les alarmes de proximité recommencèrent à hurler.

« Génial. Qu’avons-nous là, une autre bande de pirates ? »

Dario orienta le vaisseau pour avoir un visuel au moment exact où de nouveaux vaisseaux glissaient hors du point de saut. Il passa à l’action avant même que je ne remarque la silhouette de ce qui était probablement un Hornet militaire.

Son regard d’effroi me suffit pour comprendre à quel point le danger était grand.

Puis les capteurs s’affolèrent de nouveau lorsqu’une frégate Idris surgit du portail et ouvrit le feu.

À suivre…

Traduction depuis l’Anglais par Hotaru, relecture par Finstern – Source : https://robertsspaceindustries.com/comm-link/spectrum-dispatch/13901-The-First-Run-Episode-Eight
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Traduction soumise à la licence CC By SA 3.0. Vous êtes libre de copier et réadapter ce texte en mentionnant les auteurs originaux, les traducteurs et la source. Merci !

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