Une perspective humaine – Épisode deux

Par Timothy Brown

« Désolé ! » s’excusa Charl, avant de rapidement traduire ses propos alors qu’il traversait le couloir en courant. « Hee-naa ! »

Charl retourna au bureau administratif du quai orbital, slalomant entre les nombreux voyageurs galactiques Banu sur son chemin. Les employés administratifs s’étaient montrés assez cléments pour le laisser docker le Reacher sans payer de taxe, en le faisant promettre de revenir immédiatement après avoir reçu des fonds sur son compte. Il estima que le moins qu’il puisse faire était de se dépêcher. C’était quelque chose qui lui plaisait chez les Banu. Les Humains ont tendance à se méfier de leurs pairs naturellement. Les Banu avaient au moins le mérite de vous accorder le bénéfice du doute.

Une fois sur place, l’employée Banu lui montra son écran et tapota du bout du doigt sur le montant qu’il lui devait. Charl lui fit un large sourire et sortit son mobiGlas afin qu’elle puisse voir son compte en banque désormais rempli.

Charl était heureux de payer ses frais de stationnement, mais également impatient de régler certaines choses. Il avait eu confirmation que Lyshtuu avait reçu son message d’acceptation et quelques minutes plus tard, le solde de son compte en banque était passé du rouge au vert. Ce n’était pas une fortune, mais cela était plus que suffisant pour le sortir de sa dette et le mettre en route. Et il ne s’agissait que de l’avance. Il se promit d’envoyer un message de remerciement à Toreele, puisqu’ils paient si bien.

« Rien ne vaut une poignée de crédits pour marcher d’un pas léger », dit-il à l’employée. Il ne prit pas la peine de traduire, mais il était presque sûr qu’elle avait compris ce qu’il voulait dire. Les Banu étaient différents des Humains, mais ils comprenaient tout aussi bien l’importance de l’argent.

« Yawr-woa-yee ! » lança-t-il pour remercier l’employée dans sa langue natale, ce à quoi elle écarquilla les yeux de surprise. La plupart des Humains ne prendraient pas cette peine. La plupart des Humains ne verraient même pas qu’il s’agît d’une femme.

En quelques minutes il avait alerté les agences dans toute l’orbite de Geddon à propos de ses besoins et de ses nouveaux moyens de paiement pour services rendus. Il commanda un ravitaillement en carburant, demanda des réparations express et réclama des autorisations de sécurité pour toute sa trajectoire de vol. Pour un gars qui aime d’habitude naviguer discrètement sous les radars, Charl ne pouvait pas s’en empêcher. Il était trop excité de se lancer et de retourner à un combat digne de ce nom.

À un moment il fit un détour pour voir un vendeur de pièces détachées afin de dénicher une nouvelle pompe re-circulatrice (quelque chose qu’il pouvait lui-même remplacer alors que les experts s’occuperaient des réparations plus difficiles et précises) et à son retour il tomba sur un Banu patientant devant l’entrée du sas de dépressurisation. D’après son uniforme il s’agissait d’une sorte de ponte arrogant du Protectorat, et Charl commença immédiatement à s’inquiéter.

« Wewl-whoa », salua-t-il son hôte avec formalité, soulevant avec espoir un sourcil. Mais cela n’eut aucun résultat. Le Banu tendait son mobiGlas avec ses toutes ses ID – un administrateur junior spécialisé dans les Affaires Étrangères du Protectorat – et quelques copies de formulaires tous prêts à être signés et certifiés.

Wahou, se dit Charl. Tout comme avec n’importe quelle autre bureaucratie, il s’attendait complètement à avoir lui-même affaire au bureau des Affaires Étrangères et à attendre des heures que tout ceci soit réglé. À cet égard, la paperasserie Banu ne différait pas de la paperasserie dans laquelle s’empêtraient les Humains. Mais Lyshtuu avait dû graisser la patte de quelqu’un pour que le service réponde aussi rapidement. Par une visite à domicile, qui plus est. Charl s’assit avec le fonctionnaire dans la petite cambuse du Reacher et remplit une douzaine de formulaires, subit des scanners neuronal et rétinien, signa ceci et cela et reçu immédiatement toutes ses autorisations. Pas d’histoire. Pas de chichi.

Encore. Wahou.

Charl s’était jusque-là montré trop excité pour remarquer que sa destination était Bacchus, le monde d’origine des Banu. C’est assez curieux, songea-t-il. Il n’avait jamais rencontré Lyshtuu sur Bacchus. Au premier regard cela semblait être un lieu de prestige où se retrouver pour ce qui semblait être une mission vraisemblablement dépourvue d’intérêt. Eh bien, peu importe ce qu’on lui voulait, cela lui convenait. Peut-être qu’il s’agissait du quartier général Banu de Torreele. Aucune importance. Son mobiGlas récemment enrichi lui apportait de la chaleur dans sa poche.

Le cas des Affaires Étrangères désormais réglé, Charl installa rapidement la pompe re-circulatrice puis enfila des habits propres. Il avait plusieurs heures à tuer – puisque c’est le temps que cela prendrait à l’équipe de ravitaillement pour s’occuper du Reacher. Il décida d’aller faire ce tour des échoppes du marché qu’il attendait depuis si longtemps. Chaque station orbitale, humaine ou autre, en était pourvue. Quelques tours de boutiques plus tard, il se trouva sur le pont arrière au milieu des étals de produits exotiques et de leurs vendeurs. Il n’y avait jamais mis les pieds, mais il se sentit immédiatement chez lui.

Acheter des provisions en vrac dans l’orbite de Geddon était décidément la chose à faire, puisqu’elles étaient toujours abordables et de bonne qualité. Charl appréciait la plupart des plats Banu, donc cela ne le dérangeait pas de stationner sur leur territoire. Il se dit que la viande ne différait pas d’une autre, et que les légumes restaient des légumes comme les autres ; tout vient de leur préparation. Toutefois, il existait certains mets Banu que même Charl ne pouvait digérer. Néanmoins, si vous vouliez prendre quelque chose de spécial, vous deviez vous rendre au marché.

« Humain ! Bière ! » lui lança un marchand dans un « humain » plutôt correct, depuis un sombre étal rempli de futs bière Banu. Celle-ci était plus verte que ce qu’il aurait voulu, mais au diable l’avarice, se dit-il avant de négocier deux futs à un prix raisonnable.

« Yawr-woa-yoo », dit-il pour remercier le vendeur, et il continua d’errer entre les étals. D’autres marchands tentèrent également de le faire s’arrêter aux stands où ils vendaient toutes sortes d’articles, des tissus aux pilules aphrodisiaques, en passant par des repas sur le pouce et des cadavres d’on-ne-saurait-quoi pendus à des crochets. Les odeurs d’épices se mélangeaient à celles de la graisse et de l’essence, Charl s’en délecta. Il erra sans but, prenant des choses à droite, à gauche, sans pouvoir trouver de cigares – l’un de ses péchés mignons – contre de l’amour ou de l’argent. Cela ne le surprenait guère, mais il avait le droit d’espérer. C’était l’une des seules choses qui lui faisait regretter l’espace Humain.

« Torreele ! » s’exclama-t-il soudainement, se rappelant que l’entreprise transportait certaines marques de cigares. Peut-être en importait-elle dans le Protectorat, et quelqu’un pourrait s’arranger pour lui dégoter une ou deux boîtes lors de la réunion sur Bacchus.

La dernière fois qu’il avait travaillé pour Torreele, c’était là evenncore en passant par Lyshtuu, et ce boulot s’était révélé formidable. L’entreprise importait des plats exotiques dans l’UEE, les conditionnait pour la consommation humaine et les vendait dans leurs mondes. C’était un marché gratifiant. Torreele Foodstuffs était toujours à la recherche d’un nouveau produit, et pour ce boulot l’entreprise avait engagé Charl pour grosso modo faire le tour de quelques quartiers Banu, tester la cuisine locale et signaler quoique ce soit paraissant savoureux au palais Humain.  Tout bien réfléchi c’était le meilleur boulot qu’il avait jamais eu. On le laissait bosser seul, sans supervision. Huit mois standards à tenir sur un compte richement fourni. Des mets raffinés. Des lieux soignés. Aucun Humain. Seule sa ligne avait souffert.

Charl espérait que ce nouveau boulot serait du même acabit. Peut-être que l’entreprise voulait inspecter une autre planète. Il accéléra le pas, espérant que l’équipe de ravitaillement avait fini afin qu’il puisse décoller et se mettre en route.

En gros, c’était comme ça que Charl avait gagné sa vie ses dernières années standards. Il avait offert ses services à différents commerçants Banu qui étaient toujours à la recherche d’une nouvelle façon de faire du profit dans l’UEE. Il leur donnait des informations sur la façon de raisonner des Humains, quelque chose qu’ils ne pouvaient pas facilement obtenir seuls. Une espèce alien est difficile à cerner. Que désirent-ils ? Comment négocient-ils ? Charl ouvrait ainsi les yeux des Banus.

Prenez le précédent boulot de Torreele, par exemple. Charl pouvait dire du premier coup si un plat Banu pourrait séduire le large marché Humain. Et ce n’était pas qu’une question de goût. Un chimiste Banu pouvait probablement trouver ce qu’un palais Humain apprécierait. Charl pouvait l’évaluer sur tous ses aspects – goût, couleur, odeur… s’il était trop mou, trop pâteux, etc.

Et ses services ne s’arrêtaient pas à la nourriture, même s’il s’agissait de sa mission préférée. Il évaluait les appareils électroniques, les vêtements, la musique… les biens consommables en tout genre. Même s’il était « marginal », et probablement étranger aux dernières tendances en matière de consommation chez les Humains, il conservait sa sensibilité intrinsèque Humaine, et c’est ce dont ses employeurs avaient besoin. Son cercle d’employeurs Banu faisait souvent appel à lui, bien qu’il y ait des temps morts désagréables entre deux travaux rémunérés, comme s’il y avait une pénurie d’argent là où il débarquait tout juste.

Plus important encore, ses services lui évitaient l’espace Humain, loin de ses espèces indigènes. Non pas qu’il était dans l’incapacité de travailler pour des humains, mais ils lui tapaient vraiment sur les nerfs, surtout les industriels. Charl trouvait qu’il était plus facile de travailler avec les Banu.

Charl espérait devenir l’un des hommes à tout faire de ce Banu.

Cela impliquerait un emploi plus stable. Il avait travaillé pour Lyshtuu deux fois auparavant, en menant à bien sa mission et en tenant parole. C’était ce qui était nécessaire avec les Banu. Tenez votre parole et ils respecteront votre engagement. Tenez vos engagements et ils vous respecteront pour cela. Par contre, ce sont des maniaques des détails de contrats. Trompeusement simples. Trop simples pour la plupart des Humains, avait remarqué Charl.

De retour au Reacher, il rangea ses achats et consulta le chef de l’équipe de ravitaillement. Dans une heure ils auraient fini et il pourrait partir du système Geddon. Il passa ce laps de temps à vérifier son ordinateur de navigation et préconfigurer son itinéraire de vol. Son itinéraire de voyage était déjà entièrement mis à jour, puisqu’il affichait les autorisations de haute sécurité pour chaque système à traverser.

« Merci Lyshtuu ! » lança-t-il à voix haute. Son voyage pour Bacchus ne devrait prendre que quelques heures. Ce serait bien de pouvoir remercier son ami Banu en personne.

À suivre…

Traduction depuis l’Anglais par Hotaru, relecture par Finstern – Source : https://robertsspaceindustries.com/comm-link/spectrum-dispatch/13075-A-Human-Perspective-Episode-2
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Traduction soumise à la licence CC By SA 3.0. Vous êtes libre de copier et réadapter ce texte en mentionnant les auteurs originaux, les traducteurs et la source. Merci !

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