Une perspective humaine – Épisode sept

Par Timothy Brown

« Asseyez-vous, Charl-Grissom, s’il vous plaît. »

Un technicien en blouse de labo le conduisit dans une salle froide où deux chaises se faisaient face de chaque côté d’une table basse. Waouh, ils ont trouvé des chaises. D’éblouissantes lampes blanches éclairaient les murs gris aseptisés, dont le plus éloigné était pourvu d’un long « miroir ». Il s’était déjà trouvé dans une ou deux salles de surveillance comme celle-ci. Laisse-les regardez, qu’est-ce ça peut bien te faire ?

La porte s’ouvrit et un autre technicien accompagna Angela dans la salle, contrôlant ses mouvements depuis une télécommande reliée à l’arrière de sa tête, comme une sorte de laisse. Elle était « éteinte », Charl le voyait, se déplaçant au gré du technicien et dépourvue de volonté. Ils lui avaient fait porter un uniforme terne et lui avaient simplement attaché les cheveux avec une épingle. Les techniciens la firent s’asseoir à l’opposé de Charl, retirèrent sans faire de manières le câble branché sur son crâne et les laissèrent « seuls ».

L’androïde Angela paraissait sans aucun doute vivant, il en convint. Il examina consciencieusement son visage. On aurait dit une poupée super-réaliste le fixant de son regard vide. Sa peau était lisse et sans défaut, et ses yeux parfaitement blanc et bleu, toutefois leur dilatation était effrayante. Même ses lèvres étaient humides.

« Charl-Grissom, un instant. » La voix rauque à l’interphone le fit sursauter. Un technicien revint au galop avec un scanner émettant des bips, puis un autre le rejoint avec des sortes de petits outils qu’ils enfoncèrent à l’arrière du crâne du robot. Ils firent rapidement leurs ajustements puis repartirent.

« Un problème ? », demanda Charl en parlant suffisamment fort pour que les observateurs derrière la vitre sans teint puissent l’entendre.

« Je suis désormais prête. » La voix de l’androïde Angela le fit encore plus sursauter que la voix à l’interphone. Elle le regardait droit dans les yeux, de telle sorte qu’il était difficile de se souvenir qu’il ne s’agissait que d’une machine.

« Oh, génial. C’est parti », lança-t-il. Les techniciens lui avaient dit que leur première rencontre serait brève, afin de tester certains systèmes, leurs techniques d’observation, et d’autres choses. Ils lui avaient expliqué que l’androïde pourrait être confus, au début, mais elle n’en avait pas du tout l’air.

« Merci d’avoir essayé de m’aider quand vous pensiez que j’étais en danger », dit-elle, presque distraitement. Elle se regarda dans le miroir et fit une grimace, puis se recoiffa. « Les techniciens sont de tels imbéciles. Vous devriez voir comme ils m’habillent parfois. »

« Donc vous êtes consciente que vous êtes… »

« Une androïde. Oui. » Sa franchise le prit au dépourvu. « Cependant ils peuvent changer ça. Cette option était désactivée pendant que vous et moi étions ensemble. Là, voilà qui est mieux. » Ses cheveux étaient désormais bien moins effrayants, attachés en arrière en une queue de cheval ondulée.

« Désactivée ? »

« Oui, à ce moment-là j’étais en mode autonomie totale, bien qu’ils n’aient jamais vraiment réussi à le faire marcher correctement. Si vous voulez mon avis, il faut qu’ils travaillent dessus pendant plusieurs mois. » Charl ne sut pas vraiment quoi répondre à ça. Sa parfaite conscience de sa propre condition le mettait mal à l’aise.

« Quand avez-vous été… enfin… vous savez… « créée » ? demanda-t-il, s’étirant légèrement pour se calmer. Le temps qu’il remarque qu’elle n’avait pas répondu, les techniciens en avaient fait de même. Trois d’entre eux surgirent avec de nouveaux scanners et de nouvelles sondes et fondirent sur l’androïde immobile comme une statue. Elle était bloquée, ses inquiétantes pupilles presque entièrement dilatées.

« Charl-Grissom, réparations débutées. Retirez-vous, s’il vous plaît. » Charl se leva et se faufila entre les techniciens au travail et leur androïde défectueux, puis se retira dans les quartiers qu’on lui avait attribuées. Ils étaient loin d’être aussi luxueux que ceux du yacht sur lequel il était arrivé, mais ils feraient l’affaire pour le moment. Ils connectèrent l’ordinateur situé dans ses quartiers directement au système de recherche du projet, afin qu’il puisse y téléverser ses notes écrites ainsi que les enregistrements vidéos de ses réactions face à l’androïde Angela. Leur projet tout entier était à portée de clic sur son écran. Ces techniciens ne connaissent-ils donc pas la sécurité des données ?

Il finit par se détendre sur le lit et mit de la musique. Il était nerveux, et il savait que c’était parce qu’il avait revu Angela. Il parvint à occulter le visage étrangement séduisant du robot en se concentrer plutôt sur sa fortune imminente.

Débuta une routine de deux sessions par jour, une le matin et l’autre plus tard dans la journée, après quoi il téléversait ses commentaires sur leur système. Au début, l’androïde Angela tenait rarement plus de quelques minutes à chaque session, si tant est qu’elle fonctionnait, de ce fait les interactions de Charl avec elle étaient limitées. De l’argent facile, pensait-il. S’ils s’imaginent que je resterai un jour de plus à la fin de mon contrat, ils se fourrent le doigt dans l’œil jusqu’au coude. Cela dit, s’ils veulent payer au prorata…

Les techniciens allaient et venaient et l’étude s’éternisait. Au cinquième jour, cependant, ils avaient corrigé un grand nombre de bugs et les sessions devenaient considérablement plus désagréables.

« Alors, dites-moi » lança l’androïde Angela, se penchant en avant sur la table qui les séparait. « Avez-vous réalisé à un quelconque moment que je n’étais pas une vraie femme ? »

« Non », répondit-il. « Je l’ai déjà admis plus tôt. » Elle portait une chemise moulante et ses cheveux étaient soigneusement repoussés en arrière. Il se demanda si c’était son idée ou celle des techniciens. « Vous avez déjà posé cette question une ou deux fois, ce qui m’a semblé un peu étrange. »

« Il ne s’agit que de problèmes techniques », dit-elle avec dédain. « Les techniciens finiront par les régler. »

« Je vous trouvais, je ne sais pas, un peu bizarre, je suppose »

« Vraiment. Qu’avez-vous trouvé de bizarre chez moi ? »

« C’est difficile à dire », commença-t-il à répondre, incertain de ce qu’il pourrait pointer du doigt et expliquer précisément.

« Était-ce le fait que je ne répondais pas à vos avances sexuelles ? »

« Mes quoi ? »

« Il n’y aucune raison d’en être gêné. »

« Je ne suis pas gêné », lâcha-t-il pour se défendre.

« Vos scans biologiques indiquaient que je vous attirais sexuellement. Votre rythme cardiaque et votre respiration étaient élevés… »

« Vous me scanniez ? »

« Oui, bien sûr. » Honnêtement, Charl devait bien l’admettre, il n’était pas surpris qu’on l’eut scanné, mais cela ne lui plaisait certainement pas.

« Je n’ai jamais vraiment fait d’avances sexuelles… » commença-t-il par expliquer.

« Vous devenez vraiment chaud. Voulez-vous que l’on réduise la température ? »

« Non ! »

« Nos informations indiquent que vous n’avez eu aucune compagnie humaine depuis plusieurs années. Pensez-vous toujours être qualifié pour évaluer l’efficacité de vos avances sexuelles envers une femelle Humaine ? »

« Quoi ? »

« Avez-vous le sentiment d’être régulièrement parvenu, par le passé, à établir ce genre de relations, ou étaient-elles occasionnelles et fortuites ? »

« Qui évaluons-nous ici, vous ou moi ? » demanda-t-il.

« Moi, bien sûr. La façon dont vous me percevez comme une femelle humaine légitime est vitale pour mon développement futur. »

« Tout ça, c’est bien beau, mais… »

« Combien de relations avez-vous eues avec des femelles Humaines ? » L’androïde se gratta le front tout en ayant une expression sérieuse et froide.

« Ce n’est pas vos affaires ! »

« En vérité, le fait que nous extrayions ce genre d’informations fait partie de vos devoirs et est intégralement spécifié dans le contrat. Souhaitez-vous voir le contrat… »

« Trois. »

« Trois », dit-elle simplement avant de marquer une pause. « Voilà un nombre insuffisant de réplicas pour établir une comparaison précise. » L’androïde Angela marqua une nouvelle pause pendant que Charl grinçait des dents. Elle finit par adopter une toute autre posture et changea de sujet.

« Lorsque nous étions sur la planète ag, croyiez-vous que j’étais une xéno-biologiste qualifiée ? »

Les sessions se poursuivirent ainsi.

« Sur la planète ag, auriez-vous partagé des secrets personnels avec moi ? » « Si j’avais suggéré une autre conduite à suivre, l’auriez-vous envisagé ? » « Si vous aviez été blessé, m’auriez-vous fait confiance pour que je vous applique les premiers soins ? »

Charl trouvait les évaluations énervantes et éprouvantes. Il s’affalait sur son lit après chacune d’entre elles et redoutait la suivante. D’un côté, il ressentait une étrange connexion avec l’androïde Angela, peut-être parce qu’elle avait l’air d’être une femme Humaine bien réelle – et désirable qui plus est. Mais d’un autre côté, elle lui paraissait de plus en plus être une machine calculatrice et bien consciente de sa propre condition, qui effectuait des diagnostics sur elle-même, à ses frais. Il se sentait embrouillé et attendait avec impatience le jour qui marquerait la fin de ces sessions. Pendant ce temps, il se consolait dans ses quartiers en planifiant ce qu’il ferait avec tout cet argent.

Cependant, cela le bouleversait tout particulièrement de savoir qu’on le scannait. S’ils avaient pris la peine de lui demander à l’avance, cela ne lui aurait pas posé de problème, mais le fait qu’ils s’y prenaient subrepticement le tracassait. L’androïde Angela lui avait dit directement qu’on avait procédé à différents scans médicaux sur lui, mais qu’avaient-ils pu lui faire subir d’autre, se demanda-t-il ? Alors, entre deux sessions, il décida de trouver la réponse et fouilla les données du projet de développement de l’androïde. S’ils ne voulaient pas que je fouine dans leurs données, ils les auraient protégées, se dit-il.

Ses dossiers étaient faciles à dénicher depuis l’ordinateur qui se trouvait dans ses quartiers. Ils étaient là, des journées de scans médicaux, dont des encéphalogrammes, des schémas de mouvements des yeux, des enregistrements des variations de la voix. Pour avoir tout ça ils avaient dû l’entourer de scanners dans cette salle, et il se gifla pour ne pas s’être méfiés d’eux. Distrait par un joli jouet, s’avoua-t-il.

Les données sur les progrès de l’androïde étaient elles aussi faciles à trouver. Ils avait rédigé quantité de rapports sur ses progrès. Les premiers rapports montraient que l’androïde Angela était basé sur une vraie Angela humaine. Je me demande combien ils l’ont payée ?

Les rapports trahissaient le fait que le projet d’androïde ne se portait pas bien. L’androïde était très en retard. Il était censé être déjà autonome, mais n’était pas près de l’être. Il ne pouvait tout simplement pas fonctionner sans une équipe de techniciens à proximité le contrôlant comme une sorte de marionnette sans fil. Cela prendrait du temps avant qu’ils ne vendent des lots d’androïdes Angela.

Lorsque Charl fut fatigué de farfouiller dans les rapports de ce projet en pleine débâcle, il se déconnecta et s’allongea pour trouver le sommeil.

Le lendemain matin, il se réveilla attaché sur une table avec une lumière aveuglante en plein visage.

À suivre…

Traduction depuis l’Anglais par Hotaru, relecture par Duboismarneus – Source : https://robertsspaceindustries.com/comm-link/spectrum-dispatch/13080-A-Human-Perspective-Episode-7
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Traduction soumise à la licence CC By SA 3.0. Vous êtes libre de copier et réadapter ce texte en mentionnant les auteurs originaux, les traducteurs et la source. Merci !

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