Une perspective humaine – Épisode dix

Par Timothy Brown

« Toi ! »

La vraie Angela reprit visiblement du poil de la bête, alors qu’elle pointait un doigt accusateur en direction de Tech Deux, son invective traduisant des mois – peut-être des années – de peur et de mépris refoulés.

« Retournez aux obligations contractuelles », dit-il dédaigneusement, faisant signe aux agents de sécurité d’avancer, mais ceux-ci n’étaient pas préparés à sa soudaine charge.

« Eh » fut tout ce que Charl parvint à formuler avant qu’Angela ne fonce tête baissée vers le technicien Banu. Elle enfonça son épaule dans ses côtes avec un bruit sourd et le poussa en arrière avant même qu’un des agents de sécurité ne puisse réagir.

« Sale Banu menteur… » Angela renversa Tech Deux sur le dos, puis bondit sur lui en l’arrosant de coups de poings ainsi qu’en lui adressant un flot continu d’obscénités remarquablement inventives. « Tu m’as enfermé comme un animal ! »

« Nécessaire pour étudier… » balbutia-t-il, incapable de parer ses coups.

« Étudier ! » fustigea-t-elle. « Eh bien, étudie donc ça, espèce de… »

Angela avait, au passage, réussi à distraire les deux agents de sécurité, et Charl saisit l’opportunité. Il neutralisa le plus proche facilement, saisissant sa carabine laser de sa main gauche et le frappant violemment à l’arrière du cou de la droite. C’était un point anatomique aussi vulnérable chez les Banu que chez les humains, et son coup le confirma. Le premier agent de sécurité commença à s’effondrer, mais Charl l’attrapa par la taille pour s’en servir de bouclier. Ce fut juste à temps avant que le projectile laser de l’autre agent ne laisse une marque fumante à travers l’armure pectorale et le mur du couloir derrière eux.

« Alarme ! » entendit-il Tech Deux hurler, avant que sa voix ne s’étouffe alors que la vraie Angela réitérait son assaut déchaîné.

Charl redressa sa victime et fondit sur le second agent de sécurité dans le couloir, de sorte qu’ils s’entrechoquèrent tous contre le mur du fond. Il aperçut la carabine du second garde par terre et bondit dessus, écrasant les larges doigts de son propriétaires en-dessous. Arrachant le carabine des mains du garde inconscient, il cogna la tête de son dernier adversaire valide à l’aide de la crosse, puis se mit en joue et fit feu en un éclair. De la fumée et une odeur de chair brûlée se dégagèrent du casque de l’agent de sécurité.

« Angela ! » Elle était dévastée, son visage marqué par les larmes et ses poings serrés ensanglantés, frappant toujours faiblement Tech Deux. Elle l’avait soit tué, soit assommé.

« Brûle en enfer, sale enfoiré ! » hurla-t-elle en sanglots, avant de cracher sur lui et de renouveler sa furie.

« Angela, il faut qu’on parte ! Venez, il en a eu assez ! » Charl l’interpella d’abord en criant, puis se rapprocha, posant doucement sa main sur son épaule et adoucissant le ton. « Angela, c’est fini, et nous devons partir. » Elle mit fin à son passage à tabac et essuya son visage de sa manche, haletant en hochant la tête.

« Très bien, allons-y. » Ils se précipitèrent dans le couloir en direction des modules de sauvetage. « Charl-Grissom est un drôle de nom. »

« C’est juste Charl. Grissom, c’est mon nom de famille. »

« Cons de Banu », répondit-elle en secouant la tête.

Ils avancèrent dans un couloir étroit, puis un empruntèrent un autre avant que Charl n’entende d’autres assaillants les talonner.

« Continuez d’avancer ! » murmura-t-il, puis s’agenouilla et pointa la carabine laser dans la direction d’où ils provenaient.  Ses poignées n’étaient pas faites pour des doigts aussi fins que ceux des Humains, mais ce n’était pas la première fois que Charl se servait de matériel Banu. Il balança un flot continu de destruction derrière eux, laissant de profondes marques fumantes sur les murs du couloir.

« Voilà qui devrait les ralentir ! Par ici ! » Il trouva une trappe d’accès à l’endroit exact où il s’attendait à la voir d’après la carte informatique, mais des ombres révélèrent d’autres Banu grimpant vers eux. « Merde ! » fulmina-t-il avant de pointer la carabine pour s’occuper d’eux.

« Non, par ici ! » Angela attrapa son bras et l’entraîna avec elle. « Ils m’ont conduite par ici. » Ils passèrent une porte donnant sur un laboratoire abandonné, puis une autre les faisant emprunter un couloir qui donnait sur ce qu’il semblait être l’ascenseur principal de la station, dont les commandes primaires étaient accessibles par des escaliers en colimaçon. « Ça devrait être bon si on descend par ici. »

Mais un visage familier leur barrait la route.

« Charl, il n’y a pas d’échappatoire. Posez votre arme. » L’androïde Angela se tenait entre eux et la passerelle, un petit pistolet à la main qu’elle tenait à la hauteur de la poitrine de Charl. Il n’aurait su dire s’il s’agissait d’une arme à énergie, balistique ou juste un taser de sécurité lambda, mais elle avait sans nul doute l’avantage sur lui. Pourtant, se dit-il furtivement, cet androïde n’est qu’un tas de ferraille défaillant, il serait donc capable de…

« Bonjour, Angela » adressa nonchalamment l’androïde. La vraie Angela scrutait prudemment l’arme de son sosie et se rapprocha de Charl.

« Regardez, c’est le robot » provoqua-t-il, « et un robot merdique qui plus est. » Il espéra le voir se bloquer comme il avait pu le voir faire à de nombreuses reprises, mais il savait qu’il ne pourrait pas compter dessus.

Des bruits de pas se rapprochèrent tout autour d’eux, et pendant un instant il songea à sortir la carabine laser et laisser un trou fumant en plein cœur de l’androïde Angela, avec ou sans riposte. Mais celle-ci lu vraisemblablement dans son esprit en un éclair et pointa plutôt son arme de poing en direction de la vraie Angela.

« Au moindre mouvement, elle meurt. » Charl reconsidéra son plan et baissa son fusil laser. Les techniciens et les agents de sécurité  Banu accouraient de tous les côtés. Ils les entouraient et avaient une plus grande puissance de feu. La vraie Angela attrapa Charl par l’épaule, se cramponnant pour se protéger tout en le laissant libre de ses mouvements. Elle tremblait. L’androïde Angela, si elle avait été humaine, aurait esquissé un sourire pendant qu’elle approchait lentement.

« Vous servirez bien le projet », dit-elle.

« N’y comptez pas. » Charl arma la carabine laser qu’il tenait d’une main et projeta un projectile brûlant en direction de l’ascenseur principal de la station, réduisant en poussière des panneaux de contrôles dans une explosion brillante et étincelante. L’androïde Angela ouvrit le feu, mais son tir partit complètement de travers alors qu’elle vacilla contre toute attente en arrière sous l’effet du recul. Quelques tirs lasers frappèrent le pont à proximité de Charl, leurs tireurs également désarçonnés par la soudaine absence de gravité.

« Allons-y ! » Charl saisit la vraie Angela par la taille et se dirigea acrobatiquement en direction de la cage d’ascenseur, en plein dans la fumée et la puanteur du plastique brûlé. Fort de son agilité en apesanteur acquise après une vie passée dans l’espace, il attrapa la rampe, estima leur centre de gravité commun et les propulsa au fond de l’artère, en direction de leur objectif. En un instant, ils avaient laissé derrière eux leurs ennemis pris au dépourvu pour faire des cabrioles en chute libre.

« Qu’avez-vous fait ? » réussit-elle à lui demander, le serrant contre elle.

« J’ai fait sauter les commandes de gravité. »

« Comment avez-vous su… ? »

« Je sais lire. »

Évaluant la distance et l’angle, il se prépara pour un autre ricochet. « Par contre, nous ne sommes pas encore tirés d’affaire. Accrochez-vous ! » Il les fit pivoter afin de rebondir sur un mur en direction de la baie des modules de sauvetage, se retournant pour absorber leur impact avec ses jambes et poser délicatement Angela sur le pont.

« Je suis impressionnée », avoua-t-elle. Il activa le contrôle du module sur le moniteur en Banu et la trappe s’ouvrit en coulissant. Il la fit rentrer dans le véhicule puis se jeta à l’intérieur juste avant qu’un tir laser ne vienne faire rougeoyer le mur de la baie derrière eux. « On dirait qu’ils se sont regroupés ! »

« Attachez-vous ! » Il y avait de la place pour quatre dans le module. Il attacha une ceinture d’une main et appuya sur le bouton de lancement avec l’autre main, les écrasant tous les deux sous le coup de l’accélération.

« Qu’est-ce… que… vous… faites ? » demanda-t-elle, parlant avec difficulté.

« Je réinitialise la télémétrie… afin qu’on ne… retourne pas… sur la planète. » Le module tournoyait violemment sous leurs pieds.

« Pourquoi ? À quel autre… endroit pouvons-nous aller ? » demanda-t-elle, l’apesanteur revenant en milieu de question.

« Eh bien, ce module n’est pas vraiment conçu pour ça, mais je peux nous faire dériver vers le point de saut. Si nous naviguons furtivement, je peux probablement nous aimanter à un cargo ne se doutant de rien pour avoir droit à une traversée gratuite. »

« Que faites-vous, là ? »

« Je coupe le transpondeur. Laissons-les se demander où nous sommes passés. » La balise clignotante sur le petit panneau de navigation s’éteignit.

« Nous poursuivent-ils ? »

« Pas encore. Il n’y avait pas l’air d’avoir de vaisseau d’interception sur la station quand nous l’avons quittée. C’est un labo, pas une base militaire. Toutefois, je suis sûr qu’ils ont pris les devants pour alerter la flotte. »

« Peut-être pas », répondit-elle en désapprobation, se tournant pour regarder les étoiles tournoyer lentement de l’autre côté du hublot.

« Et pourquoi donc ? »

« Je pense que ce sont des dissidents. Chaque gouvernement a les siens. »

« Des dissidents », soupesa-t-il. Je ne l’avais pas envisagé.

« Si c’est le cas, alors ils sont isolés. En général, le Protectorat Banu n’est pas diabolique, et cette histoire d’androïde est un projet diabolique. Ils m’ont gardée enfermée pendant presque deux ans », dit-elle en versant une larme, puis elle secoua la tête pour contenir ses émotions. « Si vous n’aviez pas été là, je pense qu’ils ne m’auraient jamais laissée partir. »  Ils m’auraient gardée sous le coude toute ma vie pour perfectionner leur androïde. »

« Honnêtement, leur androïde est un tas de ferraille. Ils ne sont pas près de les faire circuler dans l’espace de l’UEE.

« Peut-être, mais pourquoi leur laisser une chance de l’améliorer ? Nous devons les dévoiler au grand jour », dit-elle, sans argumenter davantage.

« Très bien, mais faisons-le loin d’ici. »

« Jusqu’où ? » demanda-t-elle, resserrant une ceinture pour l’empêcher de flotter hors de son siège.

« L’espace de l’UEE, ça vous branche ? » L’idée d’un whiskey de seigle et de cigares non synthétiques lui traversa l’esprit.

« Ça me branche carrément. Vous pouvez pas savoir. »

« Vous savez, vous jurez comme un cosmonaute. » Elle lui adressa soudainement un large sourire décontracté.

« Faudra vous y faire. »

Fin

À PROPOS DE L’AUTEUR :

Timothy Brown est un écrivain récompensé et un concepteur de jeu, ayant notamment imaginé l’univers de science-fiction de 2300AD, l’univers de Donjon & Dragons Dark Sun, et celui du MMORPG End of Nations du studio Trion Worlds. « Une perspective humaine » est sa première contribution à Star Citizen. Suivez Tim sur Twitter via @timothybbrown.

Traduction depuis l’Anglais par Hotaru, relecture par Duboismarneus – Source : https://robertsspaceindustries.com/comm-link/spectrum-dispatch/13083-A-Human-Perspective-Episode-10
Merci de contacter l’auteur de cet article pour toute faute ou remarque éventuelles.
Traduction soumise à la licence CC By SA 3.0. Vous êtes libre de copier et réadapter ce texte en mentionnant les auteurs originaux, les traducteurs et la source. Merci !

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