Le 12 décembre 2017, CryTek, entreprise Allemande à l’origine du CryEngine, ce moteur de jeu particulièrement lié à Star Citizen, dépose une plainte contre CIG et RSI pour deux chefs d’accusation généraux : rupture de contrat et violation des droits d’auteur. Pour la sphère Star Citizen, cette affaire s’illustre comme une énième polémique qui cette fois pourrait potentiellement avoir un réel impact sur le développement du projet si la procédure menait à un procès devant jury.

L’affaire est déposée au tribunal du district de Californie, Los Angeles étant la ville accueillant le studio-mère de CIG. Quels sont donc ces chefs d’accusation et que signifient-ils ? L’équipe de StarCitizen.fr vous propose d’y voir plus clair, avec une modeste analyse des causes et des enjeux de cette nouvelle affaire.

Qui est CryTek ? Quel est son lien avec CIG ?

CryTek est une entreprise Allemande qui développe et édite ses propres jeux et sa propre technologie de développement (le bien nommé moteur CryEngine). Elle est particulièrement connue comme étant derrière la série de jeux Crysis. Elle a, en 2012, signé un contrat avec CIG pour le développement de Star Citizen, censément se faire avec son moteur-phare sus-cité.

Le studio de CryTek à Francfort

La compagnie affronte depuis les dernières années (depuis le début du développement de Star Citizen, curieusement et malheureusement) de nombreux problèmes financiers qui la menacent de banqueroute. Ainsi, fin 2016 et après plusieurs périodes de fermetures successives (et de ventes à des studios concurrents), il ne subsiste de la compagnie internationale que trois studios renouant avec les origines européennes : Kiev, Francfort et Istanbul. Ce dernier affronte d’ailleurs depuis récemment de nouvelles polémiques concernant le paiement de ses employés.

À noter que nombre d’anciens employés de CryTek ayant quitté le studio à cause de son instabilité ont rejoint dorénavant CIG sur le développement de Star Citizen (une cinquantaine environ).

Ce qui est notable et important dans cette affaire, et lié aux difficultés de CryTek, est un accord en 2014 passé avec Amazon. Il accorde au géant de la vente en ligne, par un contrat de licence total, l’utilisation du moteur sans contraintes. Ce contrat, s’élevant à environ 60 millions de dollars, permet à CryTek de respirer un temps. Ainsi, Amazon, bien décidé à infiltrer le marché vidéoludique, développe son propre fork du CryEngine : le LumberYard. Le LumberYard est donc le CryEngine, mais plus développé qu’il ne l’a été depuis plusieurs années, et intégrant de nouvelles technologies. Malgré le contrat qui le lie à CryTek, et face aux nécessités de développement (CIG utilise officieusement sa propre version du CryEngine pour Star Citizen, surnommée StarEngine, mieux adapté à ses besoins, depuis un moment déjà ; ils sont particulièrement intéressés par l’infrastructure réseau que propose Amazon, ce qui permettrait de le stabiliser en déployant des serveurs dans d’autres pays), CIG décide donc de signer un accord avec Amazon et migrer vers le LumberYard en 2015, et CryTek perd techniquement son plus gros client. Il n’est pas démérité de penser que cette décision a accéléré les événements ayant amené CryTek à relocaliser ses principales activités en Allemagne.

La rupture de contrat.

Le 20 novembre 2012, CIG s’associe avec CryTek pour la réalisation de Star Citizen. Un contrat est rédigé par Ortwin Freyermuth, co-fondateur de CIG (et son principal conseiller juridique) ; ce contrat n’a jamais été résilié dans les faits et était donc toujours en vigueur au moment de la plainte (justifiant la charge pour rupture). Ce contrat consistait en un GLA, un Game Licence Agreement (Contrat de Licence Vidéoludique) pour l’utilisation du moteur dans le cadre du développement d’un jeu vidéo : Star Citizen.

La plainte se porte ainsi en partie sur une séparation

Ortwin freyermuth

Le contrat stipulait que CryTek accordait les droits d’utilisation du moteur CryEngine à Cloud Imperium Games en échange d’une redevance (une redevance étant un versement régulier en échange d’un droit d’exploitation). Dans ce contrat, CIG a réussi à obtenir une baisse de la redevance en échange d’une mise en avant extensive des marques déposées de CryTek (logos) et des avis de droits d’auteurs (Nous ne connaissons pas le montant de cette redevance). Le contrat spécifierait que les droits n’ont été accordés que pour un seul titre (et les royalties calculées en conséquence) ; or, depuis 2016, CIG développe sans s’en cacher deux jeux (qui ne devaient en faire qu’un seul à l’origine), et cela romprait l’accord faute qu’il soit adapté à cette nouvelle situation.

Ce contrat, donc, établi en accord avec les parties, astreignait CIG à un certain nombre d’obligations dans le cadre de l’utilisation du CryEngine 3, parmis lesquelles (et pour celles incriminées) :

  • Une collaboration dans le développement du CryEngine 3 en remontant les bugs et autres problèmes de fonctionnalités que rencontrerait CIG dans le développement de Star Citizen ;
  • l’obligation précédemment citée d’afficher les logos de CryTek et les avis de droits d’auteurs sur le produit ;
  • l’utilisation exclusive du CryEngine 3 pour le développement du projet.

Évidemment, le contrat contient beaucoup d’autres clauses dont nous ne connaissons pas la teneur. Il est à noter que dans les affaires juridiques liées aux contrats, une partie non négligeable de la procédure consiste à disséquer ledit contrat (au travers des éléments de plainte) pour opposer les clauses, interpréter chaque phrase et analyser chaque éléments incriminés. Il ne sera donc pas étonnant qu’au cours de l’affaire, si elle venait à passer devant un tribunal, CIG révèle d’autres clauses qui seraient en leur faveur (celles-ci étant pour le moment en leur défaveur) : le studio n’a pas encore déposé sa “plaidoirie”.

CryTek accuse CIG de n’avoir pas satisfait aux exigences du contrat, et de l’avoir extensivement rompu sur de nombreux points, ce qui porterait un préjudice financier non négligeable à son activité. En outre et selon la plainte, l’entreprise aurait averti à de nombreuses reprises CIG, avertissements restés sans réponse.

Violation des droits d’auteur.

CryTek reproche ensuite une violation de droits d’auteur pour son moteur CryEngine. CIG aurait distribué des copies non autorisées du programme à des personnes tierces, sans accord préalable de la part de CryTek. Le paragraphe ne s’accompagne d’aucun exemple, donc impossible de savoir factuellement ce qui est reproché à CIG ici.

Mark Abent, présentateur de l’émission BugSmashers

Est également reproché à CIG la modification à titre personnelle du code source du moteur, ces modifications ayant suffisamment d’importance pour que soit nommé officieusement “Star Engine” cette version “maison” du CryEngine. Ajoutez à cela que toutes ces violations, selon CryTek, se sont faites en pleine connaissance du tort causé. Pour exemple, ils avancent l’émission BugSmashers (montrant la résolution d’un bug point par point) qui, si elle masquait au début les éléments de code, montrait de grands pans du CryEngine sur Youtube encore aujourd’hui.

Un point obscur sur lequel nous ne pouvons que spéculer reste celui du “point de rupture” entre CryTek et CIG. Les deux entreprises collaboraient depuis longtemps, et il est évident qu’à un moment où à un autre, la communication entre elles a été envenimée par un événement particulier.

Il est probable que l’abandon du CryEngine pour le LumberYard fut déterminant. L’entreprise allemande a certainement dû vivre ce choix comme une trahison, qu’il soit justifié ou non. Car il faut prendre en compte les nécessités pour CIG d’avoir une technologie à jour afin de répondre à ses besoins. Il est difficile d’estimer si les dernières versions du CryEngine et ses mises à jour n’étaient pas suffisantes pour eux, mais si le studio a choisi de développer sa propre version maison [le StarEngine], et ultimement de passer au LumberYard, c’est qu’il y avait techniquement des avantages non négligeables à en tirer.

Avis de comparution, et non procès.

Il me semble plus que nécessaire de rappeler en quoi consiste les prémices de cette affaire. Puisqu’il faut le rappeler : ce n’en sont que les prémices. Cette plainte ne déclenche aucune procédure judiciaire, si ce n’est un avis de comparution pour qu’elle soit étudiée au regard d’une défense de la part de CIG. Dans l’histoire, CryTek a un intérêt tout particulier à porter ce genre de plainte : au niveau des affaires, il est courant d’effectuer ces actions pour obliger à la réaction dans le cadre d’un contentieux.

À noter que la partie plaignante ne produit pas de plainte “objective”. Elle livre les faits tel qu’elle considère qu’ils lui portent atteinte, et CIG dispose déjà d’un droit de réponse dans le cadre d’une médiation initiale. Ce qu’ils feront sous peu, avant que les deux versions ne soient mises en opposition et discutées.

Les spécificités du droit américain.

Prendre l’affaire sous le jour du droit français ou allemand serait irrecevable. Il est d’ailleurs peut-être intéressant de constater que CryTek a choisi le droit américain pour traiter l’affaire, plutôt que les instances de son pays d’origine. En effet, le droit américain en matière de contentieux contractuels est très permissif en ce qui concerne la procédure ; trop, diraient certains. Ainsi, contrairement au droit français, il permet d’apporter tout au long de la procédure judiciaire, de nouvelles preuves, qui pourraient renverser le cours du procès (si procès il y a), là où une plainte et sa plaidoirie sont les seules preuves sur lesquelles s’appuieront les juges en France (ce qui nécessite de bien préparer son approche et sa défense).

En outre, et point extrêmement important, à n’importe quel moment du contentieux, les deux parties peuvent choisir d’y mettre fin par un accord bilatéral qui fixe de n’importe quelle manière une entente entre eux. Les clauses sont laissées à leur discrétion si elles le souhaitent, et se portent souvent sur un accord financier. Il ne serait absolument pas étonnant que ce soit de cette manière que finisse l’affaire entre CryTek et CIG, avant même qu’elle n’ait commencé. À noter qu’une fois cet accord effectué, le rompre devient un crime fédéral, en ce qu’il est signé sous l’oeil de la justice américaine.

Point rapide sur le montant des dommages et intérêts : la somme de 75.000 dollars avancée dans la plainte n’est qu’une estimation qui permets à l’affaire d’être traitée par un tribunal fédéral.

Conclusion et pistes de réflexion.

Que conclure de tout ceci, et pour le moment ? En tout premier, qu’il est hâtif de considérer Star Citizen comme “en péril” à cause d’une mise en examen. Aucune procédure judiciaire réelle n’est lancée (simplement un avis de comparution), et ce genre de contentieux est chose courante dans le milieu des affaires. C’est simplement un “moyen de réaction” fréquemment utilisé pour obliger une entité à réagir sur un litige (ici donc, CIG) en la menaçant concrètement du couperet judiciaire.

Ensuite, que la tournure de l’affaire, les choix de CryTek ainsi que sa propre situation financière, laissent à penser que l’entreprise désire surtout régler la chose à l’amiable plutôt que de se lancer dans une bataille juridique où CIG aura probablement plus de poids dans sa défense qu’elle n’en aura, elle, dans l’attaque (sans compter l’investissement financier d’une telle procédure). CIG a effectivement rompu illégalement le contrat passé avec CryTek en 2012, et doit le revoir pour qu’il soit adapté à sa nouvelle utilisation (ou non) du CryEngine. Mais au-delà du vice contractuel existe tout un tas de faits issus du contexte qui justifient les actions de CIG. Et son utilisation actuelle du LumberYard fragilise le chef d’accusation de la violation des droits d’auteur. L’entièreté de l’affaire ne s’embarrasse pour le moment que peu des faits, mais surtout de la rupture de contrat (et donc d’un vice) entre CIG et CryTek. Chose qui peut aisément être réglée par un accord avant que tout n’aille devant les instances judiciaires, et soit réglé par un juge.

Les motivations de CryTek dans l’affaire, si on considère qu’elles sont financières, appuient encore plus la piste du titillage pour un règlement à l’amiable. Personne affrontant de graves problèmes financiers ne veut s’engager dans une procédure longue et coûteuse à l’issue incertaine (CIG, par contre, le peut certainement). CryTek a tout intérêt à ce qu’elle soit rapidement réglée, et les points d’accords possibles avec CIG sont nombreux. Car si on considère (parfaitement à raison) que CryTek lance cette affaire dans le but de régler un problème contractuel et une situation qui lui porte préjudice, alors le studio est dans son droit.

En finalité, nous ne pouvons pas déterminer encore l’impact qu’aura l’affaire sur le développement concret du projet Star Citizen, ni ses tenants et aboutissants pour CIG et CryTek. Je peux néanmoins sentir que nombre d’observateurs jugent déjà sur la forme et non sur le fond : une mise en examen (et non un procès, je le rappelle) implique une négativité intrinsèque, et il est aisé de dire qu’il n’y a pas de fumée sans feu. La force des apparences a toujours desservi Star Citizen, et continuera de le faire jusqu’à la fin. Espérons juste que CIG aura les épaules solides pour continuer à affronter ces problèmes sans qu’ils n’impactent ce qu’ils essayent de réaliser.

Affaire à suivre, donc.

Note : la réponse initiale de CIG à l’affaire :

“Nous sommes informés de la plainte déposée par CryTek au tribunal de district, CIG n’a pas utilisé le CryEngine depuis un moment, depuis que nous sommes passés au LumberYard d’Amazon. C’est une affaire sans fondement dans laquelle nous nous défendrons vigoureusement, et nous récupérerons auprès de CryTek les frais qu’elle engendrera.”

Pour les anglophones : Analyse intéressante en vidéo sur l’affaire par un juriste, Leonard French.

Crédits image d’en-tête : StarCitizenBase.de.

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