Penny regarda attentivement son Sysbook éteint. Il était complètement HS. Il ne voulait même pas se rallumer. Ça ne pouvait pas être vrai, pas après tous les efforts qu’elle avait consentis pour personnaliser cette bécane. Durant les heures qui suivirent, elle le désassembla et vérifia chaque millimètre de circuit et de câbles. Rien ne paraissait grillé, cassé, ou même usé.

Alors qu’elle commençait à croire que le plantage était lié au fait d’avoir accédé à des fichiers confidentiels, elle repoussa cette idée pour deux raisons. Un, les fichiers concernant le projet Cassandre avaient cinquante ans, et deux, elle n’avait jamais entendu parler d’un moyen d’éliminer d’un seul coup un système intrusif à distance, en tout cas pas sans qu’il y ait le moindre avertissement. Une quatrième heure s’écoula, et un sentiment de frustration commençait à monter en elle..

“Lt Penelope Ayala” dit une voix depuis la porte.

“Quoi ?” répondit-elle sèchement, tout en se tournant très vite vers la porte. Trois agents de la police militaire se tenaient devant elle. “Oh.”

*****

L’équipage de pirates du Constellation portant le nom de Phénix dormait. Nesser était sensé piloter, mais d’après les ronflements qui résonnaient depuis la proue, il avait été terrassé par la boisson. Avant d’aller se coucher, ils avaient menotté Cal Mason à la cloison entre le cockpit et les colliers d’amarrage avants.

Il commença à mémoriser l’agencement des baies de stockage, où étaient rangés les outils, tout ce qui pouvait lui être utile si la situation tournait au vinaigre. Pour l’heure, il était à la recherche de n’importe quoi pouvant servir à crocheter une serrure.

Il fut distrait de sa recherche par des bips sonores venus de l’avant. Nesser ronflait toujours. Finalement, Cal entendit s’ouvrir la porte menant à la soute et aux quartiers d’habitation. Sasha alla jusqu’au poste de pilotage et coupa l’alarme. Trunk la suivait.

“Dégage-le d’ici,” dit Sasha. Trunk tira brusquement Nesser du siège de pilote et Sasha prit sa place.

“Qu’est-ce que tu fous, mec?” marmonna Nesser, avant que Trunk ne le jette au sol à côté de Cal.

“Reste là.” Trunk posa un pied sur la poitrine de Nesser et le menaça du doigt. “Dès qu’on atterrit, on te paie et tu disparais. Pigé?”

“On approche”, dit Sasha. Trunk hocha la tête. Puis tous deux regardèrent Cal.

“Lève-toi”, dit Trunk.

Cal se mit debout. Trunk détacha les menottes de la cloison, puis lui attacha de nouveau les mains ensemble, pendant que Sasha dénichait un pistolet dans son casier et le chargeait. Elle emmena Cal à l’arrière du vaisseau, là où était rangée la cargaison.

Entre les piles de marchandise, il remarqua les contours familiers d’un P52 arrimé sous le plancher. Lorsqu’il était encore à la maison, Cal avait déjà piloté une version plus petite de ce chasseur à courte portée. C’était un vaisseau d’initiation, un modèle pour enfant, mais pour lui, c’était synonyme d’évasion. Au fil des ans, il avait appris à le connaître par cœur.

Cal entraperçut Mahony, le mécanicien de bord, en train de l’observer depuis les couchettes.

Sasha s’arrêta devant des caisses empilées. Elle ouvrit un panneau dissimulé et composa un code. Une porte s’ouvrit d’un coup dans un sifflement. Toutes les différentes caisses de marchandise ne faisaient en fait qu’un seul gros compartiment vide servant à la contrebande.

D’un geste du pistolet, Sasha lui fit signe d’entrer. Cal étudia l’endroit avant d’y pénétrer. Elle suivit, et Trunk scella l’entrée. Ce conteneur avait été utilisé récemment pour faire passer des gens en douce. Il y avait déjà un tabouret, et un seau vide qui dégageait une certaine odeur. Malheureusement pour Cal, il était du côté du seau.

“Prenez un siège,” dit Sasha avec un sourire narquois. Cal retourna le seau du pied et s’assit dessus. Sasha était assise en face, le pistolet braqué sur lui.

“Votre équipage n’a pas besoin de vous ?” dit Cal en s’asseyant sur le seau.

“Je pense qu’ils s’en sortiront. Et puis, si les douanes me repèrent sur un scan…” Sasha soupira, “disons juste que ça pourrait poser des problèmes.”

“La vie de criminelle n’est peut-être pas faite pour vous.”

“Oh si. Ça me convient tout à fait. En outre, d’ici un mois ou deux, ils auront oublié. Les gens de votre bord oublient toujours.”

“Ben voyons. Devoir sans arrêt regarder par-dessus son épaule ? Ne pas savoir à qui faire confiance ? Ce n’est pas une façon de vivre.”

“Bien sûr, parce que vivre et mourir au gré des caprices des seigneurs de l’UEE, ça c’est la voie à suivre.”

“C’est une vie honnête”, dit Cal sans hésitation. Sasha le fixa pendant une seconde avant de glousser.

“Et bien croyez-moi, m’étant personnellement retrouvée sous les bombes de l’UEE sur Cathcart, vous pouvez appeler ça une vie si vous voulez, mais n’ayez pas le culot de la qualifier d’honnête.”

*****

Une foule de vaisseaux se regroupaient en un semblant de file d’attente, à la frontière du Protectorat Banu. Les douanes de l’UEE effectuaient un contrôle minutieux avant d’autoriser l’accès au point de saut. Des tourelles automatiques et des drones couvraient chaque centimètre séparant le point de contrôle du point de saut, afin d’arrêter les fuyards.

La file de vaisseaux, pour la plupart des marchands ou des transporteurs, avançait petit à petit. Le Phénix dérivait lentement vers le point de saut. Trunk était aux commandes. Nesser faisait les cent pas derrière lui en se rongeant les ongles.

Leur tour vint enfin. Le Phénix plana jusqu’au point de contrôle. Un agent des douanes apparu sur les Comms. Trunk transmit les identifiants. La structure du vaisseau émit un bourdonnement pendant que les scanners la longeaient sur toute sa longueur.

*****

Dans le conteneur, Cal et Sasha se regardaient en chien de faïence. Ils levèrent tous les deux les yeux en entendant les scanners. Sasha fut la première à ramener son regard sur Cal.

“Écoutez, lorsque nous serons de l’autre côté, nous déciderons de votre sort.” Elle ajouta rapidement, “la majorité penche pour le sas”.

“Je vois.”

“Mais vous avez le choix.” Elle hésita un instant, “venez avec nous.”

“Quoi ?” Cal n’avait pas vu venir ce coup-là.

“Vous avez vu Nesser, il est fini. Quelqu’un dans votre genre nous serait utile.” Ses yeux d’émeraude étaient presque incandescents, malgré la pénombre. “Sans les règles et les ordres, la vie est sauvage, imprévisible, passionnante. Et qui sait, ça vous plaira peut-être. Sinon, gagnez juste votre croûte pendant deux mois et vous pourrez partir.”

“Vous me demandez d’abandonner mes amis, mon vaisseau, mon devoir, pour sauver ma propre existence ?” Cal donnait l’impression de vraiment y réfléchir.

“Si ça vous sauve du sas, pourquoi pas.” Sasha haussa les épaules et sourit. “Ce n’est pas comme s’ils avaient besoin de le savoir”.

“Moi, je le saurais.” Cal la regarda droit dans les yeux, et tout ce qui pouvait faire croire qu’il envisageait d’accepter disparut. “Et c’est bien assez”.

Le scan cessa. Ils entendirent les moteurs démarrer. Il y eut ce petit haut-le-cœur familier qui accompagnait la traversée d’un point de saut. Cal et Sasha recommencèrent à se dévisager.

Au bout de quelques minutes, la porte du compartiment siffla et s’ouvrit. Trunk était là. Sasha passa devant lui. Trunk remit Cal debout et le ramena dans la soute.

Sasha rangea son pistolet près de sa couchette. Trunk tenait fermement Cal, et la regarda.

“Quel est le verdict ?” Dit-il. Sasha se tut un instant. Elle tourna son regard vers Cal. Il le lui rendit, plein de défi.

“Tue-le.”

…A SUIVRE

Source: https://robertsspaceindustries.com/comm-link/spectrum-dispatch/12822-Cassandras-Tears-Issue-7