Eh bien, peut-on rêver meilleur accueil à Taranis, le jardin d’abondance de l’espace humain ?

Juste à la limite des capteurs de Gates, deux pirates se rapprochaient sans la moindre discrétion d’un marchand. Cela faisait un petit moment qu’il suivait la situation et qu’il voyait que le capitaine du vaisseau au long cours, en tentant d’échapper aux deux vaisseaux lancés à sa poursuite, se précipitait dans les griffes du pirate embusqué sur sa trajectoire. Le troisième pirate alluma ses capteurs, refermant ainsi le piège.

Le capitaine du vaisseau marchand aggrava encore son erreur en choisissant de ralentir, là où il eut mieux valu essayer de passer en trombe devant l’unique vaisseau en travers de sa route : une course-poursuite permettait de tenir plus longtemps… mais non, il avait ralenti, et son changement de trajectoire ne faisait que le maintenir plus longtemps à portée de tir des pirates.

Les missiles fusèrent entre les pirates et leur cible. Des IEM brouillèrent ses capteurs tandis que la première salve des pirates abattait les fragiles boucliers du marchand. Malgré le brouillage de l’écran radar, Gates savait ce qui allait suivre : un passage éclair aux canons pour endommager les moteurs et les générateurs de boucliers, et pour détruire toute arme éventuellement installée par le propriétaire.

Hésitant, Gates sentit une moue se dessiner sur son visage. Les chasseurs de primes s’en prenaient rarement aux pirates en maraude et préféraient plutôt cibler des primes individuelles, lorsque le pirate se trouvait à la surface d’une planète, peut-être même ivre, et certainement bien loin de ses armes anti-vaisseaux qui risquaient de mettre le chasseur de primes sur la paille. C’était une approche pragmatique, et s’il ne s’y tenait pas il attirerait les soupçons sur sa couverture.

Si personne ne changeait de cap ou de vitesse, leurs trajectoires se rapprocheraient suffisamment pour qu’ils se retrouvent à portée des missiles de Gates dans moins de trois minutes.

Dans ce genre de situation, il y a toujours quelqu’un qui survit, et il finit toujours par parler. Faut pas qu’ils puissent raconter que j’ai foncé dans le tas sans être certain d’avoir du pognon à gagner.

La balise de détresse du marchand se déclencha.

C’est idiot. Ils auraient dû abandonner et renoncer à leur cargaison. Il y a des assurances pour ça. Maintenant les pirates vont littéralement les ouvrir en deux pour venir se servir.

Les identifiants de la transmission indiquaient que le vaisseau était un T-XIII, un des transporteurs les moins chers à parcourir les voies spatiales. Tout juste capables de franchir les points de saut, ils étaient dotés de vastes soutes et nécessitaient un équipage réduit, ce qui en faisait les tas de ferraille de prédilection des marchands pas très regardants.

Deux minutes avant qu’il n’arrive à portée efficace de ses missiles, l’écran tactique émit un signal sonore. Le transporteur avait cessé de manœuvrer.

Et merde. Gates augmenta sa vitesse de vingt pour cent pour se rapprocher encore plus vite. Les pirates vont peut-être flipper en me voyant ramener ma fraise.

Il compara la signature des moteurs de tous les vaisseaux avec les profils enregistrés dans la base de données du 325. Celui qui s’était tenu en embuscade était un Cutlass, de même que l’un des deux poursuivants. L’autre poursuivant était un Caterpillar, un vaisseau au long cours modifié; gros, lent et il ne pourrait certainement pas compter sur sa maniabilité en cas de combat.

Gates consulta l’écran tactique et chercha à obtenir une solution de tir pour ses missiles sur le Cutlass en approche, tout en surveillant les positions des autres vaisseaux. Le Caterpillar était quasiment au-dessus du transporteur, probablement en train d’attirer le vaisseau cargo grâce à ses rayons tracteurs.

Une voix se fit entendre sur les comms générales: « Ami voyageur, vous devez changer de direction. »

J’suis tombé sur un pirate du genre poli, on dirait. Poli, mais pas très clairvoyant. Il n’a pas compris à quoi il faisait face.

Gates se fendit d’un sourire tandis que la distance diminuait. Lorsque l’autre vaisseau fut à portée suffisante, il ouvrit le feu.

Il fallut un certain temps avant que les capteurs ne révèlent quoi que ce soit au pirate, temps durant lequel il poursuivit son avertissement: « je ne vous le répéterai pas une deuxiè- » le micro fut coupé dans un cri de panique au moment où le pilote réalisa que de chasseur, il était devenu proie. Il réagit mal, et lança ses contre-mesures beaucoup trop tôt tout en agitant le manche directionnel dans tous les sens. Son indécision lui fit perdre beaucoup de vitesse pour rien. Plus lent qu’au départ , il se retrouva en train de s’éloigner de ses acolytes et presque parallèle à Gates.

Gates mit plein gaz et fonça droit sur le Cutlass. L’ordinateur de visée émit un grésillement tandis qu’il calculait une solution de tir sur les autres vaisseaux. Si le premier Cutlass survivait aux deux missiles qu’il lui avait décochés, Gates l’achèverait avec ses canons.

Gates ajusta sa trajectoire et glissa sur le côté au moment où le système de contre-mesures émit une série d’avertissements.

Il les ignora tout d’abord, et lança lui-même deux missiles; ils filèrent droit sur l’autre Cutlass. Gates aligna son canon électromagnétique sur le premier Cutlass et lui cracha une volée de projectiles à hypervélocité.

Il aurait tout aussi bien pu s’en passer. Les deux missiles de sa première salve rattrapèrent aisément le Cutlass et son pilote inexpérimenté : la première détonation fit tomber ses boucliers une fraction de seconde avant qu’une deuxième explosion ne se produise juste à côté du cockpit du vaisseau. Quelques battements de cœur plus tard, les projectiles à hypervélocité du canon électromagnétique percèrent le flanc du Cutlass juste devant la zone des moteurs, éparpillant au passage de gros morceaux de blindage et de composants internes. Perdant de l’air de toutes parts, le Cutlass partit à la dérive en tournoyant dans les ténèbres sans fin.

Il détourna le regard et aperçut, fonçant droit sur lui, les deux points brillants formés par les réacteurs des missiles tirés par le dernier Cutlass. Il attendit, ignorant les alarmes qui se faisaient de plus en plus stridentes.

Au dernier moment, il vira de nouveau tout en larguant des contre-mesures le long de sa trajectoire initiale. Les minuscules cerveaux électroniques se laissèrent duper et suivirent les fausses signatures. L’obscurité derrière Gates fut soudain illuminée par des sphères de plasma. Il changea de trajectoire une troisième fois et accéléra à fond.

Il avait perdu ses propres missiles de vue, et dut jeter un rapide coup d’œil à son écran tactique . Ce pilote était meilleur.

Il avait probablement réussi à complètement éviter l’une des explosions. Ses boucliers étaient en train de se réactiver. Le Cutlass avait mis plein gaz et manœuvrait de façon à prendre Gates sur le côté, pour le prendre en sandwich avec le Caterpillar.

Gates fila droit sur le Caterpillar. Il comptait sur la vitesse supérieure du 325 pour s’en occuper avant que le Cutlass n’ait eu le temps de le canarder suffisamment pour surcharger ses boucliers.

Arrivé à portée de tir, il effectua un tonneau avec le 325 et enfonça les deux commandes de tir. Des rayons fusèrent à travers le vide, suivis de près par des éclats de métal à peine moins rapides, sauf peut-être pour une machine.

La tourelle du Caterpillar entra en action.

Gates poussa violemment le manche vers l’avant puis sur la gauche tout en enfonçant la pédale droite, et braqua aussitôt le manche vers la droite. Sous l’action des propulseurs, le 325 plongea vers la gauche avant d’effectuer un tonneau vers la droite qui l’amena juste « en dessous » de la position du Caterpillar, empêchant ainsi le canonnier de le cibler. Tirer depuis une tourelle demandait beaucoup de coordination entre pilote et canonnier – et parmi la racaille pirate, rares étaient ceux qui s’y exerçaient.

Il releva le nez de son appareil et ouvrit le feu dans le ventre du Caterpillar, libérant des éclats de blindage et de la vapeur de métal surchauffé qui illuminèrent les ténèbres. Quelque chose céda à l’intérieur du Cat tandis que Gates redressait sa trajectoire, et une demi-sphère de feu jaillit d’un propulseur directionnel, semblable à une cloque brillante.

D’autres signaux d’alerte se mirent à retentir ; cette fois, il s’agissait de ses boucliers. Le Cutlass s’était rapproché lorsque Gates avait ralenti et avait réussi à le toucher plusieurs fois de son canon laser.

Bon pilote. Bien meilleur que son ailier.

Il pressa le bouton de comm et, tout en manœuvrant de façon à décrocher le Cutlass, lui transmit : « Un seul d’entre vous me suffit pour toucher la prime. Pas plus. Si tu choisis de t’enfuir, je ne te poursuivrai pas. »

De nouveaux tirs touchèrent ses boucliers.

Gagnant toujours plus de vitesse, Gates lança le 325 dans une spirale qui allait en s’élargissant, et poussa le vaisseau et ses compensateurs au maximum.

Le Cutlass suivit le mouvement, mais sa plus grande agilité ne parvenait pas à compenser sa vitesse inférieure et à chaque seconde qui passait, il perdait l’avantage de la position.

Au sommet d’une courbe, Gates renversa sa trajectoire. Tout devint gris sous l’influence écrasante des g , en dépit de l’action des compensateurs. Respirant avec peine, Gates parvint à rester conscient par la force de sa volonté et ajusta le Cutlass juste avant de presser à nouveau les deux détentes.

Le pilote du Cutlass était sacrément précis : une succession de tirs réussit à faire tomber les boucliers du 325 avant de démolir la nacelle de missiles vide à tribord et de fendre le blindage sur toute la longueur de cette aile.

« On va dire qu’on est quittes, alors, » lui transmit le pirate à l’instant où le Cutlass passait en un éclair devant le vaisseau de Gates, en pleine décélération.

Gates vira mais se retint de tirer, tandis que le pirate continuait à accélérer pour décamper ; un marché était un marché, après tout.

Le Caterpillar faisait de son mieux pour disparaître à toute allure dans les profondeurs du système.

Il se dirigea vers le transporteur. Les communications s’activèrent à nouveau : « Ici le capitaine Charles Zhou, à bord du Baiser de Sainte Claire. Veuillez vous identifier. »

« Arminius Gates, chasseur de primes. Les pirates ne reviendront pas. »

« Oh, Bouddha soit loué. »

Les trop nombreux remerciements larmoyants qui s’ensuivirent finirent par paraître de plus en plus agaçants à Gates. Cela prit pas mal d’efforts, mais le capitaine put enfin remettre en état de marche leurs principaux systèmes. Quelques heures plus tard, Gates escortait le vaisseau marchand Baiser de Sainte Claire jusqu’au point de saut vers Nemo, tout en essayant de décliner poliment les offres d’assistance douteuses que lui ou son équipage auraient pu proposer à leur sauveur.

… À SUIVRE

Source : https://robertsspaceindustries.com/comm-link/spectrum-dispatch/13171-A-SEPARATE-LAW-PART-FOUR

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