Se retrouver en charge d’une armée de prisonniers fraîchement évadés n’était pas aussi glorieux que ce qu’on aurait pu le croire. Non que je ne me le sois déjà représenté, mais lorsque vous êtes assigné à, disons, la surveillance des prisonniers, votre imagination s’emporte quelque peu. À présent, à cause d’une attaque de pirates ayant tué tous les officiers supérieurs de la station, l’ordinateur de bord avait placé la psy de la prison aux commandes, et étant son seul patient gradé, je me retrouvais avec une certaine autorité.

Mon uniforme d’officier bleu tranchait avec le orange que portaient tous les autres au sein du groupe, à l’exception de Cayla Wyrick, la thérapeute en question. J’avais déjà surpris quelques regards enragés à mon encontre, et je savais qu’aussitôt que ces gars se lasseraient des nouvelles armes qu’elle leur avait procurées à l’armurerie, les choses allaient se corser. L’astuce pour rester en vie était de les maintenir occupés. Et c’est exactement ce que Wes Morgan, le mercenaire que nous avions secouru du bloc de haute sécurité essayait de faire.

Morgan, Wyrick et Cronock étaient attroupés autour de la tablette de Wyrick, juste devant le monte-charge. Le mercenaire s’était révélé être une sorte d’expert en piratage informatique et avait réussi à accéder au réseau de la prison avec ce qui n’était rien de plus qu’un gadget de bureau. Des images du pont d’envol, récemment retapé, défilaient sur l’écran.

« C’était dépressurisé suite à l’attaque initiale. » dis-je. « On dirait bien qu’ils ont rafistolé le compartiment et restauré la gravité. »

On pouvait voir des attroupements de pirates ça et là, et des feux d’approche illuminer toute une partie du pont d’envol alors qu’un grand cargo manœuvrait au travers du bouclier de pressurisation. On aurait dit qu’il avait été assemblé à partir de pièces d’autres vaisseaux. Un énorme canon à particules dépassait de la proue, peint pour ressembler à la corne d’un animal sauvage. Malheureusement, l’illusion de férocité était ruinée par deux ailes beaucoup trop petites, assimilant plus le rafiot à une dinde à corne qu’à un prédateur.

« C’est les Chiens » dit Morgan d’un air sinistre, son doigt pointé vers des graffitis visibles sur la coque du cargo.

« Les Chiens ? » l’interrogeai-je.

« Les Chiens de Nova. C’est pas bon. Suréquipés côté armes et légers niveau morale. Ils ont aussi pas mal de moyens, pour des pirates. »

« Des cannibales. » grogna Cronock. « Ils voudront pas qu’on les rejoigne. »

Lorsqu’il vit comment Wyrick et moi le regardions, il haussa les épaules. « Si vous espériez de la loyauté, vous êtes encore plus bêtes que je pensais. »

« On peut tenter une manœuvre d’encerclement. » dit Morgan, ignorant la remarque. Il tenait probablement pour acquis depuis longtemps que Cornock se retournerait contre nous à la première occasion. Il fit pivoter la caméra depuis l’écran de la tablette.

« On se faufile derrière ces chasseurs et on les frappe avant qu’ils ne réalisent qu’on est là. »

Cronock rota bruyamment. « ‘Manœuvre d’encerclement’ ? Ces gars sont pas des soldats. Vaudrait mieux utiliser des mots simples et parler lentement avec c’t’équipe-là. »

« Ne peut-on pas trouver un accord avec les pirates ? » suggéra Wyrick.

Morgan continua comme si Wyrick n’avait rien dit. « Tes hommes ne tiendront pas cinq minutes contre les Chiens de Nova en assaut frontal. »

« Y’a qu’un seul moyen de d’le savoir. » Cronock écrasa le bouton du monte-charge et aboya à ses hommes de monter dedans. Je restai en arrière avec Wyrick, essayant de comprendre comment je m’étais retrouvé dans une telle situation. Si j’avais voulu combattre des pirates, j’aurais piloté un chasseur de l’UEE. J’avais eu la possibilité de choisir mon assignation après mon diplôme. Évidement, la mort de David m’avait convaincue d’opérer hors d’un cockpit.

La sécurité sur l’OSP-4 était stricte, et le pont d’envol était conçu pour être étroit et procurer un sentiment d’oppression. L’ascenseur s’ouvrit sur un sas qui était un vrai coupe-gorge. Les gardes sur le pont d’envol pouvaient tirer au travers d’une fente verticale faite dans le mur, et je savais qu’il y avait un appareil subsonique au plafond qui pouvait servir à étourdir tous ceux qui s’y trouvaient. Heureusement nous avions Wyrick, et ses codes d’accès nous permirent de désactiver à la fois les défenses du sas et la sirène de l’ascenseur.

Les hommes de Cronock submergèrent rapidement les pirates en poste devant l’ascenseur. Il prit cette petite victoire comme le signe que son plan était le bon, et arpenta le pont d’envol à la tête d’une vague orange qui tirait dans tous les sens. Les quelques pirates éparpillés sur le pont se mirent rapidement à couvert derrière des piles de caisses et ripostèrent.

« Reste ici. » dit Morgan calmement en plaçant sa main sur mon torse. Il jeta un coup d’œil rapide aux alentours pour repérer les positions des pirates. « Quelque chose ne tourne pas rond. »

La petite file de pirates qui venait de débarquer du cargo était mieux armée et entraînée que les autres. Ils mirent rapidement à l’abri de la fusillade un homme immense habillé de noir et le pressèrent de retourner vers la passerelle. Il ne voulut rien savoir et poussa ses lieutenants sur le côté.

« Jetez vos armes ! » hurla-t-il à ses subordonnés, et je pus apercevoir un éclat métallique là où aurait dû se trouver sa mâchoire. Son corps était très musclé, à tel point que sa tête semblait ridiculement petite entre ses épaules massives. Il avait des cheveux longs et noirs qui s’accordaient à la combinaison de vol qu’il portait. Le motif sur sa poitrine représentait un crâne placé entre les dents d’un autre crâne, plus grand. Ce qui, et c’était d’autant plus sinistre, avait plutôt du sens pour le chef d’une meute de cannibales.

Il marcha droit vers la fusillade, abaissant violemment les armes de ses pirates en passant près d’eux.

Cronock, surpris et troublé par cette soudaine reddition sentit probablement qu’il n’avait d’autre choix que de cesser le feu également, et ordonna à ses hommes de baisser leurs armes.

« Qui est-ce ? » demanda discrètement Wyrick.

La mâchoire de Morgan s’était raidie. « Martin Kilkenny. Vous lui auriez certainement diagnostiqué un syndrome de toute-puissance Il est devenu tristement célèbre à la suite d’une attaque qu’il mena contre un vaisseau rempli d’esclaves. Sauf qu’au lieu de les libérer, lui et son équipage les ont mangés, après quoi ils ont vendu le navire. On est dans la merde. »

Cornock ne semblait pas avoir reconnu Kilkenny, ou en tous les cas ne semblait pas impressionné. « On veut vos vaisseaux. Filez-nous les codes si vous voulez vivre. »

« J’entends pas bien, approchez ! » cria Kilkenny en mettant sa main derrière son oreille.

« Est-ce que vous voyez ça ? » dit Morgan à voix basse à Wyrick et moi pendant que Kilkenny continuait de parlait. Il fit un signe de la tête en direction des chasseurs.

Je suivis son regard. Les deux véhicules étaient les chasseurs Hornet de l’OSP-4. Après un petit moment, je vis une variation de lumière. Il y avait quelqu’un à l’intérieur ! Mes yeux passèrent sur le second Hornet. L’angle ne me permettait pas de voir à l’intérieur du cockpit, mais j’étais certain qu’il était également occupé. Pire encore, le groupe de Cronock s’était déplacé au beau milieu de la zone de tir.

« Nous devons les avertir. » dit Wyrick affolée.

Morgan la regarda comme s’il venait de lui pousser une seconde tête. « Que croyez-vous exactement que ces prisonniers nous auraient fait lorsqu’ils n’auraient plus eu besoin de vos codes pour fuir la station ? On attend ici. Peut importe le groupe qui perd, on sera gagnant. »

« Nous ne pouvons pas les laisser se faire massacrer sans rien dire. » dit Wyrick désespérée. J’avais presque pitié d’elle. J’avais oublié qu’elle connaissait ces hommes intimement, comme seuls les psys le peuvent. Elle connaissait leurs histoires, leurs espoirs, leurs rêves… C’était son travail de faire émerger le meilleur d’eux-même dans l’espoir d’aider à leur réhabilitation. Morgan et moi avions le luxe de ne les voir que comme un tas d’aliénés lourdement armés en combinaison orange. Nous pouvions les regarder se faire massacrer sans la moindre arrière pensée. Elle non.

« Ça ne nous aidera pas beaucoup si Kilkenny tue Cronock sans une vraie baston. » fis-je remarquer.

« D’accord, » Il secoua la tête. « D’accord ! Fermez la et suivez moi. »

Nous nous baissâmes et courûmes derrière le chasseur le plus proche. Morgan plongea sous le fuselage et nous invita à le suivre. De l’autre côté se trouvait un tas de caisses marqués par des tirs de blaster. Deux pirates morts gisaient sur le pont non loin.

« Regardes, » dit Morgan en plaçant un couteau dans ma main. Il désigna un fin tube en caoutchouc fin qui pendait du train d’atterrissage du vaisseau. « Y’a du fluide hydraulique pour le train d’atterrissage là-dedans. Quand je te le dis, tu le coupes. Et évite de t’en mettre sur les mains, c’est super toxique. »

Il tendit sa tête à l’avant de l’appareil pour voir où en était le groupe de Cronock. Ils n’avaient pas du tout repéré les armes installées à l’avant des chasseurs. Dans un soupir, il plaça son fusil à l’épaule et jeta un coup d’œil au train d’atterrissage de l’autre chasseur à travers la lunette.

« C’est assez proche. » dit Kilkenny à Cronock. Je pouvais à peine les voir à travers le train d’atterrissage.

Wyrick s’agenouilla à côté de moi. Elle n’avait pas d’arme, ayant refusé celle que Morgan lui avait proposée dans l’armurerie. Raisons philosophiques, sans doute. Je respectais sa décision, même si j’aurais souhaité que nous ayons une troisième arme. Même accroupi sous le chasseur, je me sentais exposé. Elle ne sembla pas remarquer mon inconfort.

« Qu’est-ce qu’il a à la mâchoire ?
– La ferme » siffla Morgan. Il désigna un point au dessus de ma tête. « Le cockpit est juste là. »

Nous regardâmes en l’air, puis vers lui, avant d’acquiescer comme un seul homme.

« Je disais, … » répéta Cronock plus fort que précédemment, « …nous sommes là pour

– J’avais entendu. » l’interrompit Kilkenny. « J’avais juste besoin que vous soyez précisément là où vous êtes maintenant. » L’équipe de Cronock était tombée en plein dans le piège.

« Maintenant ! » dit Morgan subitement. Il ouvrit le feu sur le train d’atterrissage de l’autre chasseur, le fusil vibrant dans ses mains. J’abattis mon couteau, mais à mon grand désarroi,le caoutchouc se courba sous ma lame. Des flashs éblouissants oblitérèrent ma vue lorsque les armes du Hornet commencèrent à faire feu sur le groupe de prisonniers.

« Nylund ! » lança Wyrick en enfonçant ses ongles dans mon bras.

« Je fais c’que j’peux. » rétorquais-je. J’attrapai la durite avec mon autre main et commençai à la scier. Morgan avait dirigé ses tirs vers les hommes de Kilkenny qui s’étaient retranchés dans le cargo. Tout à coup, je transperça le tuyau et le fluide hydraulique se rependit partout. La proue du Hornet bascula dangereusement et m’aurait percuté la tête si je n’avais pas reculé à temps pour éviter le jet de fluide. Un tir de laser toucha le pont à proximité et de l’air chaud déferla sur nous.

« Par là ! » hurla Morgan à ce qu’il restait des hommes de Cronock. Nous entendîmes un sifflement au dessus de nous. Il pivota et fit feu. Le corps sans vie d’un pirate tomba du cockpit sur le pont à côté de nous, un trou sanguinolent avait pris place où résidaient d’ordinaire ses yeux.

Morgan saisit le bras de Wyrick, l’extirpa de sous le chasseur pour finalement quasiment la jeter sur la plate-forme de chargement. Je les suivis, me faufilant jusqu’au panneau de contrôle de la plate-forme. L’un des canons coaxiaux du cargo s’était mit en marche et crachait ses lasers dans notre direction. J’écrasai ma main sur ce que je pensais être la commande de descente et un rectangle de la taille d’un chasseur se mit en mouvement sous nos pieds.

J’entendais Wyrick appeler Morgan qui tirait sur le cargo sans grand résultat pendant qu’une demi-douzaine de prisonniers se précipitaient vers nous. La plate-forme bougeait avec une lenteur désespérante, heureusement nous fûmes hors de portée du canon coaxial en quelques secondes. Juste avant que la porte de la plate-forme ne se referme sur nous, Morgan glissa du rebord pour se laisser tomber près de nous.

« Bien, » dit-il en regardant en arrière. « Va falloir trouver un autre moyen de quitter cette station. »

À suivre…

Traduit de l’anglais par Nathaniel Flint avec la participation de Zeptow. Relecture et corrections par Sunrider_44
Source : https://robertsspaceindustries.com/comm-link/spectrum-dispatch/14021-Orbital-Supermax-Episode-Three

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