J’étais en mauvaise posture.

J’étais officier dans une prison à moitié détruite par des pirates, dont la plupart des prisonniers s’étaient échappés et erraient à présent sans entraves dans les couloirs. Nous avions sauvé la vie de ces quelques prisonniers, et pourtant ils ne me faisaient toujours pas confiance. Wes Morgan, le mercenaire que nous avions sorti d’une cellule, devait me prendre pour un fou, et Wyrick… et bien Cayla Wyrick était ma psy.

« La baie d’entreposage est par là. » suggérais-je en m’apercevant que nous étions sur le point de rater l’embranchement.

« On ne va pas à la baie d’entreposage. » dit Morgan sans ralentir.

Je lui demandai alors où nous allions, mais il m’ignora, et je décidai de ne pas insister. Personne d’autre ne semblait s’en préoccuper. Les détenus le suivaient comme de jeunes chiots suivant le mâle alpha. Wyrick refusait de me parler. Elle avait désapprouvé ma décision de livrer Martin Browling aux Chiens de Nova, Et bien que je n’ai au final par réussi à trouver qui il était lorsque nous étions dans la salle des serveurs, le simple fait d’avoir cherché m’avait fait passer pour un lâche à ses yeux.

Comme nous nous enfoncions plus profondément dans les entrailles de la station, nous commençâmes à entendre des choses à travers les murs. De petits toussotements étaient audibles depuis les conduits de ventilation, puis autre chose. Un faible rire qui semblait ne jamais s’arrêter, ne jamais reprendre son souffle. Le bruit lancinant d’une imprimerie. L’odeur de la sueur et de la crasse. Gros Max, l’homme le plus large parmi nous, pas en muscles mais en masse pure, stoppa net au beau milieu le couloir. « J’irais pas là-d’dans. »

La porte devant nous était faite de métal riveté et peinte avec des rayures rouges et deux bandes blanches croisées. Je reconnus immédiatement le lieu. Il s’agissait de l’aile de psychiatrie médico-légale. Un de mes potes l’avait décrite une fois comme étant l’équivalent du bloc de haute sécurité, mais avec des détenus imprévisibles. Un homme, en quartier de haute sécurité, vous poignardera pour une brosse à dents, mais ici, il vous poignardera seulement parce que des voix dans sa tête lui auront dit que vous en possédiez une. Ce genre d’hommes n’aurait pas survécu dans une prison comme Quarterdeck. Soit parce qu’ils n’auraient pas été capables de s’occuper d’eux-mêmes, soit parce que d’autres prisonniers les auraient assassinés, par peur pour leur propre sécurité.

Seulement quelques-uns d’entre eux étaient devenus fous pendant leur séjour dans la station. La plupart étaient juste des monstres dont les autres systèmes ne savaient quoi faire. Certains étaient sains d’esprit, mais avaient commis des actes si horribles, qu’un jury de douze hommes et femmes raisonnables n’avait pu admettre qu’une personne possédant toute sa tête avait pu les commettre.

Je pouvais aisément comprendre pourquoi Gros Max voulait éviter cet endroit. Mais je savais également que je devais gagner des points avec Morgan et Wyrick. Je me faufilai donc à l’avant du groupe et me retournai. Ces hommes ne ressemblaient plus au groupe de prisonniers aux nerfs d’acier que nous avions trouvé en train de tenter de pénétrer dans l’armurerie. Ils avaient vu bon nombre de leurs amis se faire tuer dans l’embuscade de Martin Kilkenny, et avaient été menacés de mort par un cannibale. Ils étaient effrayés.

« Mais bordel c’est quoi votre problème ? » demandai-je « Qu’est-ce qu’y peut bien arriver de pire ? Est-ce que ces gars vont vous tuer pour vous manger ? Parce que c’est ce qu’ont promis de faire les gars derrière nous, et on sait bien qu’ils sont cannibales. »

« Très bien, vous savez quoi ? » Je me tournai pour faire face à Wyrick. Blonde avec des boucles d’oreille en diamant. Vêtue d’un tailleur, elle avait quitté ses talons sur le pont d’envol, et ne portait à présent aux pieds rien de plus que ses bas. « Cette femme venait ici trois fois par semaine, chaque semaine, ça faisait parti de son boulot, et elle va y retourner maintenant. Est-ce que vous allez la laisser rentrer là-dedans toute seule ? »

Il s’avéra que plusieurs d’entre eux l’auraient fait. Mais plus de la moitié décidèrent de venir avec nous, et ceux qui restaient en arrière ne représentaient pas une grande perte.

« Je n’arrive pas à décider si je dois me sentir flattée ou insultée par votre petit discours, » dit Wyrick alors que nous avancions lentement dans l’aile de psychiatrie. C’était la première fois qu’elle me parlait depuis que j’avais utilisé ses codes pour chercher des infos sur Browning.

« J’ai aussi peur que Gros Max, » admis-je. « Ce que vous faites est courageux. Gros Max est resté en arrière, » fit-t-elle remarquer. « vous non. »
Je ne savais pas comment prendre le compliment. Est-ce que ça voulait dire que j’étais à nouveau dans ses bonnes grâces ? Je m’apprêtai à reprendre notre conversation, mais elle était déjà partie en avant.

Je ne savais pas à quoi ressemblait un service de psychiatrie médico-légale, mais ce que nous trouvâmes ressemblait à peu près à un hôpital. Des postes médicaux équipés de défibrillateurs et de matériel anti-incendie étaient accrochés sur les murs et des lits étaient alignés sur l’un des côtés du couloir. Chaque lit avait des entraves, mais elles étaient propres et stérilisées. Nous arrivâmes dans une aire commune avec des tables éparpillées sur lesquelles d’anciens jeux de société en carton étaient disposés. Des canapés étaient agencés en cercle devant un grand écran réduit en miettes, et des empreintes de pas ensanglantées formaient un chemin vers l’une des portes. Il y avait un dispensaire médical derrière une vitre en plexiglas de l’autre côté de la pièce, mais les portes oscillaient sur leurs gonds et je pouvais voir plusieurs patients affaissés, du vomi et de la bave sur leur bouche et le devant de leurs chemises.

« Où est le personnel ? » demanda Morgan.

Personne ne répondit.

Nous progressâmes dans la zone, croisant quelques patients tellement abrutis par les médicaments qu’ils remarquèrent à peine notre présence. Wyrick n’était pas médecin et elle ne pouvait pas faire grand-chose de plus pour eux mis à part les garder calmes pendant notre passage.

Morgan vérifiait régulièrement la carte sur la tablette de Wyrick. On aurait dit qu’il savait exactement où son ami était retenu. Nous arrivâmes à une porte nécessitant qu’elle saisisse à nouveau ses codes, et pour la première fois depuis le début de notre aventure, elle hésita.

« C’est le quartier de haute-sécurité. Si votre ami est enfermé ici, il devrait y rester pour recevoir les soins appropriés.
– Herby est malade, mais je sais m’occuper de lui, dit Morgan sur la défensive.
– Herby ? demanda Wyrick en levant un sourcil. Pas Herschel Konicek quand même ?
– Vous le connaissez. Ce n’était pas une question. Plutôt un aveu d’échec.
En tant que thérapeute, j’espère qu’il recevra un traitement. Mais en tant que femme, J’espère qu’il pourrira dans sa cellule. »

Morgan secoua la tête. Wyrick n’avait pas demandé d’explication, mais il lui en donna une quand même.

« Herby était l’un des meilleurs mécanos que j’ai connu. Une fois, notre transport de troupes blindé fut attaqué par des Vanduuls. Ils le réduisirent littéralement en morceaux. Les dommages étaient tels qu’ils nous laissèrent pour morts. Nous trouvâmes Herby sous les décombres avec une pièce d’acier de huit centimètres dans le front. Le plus fou c’est qu’il était toujours capable de marcher et parler. Mis à part le fragment dans son crâne, il avait l’air parfaitement normal. Nous étions donc au beau milieu d’un désert de plusieurs centaines de kilomètres, sans véhicule. Qu’allions nous faire ? Marcher jusqu’à la ville la plus proche ? Et bien Herby pris la transmission de notre véhicule, monta deux roues dessus et nous pûmes quitter cet endroit sur la moto la plus invraisemblable que vous ayez jamais vue. »

« Lorsque nous sommes revenus, nous avons amené Herby à l’hôpital où ils retirèrent le fragment de métal, ce qui endommagea la partie de son cerveau responsable du contrôle des impulsions. Ce qui est arrivé à ces femmes… il savait ce qu’il faisait- il n’arrivait juste pas à s’en empêcher. Ça l’a vraiment bousillé à l’intérieur. »

« Je ne souhaiterai ce qu’il a fait à ses victimes à personne, mais il était lui aussi une victime. Notre unité n’était composée que d’hommes, donc tant qu’il était coincé avec nous, et qu’il ne prenait pas de congés, il pouvait avoir une vie. Bien sûr, à partir du moment où la justice m’a rattrapé, elle l’a rattrapé aussi, et c’est comme ça qu’il a fini ici. »
Morgan se tourna vers Wyrick. « Le fait est que nous avons besoin de lui pour réparer les chasseurs mis au rencart par Nylund. Je comprends que vous avez plus de raisons que quiconque de vouloir le laisser dans sa cellule, mais je ferai tout ce qu’il faudra pour que vous soyez en sécurité. Herby n’osera pas s’opposer à moi. »

Wyrick croisa ses bras pour se rassurer. Elle me regarda, puis les autres prisonniers. Si j’avais été dans sa position, j’aurais voulu rester loin de Konicek, mais il n’y avait aucun moyen pour nous de remettre ces chasseurs en état sans une aide hautement qualifiée, et elle le savait. Son choix était simple : accepter de libérer Konicek, ou nous condamner à être capturés par Kilkenny et son équipage. Je ne l’enviais pas. « Ok. On le libère, mais… Si ce que vous dites est vrai, et que l’état de Konicek est le résultat d’une blessure au cerveau, il ne pourra jamais être soigné. Une fois que tout ça sera fini, je veux votre parole que vous le ramènerez ici. »

« ça marche. » répondit Morgan, si rapidement que Wyrick chercha où elle s’était faite avoir. Après quelques instants elle abandonna et saisit son code sur la console.

La porte renforcée commença à s’ouvrir pour s’arrêter brusquement. Les lumières sur le panneau de contrôle clignotaient du vert au orange, indiquant que quelque chose faisait obstacle. Il fallut Morgan et deux des prisonniers pour arriver à forcer l’ouverture de la porte, et lorsqu’elle s’ouvrit enfin, un garde s’effondra sur le sol. Ses yeux avaient été enfoncés dans leur orbite et deux traînées de sang, comme solidifiées par dessus ses larmes, s’écoulaient sur ses joues. Le reste du couloir était recouvert de sang, bien plus que je n’en avais jamais vu en un même lieu. Nous trouvâmes quelques corps, mais aussi plusieurs poches de sang vides, d’habitude utilisées pour les transfusions. Une odeur de cuivre et de pourriture pesait lourdement dans les airs.

« Herby ! » appela Morgan, mais aucune réponse ne vint. Je crus entendre le début d’un rire hystérique quelque part au loin, mais il cessa rapidement. On nous envoyait un message et nous savions tous de quoi il retournait.

À suivre…

Traduit de l’anglais par Nathaniel Flint. Relecture et corrections par Sunrider44
Source : https://robertsspaceindustries.com/comm-link/spectrum-dispatch/14036-Orbital-Supermax-Episode-Five

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