Depuis une assez bonne distance, une bataille spatiale ressemble à un combat de lucioles. Les chasseurs se perdent au milieu de leur lutte acharnée, vous ne pouvez donc distinguer que des petits points lumineux fusant sur un fond étoilé, et de temps en temps une explosion violente.

“Ils larguent des modules de sauvetage”, lançai-je à Morgan lorsque je réalisai ce qu’il se passait.

“Je pense que cela explique pourquoi nous n’avons pas croisé beaucoup de gardes. Ni du personnel en service pour se charger de ça”, répondit Morgan en haussant les épaules. “Quand même, vous vous dites que les Chiens de Nova feraient mieux de les aborder plutôt que de les pulvériser. Ce sont des cannibales, pas vrai ? C’est difficile de manger de la poussière interstellaire.”

C’était de l’humour noir, mais nous en avions bien besoin. Nous avions quitté l’Aile Politique pour trouver temporairement refuge dans une soute qui abritait une poignée de vaisseaux mis en réserve. Là, nous trouvâmes quelques personnes ayant survécu à l’attaque – des apprentis ingénieurs que Herschel Koniceck avait envoyé travailler sur la réhabilitation des chasseurs, c’est-à-dire un vieux Cutlass et un Hornet encore plus vétuste.

“J’ai de mauvaises nouvelles, monsieur”, dit un jeune technicien vêtu d’une combinaison de travail bleue maculée d’huile. Il s’était adressé à moi, non pas à cause de mon grade, qui n’était d’ailleurs pas évident puisque je portais des vêtements civils, mais parce que j’étais le seul membre du groupe à ne pas porter une tenue orange de prisonnier. “J’ai entendu… euh”, laissa-t-il échapper, gêné, alors qu’il désignait l’un des prisonniers tout en cachant le doigt pointé de son autre main. Je prononçai le nom de “Flint”. “… oui, hum, j’ai entendu Flint dire que vous aviez prévu de piloter ces véhicules jusqu’au point de saut du système ?”

J’expliquai que oui, nous en avions l’intention, et que je leur avais déjà exposé les grandes lignes de notre plan moins de deux jours plus tôt. “Oui”, dit-il nerveusement, “eh bien, il s’agît de vaisseaux d’interception. De fait, ils ont été modifiés pour atteindre des vitesses élevées. Au cas où les autorités de la station aient besoin, euh… aient eu besoin d’attraper un véhicule en fuite. En revanche, ils ne peuvent pas atteindre de vitesse quantique. Vous vous ferez rattraper avant même d’avoir effectué la moitié du trajet.”

“Bonne nouvelle/mauvaise nouvelle”, lança Morgan. “La vitesse est essentielle pour franchir un blocus.” Il jeta un coup d’œil au gros véhicule rectangulaire garé à côté des chasseurs. Un arc à souder, utilisé pour réparer certaines de ses plaques d’armure, produisait des étincelles. “Et qu’en est-il du transporteur ? Pouvons-nous l’utiliser ?”

“Bien … sûr”, répondit le technicien, assez lentement pour faire comprendre que cela n’était pas sûr du tout. “Mais cela nous amène au second problème. Aucun de ces vaisseaux n’était censé voler. En tout cas, sans l’aide de M. Konicek, je ne crois pas qu’ils le pourraient. Mais même si nous parvenons à tout remettre en marche, il n’y a pas assez de carburant pour que l’un d’ eux atteigne le point de saut, et encore moins pour les trois à la fois.”

Morgan y réfléchit un moment. Puis il me tapa dans le dos, ce qui était devenu signe de malchance pour moi. “Eh bien, il s’avère que le précédent métier de notre chef intrépide était celui de quartier-maître à bord de cette station. Si quelqu’un sait où nous dégoter du carburant, c’est lui.”

“Évidemment. Je sais où trouver du carburant.”, répliquai-je. “Sur le pont d’envol, là où il est censé se trouver. Nous n’aurons qu’à affronter quelques centaines de pirates pour y parvenir.”

Bien sûr, toutes les répliques au monde ne changeaient rien au fait que nous avions bel et bien besoin de carburant, aussi après quelques heures à faire les cents pas sur le pont en arrivai-je à un plan. Je rassemblai rapidement notre “équipe de choc”, comme j’appelai désormais les six anciens détenus qui nous avaient accompagné depuis l’armurerie, principalement parce qu’ils n’étaient pas capables de réparer des chasseurs et qu’ils avaient besoin d’une autre tâche à accomplir.

“Nous avons besoin de carburant, et Kilkenny et ses hommes ont soit volé soit détruit tout ce qu’ils ont pu trouver. Mais je connais une source alternative de carburant qui est encore disponible.” Je me préparai à affronter des objections avant de poursuivre. “Les propulseurs de positionnement de la station. Ils possèdent des réservoirs de carburant gigantesques, et on les garde remplis en permanence. Tout ce que nous avons à faire, c’est libérer l’un des modules de carburant et le ramener ici.”

Bien que Relic n’ait cessé de dévorer les réserves de la station au cours des deux derniers jours, il demeurait l’homme le plus mince sur lequel j’eus jamais posé les yeux. Il se tenait debout, avec des tubes de pâte nutritive dans une main et s’en enfournait dans la bouche de l’autre main. Il parla avant d’avaler. “Et si on avait pas envie de quitter la station ?”

Sa réponse me coupa le sifflet. “Quoi ?”

“Nous pourrions rester ici. Nous avons de la nourriture et de l’eau en abondance, et la porte peut-être fermée par soudure. Dès lors que ce Kilkenny aura trouvé l’homme qu’il cherche, les Chiens de Nova seront partis.”

Morgan parla avant même que je ne puisse répondre. “Est-ce que j’ai bien entendu ? Des prisonniers qui ne veulent pas s’échapper de prison ? Je sais que ce n’est pas ton truc de penser sur le long-terme Relic, mais qu’est-ce que tu comptes faire après le départ de Kilkenny ? Attendre que les autorités te ramènent dans ta cellule ? Kilkenny va déchiqueter cette station pour dénicher ce Martin Browning, et si cela implique d’enfoncer quelques portes, souder celles-ci ne l’arrêtera pas.”

Relic ne se démontait pas. “Quelqu’un doit surveiller ces chasseurs, alors.” dit-il en joignant les mains derrière sa tête. “On prendra soin d’eux jusqu’à ce que vous reveniez.”

Un autre détenu, un chauve tatoué avec une grosse bedaine et une barbe du soir, se leva lentement et d’une façon imposante . Flint était le type dont les techniciens avaient le plus peur, et à juste titre. Il parlait rarement, mais quand cela arrivait, tout ce qu’il disait était emprunt de violence. ” Je fais pas confiance à ces deux connards pour se débrouiller tout seuls, et je fais pas confiance à des connards dans votre genre pour surveiller ces vaisseaux. On va tous avec eux, et je tue le premier homme qui vient me dire le contraire. ”

Je fus rarement autant reconnaissant d’un type condamné pour meurtre. Sous la menace pesante de son regard, les cinq anciens détenus restant furent conduits en dehors de la soute et jusque dans l’ascenseur, laissant Herschel Konicek et ses techniciens travailler en paix. “Vous croyez qu’ils seront toujours là à notre retour ?”, demandai-je à Morgan.

“J’en suis sûr”, répondit-il. “Herby ne nous laissera pas tomber.”

Nous nous trouvions à égale distance de deux propulseurs de positionnement. Pour atteindre le premier, il nous fallait passer par le Centre des visiteurs, et j’étais sûr qu’il s’agissait de la base des opérations de Kilkenny. Je n’appréciais pas l’idée de faire passer Relic et ses potes juste sous le nez du capitaine des Chiens de Nova et de ses hommes. De plus, Kilkenny m’effrayait, donc je rayai cette option de ma liste.

Pour arriver au second propulseur, il nous fallait passer par les débris du Pont de commandement. C’était le premier lieu que les pirates avaient attaqué, et je ne savais pas quels dommages il avait subit ni s’il y restait une atmosphère, donc je m’assurai de nous équiper pour une sortie dans l’espace avant d’entrer le code qui nous mènerait sur ce pont. Lorsque la cabine s’arrêta, une lumière indiqua un obstacle dans la cage d’ascenseur. Nous forçâmes les portes pour les ouvrir puis entendîmes l’air s’échapper dans un sifflement, aspiré par le vide. Nous nous trouvions entre deux étages. Je parvenais tout juste à distinguer le bas des lettres qui formaient le mot “COMMANDEMENT” sur le côté de la cage d’ascenseur. Nous étions arrivés.

Nous jetâmes nos armes à travers l’ouverture étroite et montèrent un par un sur le pont de commandement. J’étais venu maintes fois ici autrefois, mais j’entendis certains des anciens prisonniers retenir leur souffle. L’OSP-4 n’avait rien d’un vaisseau militaire avec ses petits espaces clos. Le pont de commandement ressemblait plus à l’étage d’un immeuble de bureaux. Des rangées d’écrans occupaient chaque mur, la plupart éventrés par la décompression soudaine. Des éclats de plexi transparent flottaient dans la pièce dépourvue de gravité, comme les gouttes d’eau d’une pluie figée dans le temps. La lumière du soleil à proximité passait à travers une brèche formée dans un mur et projetait des arcs-en-ciel dans la pièce. Je marchai sur le pont, ressentant la légère attraction de mes bottes magnétiques à chaque pas..

J’entendis la voix de Morgan sur la radio. “C’est tout ? C’est une poignée d’employés de bureau qui dirigeait toute la station ?”

Relic semblait tout autant offensé. “C’est une machine à café…” dit-il en tapant dans le-dit appareil pour l’envoyer valser, alors qu’il crachait des cristaux de café et de crème gelés.

“J’ai pigé. Ne faites pas attention au type qui tire les ficelles et tout ça. On peut y aller maintenant ?”

Je me dirigeai en direction du trou dans le mur puis m’arrêtai. Un lambeau du tissu bleu d’un uniforme était accroché au métal tordu. Dessous flottaient les morceaux gelés d’une personne. Je détournai le regard avant de pouvoir apercevoir à qui ils avaient pu appartenir. Je regardai donc à l’extérieur pour ne pas poser les yeux sur la coque éventrée. La silhouette convexe du propulseur se distinguait à peine.

Je me retournai pour voir Flint écraser un clavier du revers de la main.

“Eh !” lançai-je un peu trop sévèrement. Je me souvins à qui je m’adressai, aussi modifiai-je rapidement mon intonation. “Ça ressemble peut-être aux bureaux d’un immeuble basique, mais c’est le Centre de coordination d’une prison à Sécurité Maximale. Il y a des protocoles de sécurité en place. Des protocoles dangereux. Rappelez-vous… l’UEE ne négocie pas avec les terroristes.”

Je distinguai à peine le visage de Flint à travers la visière sphérique de son casque, ce qui ne suffît pas à déceler une expression faciale, mais il retira sa main.

Soudain, mon comm s’alluma et une lumière rouge commença à clignoter dans mon casque. “Qu’est-ce que t’as fait ?” demandai-je aussitôt à Flint.

Il haussa les épaules.

Une voix grave se fit entendre entre les grésillements, une voix à l’intonation maladroite, comme si la bouche qui prononçait les mots ne fonctionnait pas correctement.

Habitants d’OSP-4, vous me décevez tellement.

“C’est Kilkenny”, dit la voix de Relic.

“Je sais. La ferme.”

J’avais espéré que parmi vous, un homme se distinguerait de ses pairs, mais cela n’a pas été le cas. La sélection naturelle est, semble t-il, un processus lent et pénible, je sonne donc le glas et vous annonce la fin des temps. Si Martin Browning ne peut accueillir sa mort comme un homme, alors je la lui délivrerai tel un dieu.

La lumière de ma combinaison s’atténua puis disparu.

Soudain, une partie du sol se souleva, projetant Relic dans les airs. Ses bottes magnétiques tinrent une fraction de seconde puis cédèrent, l’envoyant faire des pirouettes incontrôlables. Parce que nous l’observions tous, aucun de nous ne remarqua les canons sortis du sol, sous les plaques qui l’avaient projeté dans les airs. Peut-être que Kilkenny avait activé les défenses de la prison, ou bien était-ce Flint en écrasant le clavier qui avait mis en branle le mécanisme qui signerait sa fin. Ça n’avait pas d’importance. Je baissai les yeux pour trouver le bouton qui activait le comm lorsque je remarquai qu’un canon suivait les déplacements de Flint.

Le tir fut incroyablement rapide et je ne pus apercevoir la blessure de là où je me tenais. Le bas du corps de Flint était fermement ancré au sol grâce à ses bottes magnétiques, mais le haut commença à partir à la dérive.

“Il faut partir !” criai-je. Je saisis la machine à café qui flottait dans les airs et la jetai en direction de la tourelle, espérant que celle-ci suivrait ses déplacements.

Morgan pivota et vit à quoi il avait affaire. “Allez, allez, allez !” Il tira quelques coups de feu dessus, mais les armes que nous avaient laissées le Tevarin étaient de piètre qualité et échouèrent à pénétrer l’armure de la tourelle. Avec une vitesse déconcertante, la tourelle pivota et tira sur la machine à café à trois reprises, ne laissant rien d’autre que des bouts de ferrailles en fusion.

J’atteignis l’ascenseur, jetai mon arme à travers l’ouverture étroite et me glissai à l’intérieur, me réfugiant derrière le petit espace qui séparait les deux étages. Mes bottes s’accolèrent magnétiquement au sol de l’ascenseur, me forçant à me baisser rapidement alors que Morgan se glissait à travers l’ouverture après moi. Ensemble, nous tirâmes vers l’intérieur deux autres hommes. Lorsque plus personne ne vint, je me risquai à jeter un œil à la surface de l’étage. Trois corps dans des combinaisons spatiales perforées tournoyaient à travers le Pont de commandement. La tourelle pivota dans ma direction et je me surpris à regarder son barillet l’espace d’une fraction de seconde, avant de me baisser aussitôt et d’appuyer sur le bouton pour descendre.

À suivre…

Traduit de l’Anglais par Hotaru, relecture par Skipoon – Source : https://robertsspaceindustries.com/comm-link/spectrum-dispatch/14095-Orbital-Supermax-Episode-Eight
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Traduction soumise à la licence CC By SA 3.0. Vous êtes libre de copier et réadapter ce texte en mentionnant les auteurs originaux, les traducteurs et la source. Merci !

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