La première course : épisode neuf

Par Thomas K. Carpenter

Un millier d’années de littérature et d’holovids ont rendu gloire aux merveilles des batailles spatiales. J’en ai dévoré quantité dans ma jeunesse, je me revois à huit ans lorsque je me recroquevillais sous la couette alors que j’étais censée dormir, pour regarder des rayons scintiller dans le noir de l’espace sur mon mobiGlas.

Les deux camps s’engageaient dans des manœuvres complexes, tournoyant et virevoltant ensemble dans une danse illuminée par les explosions et les réacteurs. Les héros et les méchants se narguaient mutuellement à travers le vide sidéral glacé comme s’ils discutaient autour d’une table de bar, en buvant des bières.

Ma bataille spatiale n’avait rien de tel.

Imaginez-moi dans un sèche-linge démesuré, rempli de lumières éblouissantes à vous en donner la migraine, réglé à la vitesse maximale, le tout dévalant le flanc d’une montagne, et vous aurez un dixième de l’impression que cela donnait.

La douce gravité artificielle avait laissé la place aux violents g dus aux manœuvres rapides. L’espace d’une seconde, nous foncions en plein sur le flanc de l’Idris, et la seconde suivante un flash blanc phosphorescent nous aveugla et les fragments d’un vaisseau explosé ricochait contre nos boucliers, nous déviant dans une toute autre direction.

Dario nous fit valser à travers la bataille spatiale, toujours à la recherche d’une issue, mais à chaque fois, le combat se refermait sur nous et empêchait toute évasion.

À deux reprises, je crus que notre centrale énergétique avait été coupée, mais c’était soit mon cœur qui avait cessé de battre soit mon ouïe qui était violentée par les percussions du combat.

Au diable celui qui a décrété que les batailles spatiales étaient de silencieux ballets mortels. Les klaxons retentissaient, les alarmes sonnaient, les alarmes de proximité étaient comme enrouées par leur surutilisation.

Pour finir, Dario nous embarqua dans un vilain duel entre l’Avenger d’un Fils du Silence et deux Hornet de l’UEE, et nous atteignîmes un coin tranquille de l’espace, laissant tous les deux échapper un soupir de soulagement.

« Tout va bien, Sorri ? » me demanda-t-il, tout en vérifiant les instruments de bord et les rapports de dégâts.

« Je crois bien, oui » dis-je, la voix enrouée à ma grande surprise, mais je pense avoir passé mon temps à crier.

Malgré l’air frais, le front de Dario était trempé de sueur. Il essuya son visage avec son épaule et pianota sur un écran devant moi qui fit apparaître les flancs bâbords et tribords du Fardancer.

« On n’est pas encore tirés d’affaire. Il faut que l’on retourne au point de saut et que l’on s’enfuit en direction d’Oya. Sinon, ces vaisseaux de l’UEE nous traquerons après la bataille. Dis-moi si tu vois quelqu’un nous tirer dessus, ajuste les boucliers pour compenser. Tu dois juste appuyer sur cet écran pour acheminer l’énergie d’un côté ou de l’autre. »

En-dessous de nous, je pouvais voir une boule d’explosions et de débris grandissante.

« Vous allez nous faire traverser ça ? », demandai-je.

Son sourire d’habitude large et étincelant avait été terni par les évènements. « Mieux vaut ça qu’une vie derrière les barreaux de l’UEE. »

Je joignis mes mains et les plaça devant ma bouche. « OK, je peux le faire ». Puis, à Dario, je lançai « Très bien, allons-y. »

Je me penchai en avant et positionnai mes mains au-dessus de l’écran des boucliers, tout en surveillant attentivement le combat. Dario nous replongea au sein de l’ouragan de vaisseaux, ce qui me donna le vertige l’espace d’un instant, alors que la section arrière d’un Freelancer détruit passa près de nous, touchant presque le Fardancer.

Notre retour au combat se fit immédiatement ressentir, puisque deux vaisseaux de l’UEE engagèrent le combat avec nous. J’allouai plus de puissance aux boucliers bâbord alors que de faibles tirs venaient heurter les boucliers.

Dario nous fit tournoyer comme un tire-bouchon, ce qui fit gigoter mon cou pendant que j’essayais de garder les yeux rivés sur la vitre du cockpit et les doigts sur les boucliers, les faisant danser entre bâbord et tribord alors que nous virevoltions. Lorsque nous sortîmes, il me fallut dévier presque toute l’énergie à bâbord suite aux assauts d’un vaisseau de Démon stellaire.

Ravalant le contenu de mon estomac, mes espoirs de fuite s’étaient évaporés en voyant la frégate Idris nous fondre dessus. Même moi, je savais que nos boucliers n’étaient pas faits pour renvoyer le genre de dégâts qu’elle pouvait nous infliger.

À la seconde même où les alarmes du Fardancer hurlèrent, nous avertissant d’une mort imminente, nous nous éclipsâmes dans l’espace intersidéral.

Soulagés d’avoir échappé de justesse à nos assaillants, je me replongeai au fond du siège, pendant que Dario donnait des instructions au Fardancer. Une fois qu’il eut terminé, nous demeurâmes tous deux silencieux en contemplant le vide devant la large vitre du cockpit, jusqu’à ce que nous quittâmes l’espace intersidéral.

De retour dans le système Oya, Dario paramétra notre trajectoire de vol afin d’entrer dans l’orbite d’Oya III et se tourna vers moi.

Son visage était marqué du poids d’un fardeau non désiré, ses mains étaient fermement serrées l’une contre l’autre. Ses yeux gris-vert luisaient et il pouvait à peine me regarder.

Je m’enfonçai dans mon siège en redoutant ses prochaines paroles.

« Je suis désolé, Sorri. »

Je me penchai davantage en arrière. « Vous êtes… désolé ? »

Il poussa un soupir. « J’aurais pu venir te secourir avant que tu n’empruntes le point de saut, et te ramener sur Oya III, mais je ne voulais pas rater ma chance avec les Fils du Silence. »

« Votre marché est fichu, hein ? »

Il se couvrit en partie le visage et haussa l’autre épaule. « Il y a d’autres bandes et d’autres marchés. Pas aussi lucratifs, mais cela suffira pour joindre les deux bouts. »

« Pourquoi me dites-vous cela ? » demandai-je.

« Tu es une fille intelligente, ou une jeune femme, devrais-je dire. À toi de me le dire. »

Mes lèvres se pincèrent et la voix de mon père me souffla aussitôt la réponse : Tout le monde veut quelque chose, même s’ils ont l’air de ne rien vouloir.

« Vous voulez que je ne parle pas de toute cette histoire », répondis-je.

« Je savais que tu étais intelligente ; continue comme ça. »

Je soupirai. « Ça ne sera pas facile. L’UEE sera peut-être à ma recherche. Et ils voudront peut-être que je parle de ce qu’il s’est passé. »

« Et les agents de l’UEE peuvent se montrer très persuasifs quand ils le veulent », ajouta-t-il en se balançant en arrière. « Mais j’ai une autre option à te proposer. Connais-tu l’adage « deux têtes valent mieux qu’une » ? Pour tout te dire, l’espace devient vite ennuyeux quand on le sillonne seul, et  je pourrais avoir besoin d’une partenaire à l’esprit vif. »

« Partenaire ? »

Il arbora un large sourire. « Eh bien, une apprentie partenaire, mais justement rémunérée. Tu gagnerais bien plus que ce que tu pourrais avoir en tant que messagère, et visiter l’empire par la même occasion.

Les mots se coincèrent dans ma gorge. Passer de messagère à criminelle en juste une semaine ? Cela aurait pu être risible, si ce n’avait pas été vrai. Ou une option, tout du moins.

Dario plaça sa main sur mon épaule. « Je ne vais pas te mentir, ce n’est pas une vie facile. Mais je ne me vois pas faire autre chose. J’ai le sentiment que tu ressens ça toi aussi, bien que cela puisse être déroutant après ce petit accrochage de dernière minute. »

« Déroutant ? » m’écriai-je. « J’ai été utilisée, volée, kidnappée et torturée, sans parler du fait que j’ai failli mourir de faim et être désintégrée. Cette bataille, si tant est qu’une douzaine de chats enragés jetés dans un tonneau peut être considéré comme une bataille structurée, m’a probablement laissé des séquelles aux vertèbres et des ulcères dus à la peur. »

Son sourire s’effaça alors qu’il retirait sa main de mon épaule. Je frottais mon œil fermé avec le poing, pour ne pas qu’il voit la larme qui s’était formée. Comme un petit oiseau, mon cœur battait la chamade dans ma poitrine et si l’on s’était trouvés sur une planète, j’aurais eu besoin de sortir pour retrouver mon souffle.

« Mais en tout bien tout honneur, d’une certaine façon, je me suis amusée », ajoutai-je à la stupeur de Dario.

« Donc tu y réfléchirais ? »

Je frottai mes lèvres. « Je ne saurais dire si je suis honorée ou horrifiée par votre proposition de me joindre à vous, et une partie de moi veut rejoindre l’équipage du Fardancer. »

Ses yeux se plissèrent et il hocha légèrement la tête comme s’il savait déjà ce que je m’apprêtais à dire.

« Mais », commençai-je, « j’ai signé pour être messagère et je veux faire ça, du moins pour l’instant. Peut-être qu’après quelques années, si l’envie me démange toujours, il se pourrait que je me joigne à vous, si cela vous intéresse toujours. »

« Deux années, c’est assez long pour moi. Je ne peux rien promettre. »

Je haussai les épaules. « C’est ce qu’il me semblait. Alors je pense que je vais dire non. Mais ne vous souciez pas de savoir si je vais parler. Je ne le ferai pas. »

Dario pianota sur les commandes. « Je ferai de mon mieux pour te conduire à la planète sans être vue. »

Après cela, nous ne nous adressâmes pratiquement pas la parole. Ce fut comme si nous savions tous les deux que c’était le mieux à faire. Je ne voulais pas trop m’attacher au cas où je me ferais attraper par l’UEE. Concernant Dario ? J’ignore à quoi il pensait, il s’évertua à me ramener à New Alexandria.

Je m’attendais à des adieux larmoyants, mais Dario repartit dès lors que j’avais posé pied à terre, me laissant à peine le temps de débarrasser le plancher. Au moins m’avait-il donné quelques crédits pour retourner en ville.

Une demi-heure après qu’il m’ait déposée, un aéroglisseur de l’UEE arriva. Je pensai qu’il pourrait s’agir d’un gentil officier s’arrêtant pour aider une touriste égarée, jusqu’à ce que la porte ne s’ouvre que je ne vis le Capitaine Hennessy me fixer, les yeux marqués par des cernes noires. Elle sortir du véhicule et saisit mon poignet avant même que je n’eus le temps de dire « bonjour ».

« En tant qu’agent de l’UEE, je vous place en état d’arrestation pour crimes contre l’Empire. »

À suivre…

Traduction depuis l’Anglais par Hotaru, relecture par Finstern – Source : https://robertsspaceindustries.com/comm-link/spectrum-dispatch/13946-The-First-Run-Episode-Nine
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Traduction soumise à la licence CC By SA 3.0. Vous êtes libre de copier et réadapter ce texte en mentionnant les auteurs originaux, les traducteurs et la source. Merci !

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