Le sas du vaisseau de Nagia émit un vrombissement en se pressurisant. Tonya avait une vue imprenable sur ce qui restait de l’autre sas, celui qu’il avait essayé d’utiliser pour aborder le Fanal II.

Le Fanal II… Elle observa à travers le petit hublot les deux moitiés de son vaisseau qui flottaient dans le vide. Il fallait qu’elle commence à songer à un Fanal III.

Un panneau à côté de la porte intérieure du sas émit un signal et s’ouvrit en coulissant pour révéler Nagia, un homme de main et une paire de pistolets laser braqués sur elle.

« N’est-ce pas merveilleux, » dit Tonya en mettant les mains en l’air. « Je suis un peu déçue, Nagia ; j’aurais cru que même toi, tu ne t’abaisserais pas à tendre une embuscade à la sortie d’un point de saut. » L’homme de main lui passa les menottes d’un coup sec sans lui retirer sa combinaison. Elle le toisa par-dessus son épaule. «Tu pourrais basculer mon arrivée d’air sur le filtre ? Histoire de faire des économies. »

L’homme de main resta quelques instants à la fusiller du regard.

« Je ne te trouve pas drôle, » dit-il enfin. Il la traîna vers une chaise et attacha ses menottes à un crochet dans le mur.

« Tes acolytes ne semblent pas tellement m’apprécier, » répliqua Tonya à l’intention de Nagia.

« Lem fait simplement preuve d’enthousiasme. » Nagia se glissa dans le siège de pilote et reprit les commandes. « Turov voulait te dire un mot avant qu’on ne te dessoude. »

Lem, l’homme de main, la surveillait avec son arme chargée à la main.

Tonya se détendit sur la chaise, et essaya de se mettre à l’aise. Le vol allait être long.

****

Les autres bandits à la solde de Nagia adoptèrent une formation relâchée pour suivre son vaisseau en direction de Kallis IX.

Le système débordait d’activité. Des équipes de recherche et des vaisseaux de scan orbitaux tournaient autour des huit autres planètes. Senzen Turov avait dû être particulièrement impressionné par les peintures primitives sur Oso pour mobiliser autant de ressources dans le système. Tonya n’avait aucune idée de l’endroit où Senzen avait pu dénicher un laser de minage orbital, mais il était bel et bien là, en train de creuser des trous avec une grande précision à travers les nuages de la petite planète. Elle aurait donné cher pour voir comment Senzen s’y prendrait pour expliquer tout ceci aux autorités, à condition que ces dernières ne soient pas sous sa coupe. Comme pour Oso, il s’agissait là d’un système en développement et qui se trouvait donc techniquement protégé de toute activité de recherche ou de minage. Il comptait probablement sur le fait que la découverte de l’Artemis inciterait tout politicien à fermer gentiment les yeux.

Nagia plongea dans l’atmosphère pour se retrouver en plein blizzard. Le vaisseau fut secoué tandis qu’il transperçait des nuages tumultueux. Quand ils parvinrent enfin de l’autre côté et eurent un premier aperçu de la surface de la planète, il n’y avait que de la toundra gelée à perte de vue. A l’horizon, des cryovolcans projetaient d’immenses colonnes de magma glacé dans l’air.

Le vaisseau amorça sa descente et traversa des vents changeants qui ballottèrent le vaisseau pourtant robuste de Nagia comme s’il s’agissait d’un jouet. Elle remarqua que de petites équipes de mineurs était disposées autour de chacun des trous que le laser avait percés dans la glace. Ils fixaient des balises de scan sur des nacelles antigrav puis les lâchaient dans les puits.

« Vous croyez que Senzen accepterait plutôt de monter à bord pour se vanter ? Je déteste le froid. »

Nagia se mit à rire. Lem resta égal à lui-même et se contenta de la dévisager.

Ils touchèrent enfin le sol. Nagia et Lem enfilèrent leurs combinaisons et chargèrent Tonya dans le sas. La porte extérieure s’ouvrit dans un sifflement et laissa un tourbillon de neige et de glace s’engouffrer dans l’antichambre. L’ATH de sa combinaison lui apprit que l’atmosphère se composait principalement d’ammoniac et d’un peu d’oxygène, avant de lui recommander aimablement de ne pas essayer de retirer sa combinaison.

Après une brève poussée du canon de l’arme, ils sortirent tous. Lem partit de son côté pour forer la glace afin d’y planter des crochets de soutien qui empêcheraient le vaisseau de glisser. Tout espoir de maîtriser Nagia tant qu’il était seul s’évanouit à l’instant où le reste de son équipage émergea du blizzard et les encercla. Au moins, ils lui retirèrent ses menottes.

Nagia ne cessait de vérifier leur position sur son scanner tandis qu’ils avançaient péniblement dans la neige. Tonya apercevait au loin la lumière des lasers qui se propageait à travers les nuages. Elle ne pouvait plus voir grand chose d’autre, à vrai dire ; la neige tombait avec une intensité redoublée au milieu du hurlement des rafales de vent. Elle dut baisser le volume de ses micros externes.

Puis la tempête cessa d’un seul coup. Tonya, Nagia et le reste des bandits s’arrêtèrent et échangèrent des regards perplexes. Nagia haussa les épaules et reprit sa marche.

La neige ayant cessé de tomber, le Glas de Nagia les menait tout droit vers une petite équipe de mineurs qui se préparait à scanner le puits récemment creusé.

“Turov!” hurla Nagia. Senzen se retourna à leur approche. Il tapa quelques instructions sur son Mobiglas avant de relever la tête. Les scanners entamèrent leur descente sur leur plateforme antigrav.

“Eh, Tonya,” lui dit Senzen en guise d’accueil, presque déçu. “Je suis un peu surpris que tu aies réussi à fausser compagnie à l’UEE aussi vite.”

“Merci de les avoir prévenus, soit dit en passant.”

“Eh, je m’inquiétais de ce que ces Osoïens risquaient de te faire. J’ai cru bien faire.”

“Je n’en doute pas.”

Senzen poussa un soupir et la considéra quelques instants.

“J’ignore ce que nous allons faire de toi,” dit-il en secouant la tête. “Je préférerais vraiment éviter de te tuer, mais tu me compliques terriblement la tâche.” Il s’interrompit et s’accorda quelques secondes supplémentaires de réflexion. “J’imagine que nous pourrions te mettre dans une cuve de stase pour quelques mois.”

“Tu avais dit -” Nagia se mit à protester.

“Je t’ai dit que le fait de la tuer était négociable,” le coupa Senzen. “Du calme, tu seras payé quoi qu’il arrive.”

Nagia se tut et se mit à ruminer. Senzen se tourna de nouveau vers Tonya et reprit le cours de ses pensées. Enfin, il haussa les épaules et leva les mains au ciel.

“Désolé Tonya, je ne trouve rien.” Il se tourna vers Nagia. “Elle est à toi.”

Voilà qui n’augurait rien de bon. Nagia eut un grand sourire. Un des bandits lui saisit le bras.

“Attends, si tu me tues, tu renonces à ta meilleure chance de trouver le prochain morceau de l’Artemis.” Tonya se dégagea de l’étreinte du bandit. Il se jeta en avant pour s’emparer d’elle mais Senzen le retint d’un geste de la main. Tonya poursuivit. “Tu dois te demander comment j’ai découvert la piste menant à Oso.”

Tonya sentait bien que c’était effectivement le cas. Elle n’était pas certaine que Janus avait survécu à l’attaque de Nagia, mais c’était la seule carte qui lui restait à jouer. Vu l’efficacité dont il avait fait preuve lors de son évasion de la plateforme militaire de l’UEE, peut-être Janus aurait-il une idée brillante pour la tirer de ce mauvais pas.

“Parle,” dit enfin Senzen. Elle savait qu’elle avait piqué sa curiosité, le moment était donc venu d’asséner le coup de grâce.

“Janus est en ma possession.”

“Comment?” Demanda-t-il au bout de quelques instants. Sa voix ne parvenait pas à masquer la curiosité qui le dévorait.

“J’ai obtenu une copie du programme original, que j’ai soumise à une simulation du vol de l’Artemis. Ce n’était pas une copie parfaite mais elle m’a menée à Oso. Nous avons déjà discuté ensemble de ce que l’équipage comptait faire sur Kallis…” Cette partie-là était une invention de Tonya, mais elle savait que –

“Non.”

Tonya balbutia un instant.

“Hein?”

« Non, Tonya,” répéta Senzen. “Même si c’est vrai, tu t’en sers pour mijoter autre chose. Par le passé, j’aurais peut-être envisagé de t’écouter, en partant du principe que je serai capable d’anticiper ton inévitable coup fourré. Mais pour cette fois, je ne mords pas à l’hameçon.”

Tonya resta muette. Ça n’allait vraiment pas bien. Elle réfléchit à toute allure, à la recherche d’une échappatoire.

“Tu vas le regretter, Senzen,” fut tout ce qu’elle put trouver, et les mots qu’elle prononça semblèrent tout droit tirés d’une mauvaise Vid.

« Peut-être, oui, mais je vais me fier à mes scans. » Senzen tapa quelque chose sur le MobiGlas, fit un signe de la tête à Nagia et se détourna. Le pirate fit un pas dans sa direction tout en tirant son arme. Tonya agrippa Senzen et le fit pivoter pour se servir de lui comme d’un bouclier.

Nagia et les autres bandits s’esclaffèrent.

«Allons, Tonya, » dit Senzen. « Qu’est-ce que tu espères ? »

« Ferme-la. »

« Tu devrais l’écouter, Tonya. » Nagia chargea son arme. Les autres bandits s’écartèrent pour lui couper toute retraite. « T’as pas d’arme, et nulle part où aller. »

Ils avaient tort, il y avait bel et bien une issue.

Tonya s’empara du MobiGlas de Senzen, repoussa ce dernier vers Nagia et se précipita dans le puits.

Après une chute libre de plusieurs secondes, elle heurta de plein fouet la nacelle antigrav de l’un des scanners. Ses mains cherchèrent désespérément une prise à laquelle s’agripper tandis que son corps glissait vers le rebord.

Ses doigts se refermèrent autour d’une poignée une nanoseconde avant qu’elle ne bascule. Tonya leva le regard. Elle voyait des silhouettes rassemblées le long du bord en train de regarder vers le bas. Malgré le vent, elle entendait les cris de Senzen.

La plateforme continuait sa descente, les auto-compensateurs ayant pris la masse supplémentaire en compte. Elle se releva et regarda tout autour d’elle. Les flashs des scanners se répercutaient à travers les couches successives de glace. Elle remarqua un réseau de crevasses qui s’entrecroisaient à perte de vue.

Un tir de laser fusa près d’elle. Tonya vit des silhouettes commencer à descendre la paroi en rappel, tout en jurant.

Un nouveau tir toucha directement la plateforme. Elle bascula sur le côté et peina à se stabiliser. Tonya remarqua une des crevasses dans la paroi quelques mètres plus bas, suffisamment large pour pouvoir s’y faufiler. Elle consulta le MobiGlas de Senzen. Les commandes de la plateforme AG étaient toujours actives.

Elle ralentit la plateforme et bondit dans la crevasse quelques instants avant qu’une autre rafale de laser ne transperce la plateforme. L’appareil rendit enfin l’âme et tomba dans un grand fracas, avant de disparaître dans les ténèbres.

Tonya se fraya un chemin à travers l’étroite fissure dans la glace. Un peu plus loin devant, elle apercevait une intersection avec un réseau de grottes plus important. L’écho d’un cri de dépit lui parvint depuis la fissure derrière elle. Quelqu’un se balança devant l’ouverture en jurant.

Elle se laissa tomber dans le tunnel et examina les environs. A quelques milliers de mètres de là, le rayon du laser orbital traversait la croûte de glace et illuminait toute la zone.

Tonya jeta un coup d’œil au Glas de Senzen. Derrière l’écran qui contrôlait la désormais défunte plateforme AG, un programme était occupé à créer une image composite à partir des multiples scans effectués autour de la planète. Les anomalies dans la glace étaient isolées et cataloguées mais il affichait aussi une carte approximative du réseau de tunnels qui s’était formé sous la glace.

Elle savait que la carte s’avérerait très précieuse, mais Nagia avait localisé Senzen grâce à son Glas, donc elle devait partir du principe qu’ils pouvaient toujours le faire. Il lui fallait donc choisir entre utiliser la carte, et ce faisant permettre à Nagia de la traquer, ou bien partir à l’aveuglette en prenant le risque de tomber dans une crevasse.

Sa décision fut prise en un instant lorsqu’elle entendit du bruit en provenance du trou dans le plafond. Elle laissa l’appareil allumé et prit ses jambes à son cou.

Elle entendit quelqu’un se glisser à travers le trou et se laisser tomber dans le tunnel.

« Tonya ! » hurla Senzen, qui ne lui avait jamais semblé aussi furieux. Il décocha un tir mal ajusté qui perça un trou dans la paroi.

Les tirs du laser orbital s’éloignant, le sous-terrain fut plongé dans les ténèbres. Tonya alluma sa lampe frontale et poursuivit sa course. Elle vérifia sur le Glas qu’elle ne fonçait pas tout droit sur un gouffre.

Elle traversa les passages tortueux en courant et en glissant. Les bruits de pas de Senzen résonnaient derrière elle.

Tonya jeta un coup d’œil en arrière ; d’après le ballottement de ses lumières frontales, elle estima qu’il était à trente mètres d’elle et aperçut à travers les murs la lueur des éclairages de la bande de Nagia. Ils éprouvaient plus de difficultés pour s’adapter au sol glissant.

Le Glas de Senzen commença à émettre un bourdonnement discret. Elle le consulta sans cesser de courir. Une des anomalies détectées par les scans n’était plus très loin. C’est à ce moment-là qu’elle heurta une paroi.

L’impact l’envoya voltiger. Elle heurta violemment le sol et glissa sur plusieurs mètres. Sa vision fut troublée quelques instants. Le Glas glissa encore un peu plus loin. Le temps qu’elle reprenne ses esprits, Senzen se penchait déjà sur elle.

« Bordel, Tonya… » dit-il en haletant, le souffle court. Il leva son pistolet.

Le laser orbital perça un autre trou dans la surface en brûlant tout sur son passage et inonda de lumière le tunnel qui semblait recouvert de miroirs. C’est alors que Tonya le vit, emprisonné dans la glace derrière Senzen.

Senzen lut la stupeur sur son visage. Il hésita tout d’abord, puis fit un pas en arrière et se tourna pour voir ce qu’elle regardait.

C’était un corps. Pris dans la glace en plein mouvement. Baignant ainsi dans les reflets de lumière du laser, il semblait irréel. Quoi que ce soit, on aurait dit qu’il avait été gelé instantanément, peut-être pris dans l’éruption d’un cryovolcan. Mais quelles qu’aient pu être les circonstances, d’après sa posture et ses yeux fermés, il donnait l’impression d’attendre, comme s’il s’y était préparé.

Tonya se releva, la menace de Senzen déjà oubliée, et s’en approcha. C’était un humain, ou un humanoïde. D’un point de vue anatomique, il y avait une tête, deux bras, deux jambes. La peau était d’un gris clair, pâle comme du marbre. Un réseau de lignes sombres, presque noires, s’étalait sous sa peau. On aurait presque dit un circuit électronique qui suivait le système nerveux. Peut-être s’agissait-il de tatouages ? Tonya n’en savait rien.

Elle ne savait pas à quoi elle avait affaire.

Senzen s’avança à ses côtés, bouche-bée lui aussi.

« Regarde les vêtements, » murmura-t-il en faisant signe de la tête.

Tonya se rapprocha encore un peu. Parmi les restes effilochés de la chemise, on pouvait encore déchiffrer un mot.

Kenlo.

Le cœur de Tonya fit un bond. Elle aurait pu pleurer d’émerveillement. Presque sept cents ans plus tard, voilà qu’elle contemplait un membre d’équipage de l’Artemis.

Soudain, une secousse sismique traversa le tunnel et le fit trembler violemment. Tonya et Senzen luttèrent pour garder leur équilibre sur la surface glissante. La secousse cessa aussi brutalement qu’elle avait commencé. Ils échangèrent un regard. Un autre tremblement survint alors, encore plus violent que le précédent.

« Ça sent mauvais, » dit Senzen doucement.

« Tu penses que percer des trous dans une planète avec un laser orbital n’était pas une si bonne idée que ça, après tout ?

« Il faut qu’on le sorte de là. » Senzen se précipita sur ses comms. « Nagia, où es-tu ? » Silence. « Nagia ! »

Tonya tenta de rester debout. Elle vit d’impressionnantes fissures se propager à travers la glace. Des blocs commencèrent à bouger et à s’effondrer un peu plus loin dans le tunnel.

« Cet endroit va s’écrouler » dit Tonya. Un tir de laser retentit.

Senzen ne lui prêtait aucune attention. Il tirait tout autour du corps de Kenlo dans l’espoir de le dégager. Sans succès.

« Ne reste pas plantée là, donne-moi un coup de main. »

« Il faut qu’on se tire de là. » Tonya avait du mal à croire les mots qui sortaient de sa bouche. Après tous les efforts consentis, un triomphe sans équivalent lui tendait les bras, à quelques mètres de là. C’était la gloire, un héritage du passé pris dans la glace. Mais en réalité, c’était leur mort. Ils ne pouvaient ni l’atteindre, ni le transporter. Il les emporterait avec lui. Elle commençait à s’en rendre compte.

Le pistolet de Senzen continuait de tirer à pleine charge. Un nouveau sursaut de la planète projeta des jets de gaz et de vapeur dans le tunnel.

Tonya chancela en tentant de conserver l’équilibre et mit le pied dans une flaque. Tout était en train de fondre.

« Le laser a transpercé la croûte terrestre, il faut partir tout de suite ! » Elle le saisit par le bras et tenta de l’éloigner. Senzen la repoussa violemment. Elle heurta le sol en glissant.

« Qu’est-ce qui te prend, Tonya ? » dit-il, comme pris de frénésie. Senzen continua à tirer jusqu’à ce que l’arme se bloque le temps de recharger. « C’est la découverte du siècle. Le but ultime. Il faudrait que je sois le dernier des crétins pour la laisser me glisser entre les doigts. »

« Tu dois laisser tomber. »

« Laisser tomber ?! » Il secoua la tête. « LAISSER TOMBER ? » Il perdait la raison et se mit à marteler la glace avec la crosse de son pistolet et à arracher des éclats à la main.

Le sol s’ouvrit soudain dans un craquement. Dans un nuage de vapeur, Senzen fut englouti par les ténèbres d’un abîme qui s’enfonçait dans la planète.

Tonya garda quelques instants les yeux rivés sur le gouffre, sonnée. Lorsqu’elle releva la tête, elle réalisa que la dernière secousse avait aussi libéré le corps de Kenlo de sa tombe de glace. Il était allongé sur le côté, en train de dégeler.

Elle pouvait peut-être encore l’emmener. Elle parviendrait peut-être à le porter jusqu’à la surface. Ces idées obscurcirent sa pensée rationnelle et lui firent à nouveau entrevoir des visions de gloire immortelle. Il suffisait de bondir par-dessus le gouffre qui avait emporté Senzen…

Tonya se rendit alors compte que Kenlo la regardait. Ses yeux, d’un bleu très clair, étaient braqués sur elle. Il paraissait surpris, ébahi. Probablement comme elle, la première fois qu’elle l’avait aperçu. Ses lèvres formèrent difficilement un unique mot.

« Cours. »

Ses yeux se refermèrent. Le corps se relâcha.

Tonya l’abandonna derrière elle et partit en courant.

Elle était presque en pilote automatique lorsqu’elle traversa au pas de course les tunnels qui s’effondraient et les fissures qui s’agrandissaient. Son esprit était comme anesthésié par ce qu’elle venait juste de vivre. Par la suite, elle eut du mal à se souvenir d’avoir atteint la surface et appelé à l’aide un des transports des mineurs.

Ce n’est qu’après que le transport eut décollé de Kallis IX, en regardant le tumulte des nuages depuis l’espace, qu’elle essaya de comprendre ce qui venait de se produire.

Pour une fois, elle ne savait pas quoi penser.

****
La Terre, système Sol

2 mois plus tard TTS
Melvin Hartley Jr traversa impatiemment le hall du musée malgré sa démarche traînante. Équipé d’un plumeau et d’une serpillière, il traquait la moindre poussière ou saleté qui aurait pu échapper à son nettoyage intensif.

Une horloge sonna. Hartley s’éclaircit la gorge et scruta une dernière fois la pièce. Il rangea les accessoires de ménage dans un placard et vérifia son costume dans un miroir tout proche.

«Vraiment pas mal, » dit-il en arborant son sourire de circonstance. Il fit volte face et marcha fièrement jusqu’à la porte principale. Ses chaussures grinçaient sur le sol de marbre.

Il pressa un bouton près de l’entrée. Une bannière se déroula automatiquement juste à côté ; on pouvait y lire « L’Artemis ; une nouvelle découverte. Présentée par Shubin Interstellar. »

Il sourit en la lisant pour la millième fois, puis déverrouilla les portes.

Une foule patientait à l’extérieur. Des adultes, des enfants, des journalistes, des membres de la communauté scientifique qui avaient tous hâte de s’engouffrer dans l’entrée et de faire la queue au guichet.

Tonya regarda Hartley vendre des tickets. Elle avait conclu un accord avec Gavin Arlington, afin que l’artefact de l’Artemis trouvé sur Stanton soit exposé dans le musée de Hartley.

Hartley l’aperçut dans la foule. Les larmes lui montaient aux yeux. Il lui adressa un signe de la tête.

Tonya lui sourit et hocha la tête à son tour.

****

Système Kallis

2 semaines plus tard TTS
Les deux moitiés du Fanal II flottaient dans le vide. Tonya observait l’épave depuis le cockpit du Fanal III, obtenu grâce à sa police d’assurance généreuse.

La piste était froide. Elle était retournée sur Kallis IX pour essayer grâce à des scans de retrouver Kenlo ou tout autre signe de l’Artemis mais était revenue bredouille. Lorsqu’elle avait fait son rapport final à Arlington, elle n’avait même pas pris la peine de mentionner le corps. Il ne la croirait pas. Personne ne l’aurait crue. Elle avait du mal à y croire elle-même.

Il lui faudrait donc simplement faire preuve d’imagination et continuer à chercher d’autres indices. Il y en avait forcément quelque part et elle n’était pas prête à renoncer.

Un message s’afficha sur l’un de ses écrans. Transfert terminé. Tonya s’installa confortablement dans le siège et attendit.

« Bonjour Tonya, » dit Janus sur les haut-parleurs.

« Ravie de te revoir. »

« Merci. » Il s’interrompit. «Avez-vous une destination en tête? »

« Absolument. » Tonya la sélectionna dans l’ordinateur de bord.

« C’est compris » dit Janus. Les différents systèmes commencèrent à se mettre en marche, puis s’arrêtèrent. « Souhaitez-vous piloter vous-même ? »

Tonya réfléchit quelques instants.

« Nan, je te laisse faire. »

FIN

Source: Roberts Space Industries