Des éclairs jaunes brillaient à travers d’épais nuages d’orage. La pluie transformait la terre rouge en boue glissante. Cachés dans les recoins sombres de l’immense canyon, nous attendions. Nous mangions des insectes. Le froid nous avait transit jusqu’aux os.

Elle était près de moi. C’était tout ce dont j’avais besoin. Toute la lumière et la chaleur du monde étaient là, dans mes bras.

*****

Ma tête rebondit contre une fenêtre. Retour à la réalité. Les gouttes de pluie sur le plastique transformaient en traînées les lumières des immenses bâtiments qui défilaient. Il me fallut quelques instants, mais tout me revint : Hannigan, le plan, la bombe, l’Agent de l’Advocacy.

Je mis à l’épreuve les entraves à mes pieds et mes poignets, espérant qu’il y avait assez de jeu pour que je puisse me dégager. Inutile, c’était bien serré. L’Agent de l’Advocacy était à l’avant, en train de conduire, et me regardait déjà dans le rétroviseur.

“Pendant un instant, j’ai vraiment craint de vous avoir perdu” dit-elle. D’après son élocution parfaitement calme, je voyais qu’elle en pensait chaque mot. C’était la première fois depuis le Centre d’Expédition de Covalex que j’avais l’occasion de bien la regarder. Ses vêtements impeccables et immaculés ainsi que son maintien calme annonçaient une professionnelle bien préparée.

“Je n’en doute pas.” Je me redressai, mais ma tête me le fit payer.

“Voilà donc le tristement célèbre Kid Crimson…”

“Jamais entendu parler de lui.” Ma réponse automatique. Elle me regarda dans le miroir, déçue.

“Vraiment ? C’est votre défense ? J’ai l’impression que la plupart des types comme vous sont impatients de se faire capturer. Juste pour pouvoir enfin vous épancher à propos de votre notoriété. Wilcox-l’Ouragan était tout à fait comme ça… enfin, jusqu’à ce que je l’abatte.”

Mon esprit vacilla. J’avais entendu parler d’elle. Elle s’appelait Raina Quell. Elle s’était forgée une solide réputation d’Agent intransigeant ayant dégommé quelques clients sérieux. Apparemment, après qu’elle eut capturé l’Ouragan, il avait rameuté quelques-uns de ses gars pour le tirer de là. Elle les avait tous affrontés et avait été la seule survivante. Elle prit note de mon silence.

“J’imagine donc que je n’ai pas besoin de me présenter,” dit-elle.

“Vous êtes sur mes traces depuis Covalex?”

“Ouais.”

“Comment ?”

“Qu’est-ce que vous voulez dire?” Elle m’adressa un regard interrogateur.

“Vous étiez là-bas à ma recherche ?”

“Je suivais un renseignement à propos d’une cargaison d’esclaves. Ça m’a mené jusqu’à vous. Vous vous êtes enfuis. Je vous ai traqué.” Elle ne savait rien de l’ivrogne qui transportait initialement les esclaves. Donc le renseignement était tombé après que j’eus braqué la cargaison. Cet assassin furtif l’avait rencardé sur moi. Pourquoi ? Pour m’obliger à filer ?

“J’imagine que vous ne me croirez pas si je vous dit que j’ai été victime d’un coup monté.”

“Je pourrais, mais je suis tombée dans ce panneau-là un peu trop souvent par le passé.” Elle me regarda un moment. Je m’enfonçai dans le siège, et regardai défiler la ville. “J’ai inspecté votre vaisseau. Où avez-vous livré les esclaves?”

“Je les ai libérés.”

“Mais bien sûr.”

“Ils sont sur Magnus. Décongelés sur l’installation minière Arshop. Vérifiez par vous-même.” Je la regardai droit dans les yeux. Sans broncher. Elle n’avait rien sur moi. Peut-être un refus d’obtempérer face à un Agent de l’Advocacy. Mais la plupart de mes anciens délits étaient réglés.

“Vous saviez que j’étais à votre poursuite, et vous saviez que c’était trop risqué de voyager avec des esclaves, donc vous vous êtes débarrassé des preuves.”

“Je ne fais pas dans le trafic d’esclaves. Je suis venu m’occuper de celui qui en fait.”

“C’est à ça que devait servir le LR-620 ?” Je déteste les questions rhétoriques, donc je me tus. Elle attendit. “Qui ?”

J’aperçus au loin le campus de l’Université de Terra. La remise des diplômes avait déjà dû commencer. C’était fichu pour ce plan-là.

“Déjà entendu parler d’un homme du nom de Caro ?” Voilà qui eut le mérite de retenir son attention.

“Vous voulez rire.”

“J’ai reçu des infos d’un des esclaves, suivi la piste jusqu’ici, et remonté les échelons. C’était le nom qui était tout en haut.”

“Caro se trouve ici ? » Dit-elle, refusant toujours de s’emballer. J’envisageai un instant de tout lui dire. Dans le meilleur des cas, peut-être me croirait-elle. L’issue la plus probable néanmoins, c’était que j’allais lui avouer avoir tenté d’assassiner un Sénateur de l’UEE. Je choisis de rester prudent, et de me taire. Elle ne comptait pas en rester là, cependant, et me pressa, “Qui est-ce ?”

À l’extérieur, nous passâmes devant le terrain d’atterrissage officiel de l’UEE. C’était probablement là que se trouvait son vaisseau. Je tournai mon regard vers elle. “Attendez, où est-ce que vous m’emmenez ?”

“À la police locale pour vous enregistrer, puis à une antenne de l’Advocacy.”

“Vous ne pouvez pas m’emmener chez les flics locaux,” dis-je. Ma voix se fit plus insistante. Ça sentait mauvais. Très mauvais.

“C’est le protocole. Faudra faire avec.” Quell croyait que j’étais ébranlé à l’idée d’aller en prison.

“Écoutez, à la seconde même où vous m’enregistrerez dans le système, Caro enverra une équipe de nettoyeurs pour me supprimer.”

“Vous parlez des canaux cryptés de l’Advocacy. Caro a des contacts mais il n’est pas tout-puissant.”

“Réfléchissez-y. Comment a-t-il fait pour éviter la capture, et même toute identification, depuis tout ce temps ?”

“À vous de me le dire” dit-elle. Je n’avais plus le choix. Advienne que pourra.

“Le Sénateur Hannigan est Caro.”

“Mais bien sûr” dit Quell en prenant un virage.

“Je suis sérieux.”

“Je n’en doute pas.”

“Écoutez, emmenez-moi n’importe où; le QG de l’Advocacy, votre vaisseau, les fosses septiques, je m’en fiche. Je vous dirai tout ce que je sais. Mais s’ils apprennent que vous me tenez, je suis un homme mort.”

Elle me regarda un instant, puis se désintéressa de moi, me considérant comme n’importe quel criminel qui essaye de s’en tirer par du baratin.

“J’ai contacté le poste à l’instant où je vous attachais.”

Vingt minutes plus tard, Quell se gara près du poste de la Police locale, et finit par m’extraire de l’arrière du véhicule. Avec à la fois les pieds et les poings liés, j’étais déjà mort si quelqu’un décidait de passer à l’action.

Je scrutai le moindre signe suspect jusqu’à ce qu’elle me pousse dans le modeste poste. Il y avait trois flics en faction à l’intérieur. Ils semblaient s’ennuyer, comme s’ils n’avaient plus poursuivi qui que ce soit depuis une ou deux décennies. Quell me déposa près du guichet. Le Sergent à l’accueil m’ignora et la détailla.

“T’as besoin d’aide, mon chou ?”

Quell le fusilla du regard. Il fallut trente secondes au flic pour tilter.

“Que puis-je faire pour vous, Agent ?”

“J’ai besoin qu’il soit enregistré, et d’une station-comm.”

“Oui, Madame.”

Le sergent de l’accueil s’activa pour s’emparer de moi. La porte s’ouvrit. Un grand malabar à l’air farouche, vêtu d’un long manteau détrempé, entra. À l’exception occasionnelle du grincement aigu de sa chaussure, il ne fit pas un bruit. Bref, les ennuis s’annonçaient.

“Agent Spécial Quell,” dit le gros bras.

“Oui ?” Raina le regardait avec prudence. Apparemment, son instinct s’était enflammé comme le mien. Le gros bras me dévisagea. Il avait peut-être participé à l’échauffourée du terrain d’atterrissage.

“J’ai l’ordre de réquisitionner votre prisonnier.” Il brandit une ID de l’Advocacy.

“Sous l’autorité de qui ?” Elle rit.

“Je crains que ce ne soit confidentiel” dit-il, sans jamais me quitter des yeux, jusqu’à ce que Quell s’avance dans sa ligne de vue.

“Très bien. Qui est votre supérieur ?” dit Quell, refusant de céder. Le gros bras l’ignora. Sa main commença à se déplacer. Quell avait un temps d’avance. Son pistolet apparut en un éclair. Il fallait le reconnaître, cette femme était rapide.

“Doucement mon gros, si ces mains disparaissent de ma vue, je te ventile. Bien reçu ?” Sa voix ne trembla pas. Le gorille sourit et leva les mains. “Sergent, ça vous dérangerait d’attraper l’ID de notre ami pour moi ?

Le sergent de l’accueil hésita, manifestement agacé d’être mêlé à tout ça. Il s’approcha lentement du gros bras et glissa la main sous son manteau. Le gros bras se contenta de sourire, ses yeux désormais braqués sur Quell. Je jetai un œil à la fenêtre de devant. À travers le rideau de pluie, je vis deux silhouettes s’avancer. Elles mirent en joue.

Je poussai Quell au sol une demi-seconde avant que deux douzaines de projectiles ne réduisent en miettes les fenêtres. Les deux autres flics dansèrent sous l’impact des tirs qui transperçaient leurs corps. Le gros bras ne broncha pas. Il attrapa le sergent de l’accueil et lui brisa le cou. Quell me mit un coup de coude dans la gorge, croyant probablement que j’essayais de m’enfuir.

Le gros bras tira un fusil à pompe des plis de son manteau et retira le cran de sûreté. Quell fut plus rapide et lui cribla la poitrine de quatre balles. Il resta debout et leva son fusil. Elle lui colla deux autres balles dans la tête. Il se laissa enfin convaincre de mourir.

“Détachez-moi,” je parvins à dire en toussant, “je peux aider.”

“Vous avez perdu la tête.” Elle rechargea. Dehors, les tueurs continuaient à perforer le bâtiment. D’après le bruit que faisait la batterie, il devait s’agir de MAxOx P4, des armes automatiques à énergie. Ce qui voulait dire qu’ils ne risquaient pas de manquer de munitions.

Quell rampa jusqu’au sergent décédé et s’empara de l’ID du gros bras. Elle me traîna vers l’arrière. Tout autour de nous, les tirs faisaient voler des feuilles de papier, transperçaient des écrans, et réduisirent en miettes une lampe.

Nous entrâmes en nous baissant dans le hall arrière, où se trouvaient quelques cellules de détention vides. Quell continuait à se déplacer. Quelqu’un commença à tirer à travers la porte de derrière. Nous nous séparâmes, et nous collâmes chacun contre un mur. Un tueur armé d’un autre P4 ouvrit la porte d’un coup de pied. Il fut surpris de se retrouver nez-à-nez avec le canon du flingue de Quell. Elle le descendit et s’empara de son arme au passage.

Nous restâmes baissés pour nous déplacer entre les vaisseaux, glisseurs et voitures gardés en fourrière à l’arrière. Les tueurs à l’avant du poste cessèrent de démolir le bâtiment. Nous les entendîmes pénétrer à l’intérieur. Nous nous tînmes tranquilles quelques instants avant de filer en douce.

“Vous me croyez, maintenant ?” murmurai-je. Elle me jeta un coup d’œil. J’aurais presque juré qu’elle était agacée.

“Appelons-ça un ‘oui’ conditionnel.”

Je m’en contenterai.

… à suivre

Traduction par Baron_Noir, relecture par Hotaru – Source : https://robertsspaceindustries.com/comm-link/spectrum-dispatch/12829-Tales-Of-Kid-Crimson-Issue-8

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