À plusieurs pâtés d’immeubles du poste de police, Quell attendait patiemment que je force la porte d’un glisseur. J’avais choisi un modèle plus ancien pour ne pas avoir à utiliser de crack informatique, juste de bons vieux outils.

“J’espère que ceci ne sera pas ajouté aux chefs d’accusation,” dis-je en crochetant la serrure.

“Je n’ai pas encore décidé.” Elle restait à l’affût des nettoyeurs.

“Tout ce que je dis, c’est qu’on pourrait qualifier ceci de piège,” dis-je tout en bricolant le démarreur. “Vous savez, ça irait un peu plus vite sans les menottes.”

“Eh bien, la vie est injuste.”

Deux minutes plus tard le moteur crachota, avant de démarrer.

Quell prit la chambre la moins chère, dans le moins cher des trous à rat. Il y avait des gouttelettes de sang séché sur la tête de lit. Les volets roulants de la fenêtre étaient coincés par la rouille. Ça puait le tissu humide et moisi. Je ne voulais rien toucher.

“Vous ne pouviez pas raquer pour une meilleure piaule ?” Je jetai un un coup d’œil à la salle de bain, plus par curiosité morbide qu’autre chose. Je ne fus pas déçu.

“C’est discret.”

“Comme le serait un endroit doté d’une plomberie. On en trouve plein dans le coin.”

Quell alluma l’écran mural et le fit défiler jusqu’à ce qu’elle trouve les infos. Ils passaient un reportage sur la prochaine saison de Sataball, donc elle marcha jusqu’au bureau. J’essuyai la crasse sur une chaise et la traînai à côté d’elle.

Elle activa l’éclairage et examina le badge qu’elle avait pris sur le cadavre du gros bras. Il me semblait officiel, mais d’un autre côté, j’étais toujours parvenu à éviter de les regarder de trop près.

“Vous voyez ? Il a des gens dans votre propre service.”

“C’est un faux” dit-elle sans la moindre hésitation. Elle gratta les puces encodées, incorporées dans le badge pour permettre à l’agent de contourner les protocoles de sécurité. C’étaient des autocollants. “Et un des plus grossiers qu’il m’ait été donné de voir, qui plus est. Quelqu’un a fabriqué ce truc dans l’urgence.”

“Très bien, ce n’étaient pas des Agents de l’Advocacy ripoux. Hannigan savait quand même que vous alliez m’amener à ce poste, et a simplement déguisé des bandits pour faire le boulot.”

“Ou cela aurait très bien pu être n’importe quel autre criminel que vous avez contrarié par le passé. Peut-être quelqu’un avec un bon technicien à son service, capable d’accéder aux canaux de la police.” Elle s’installa plus confortablement et me regarda avec suspicion.

“Réfléchissez-y. Hannigan est membre du Sous-Comité pour le Développement et l’Expansion, ce qui signifie qu’il a accès à des planètes pleines de travailleurs sans papiers. Il a l’influence politique qui lui permet de surveiller et manipuler les enquêtes Impériales. Ça explique comment Caro a pu rester aussi insaisissable.”

“Je ne sais pas. La théorie de l’homme qui joue au politicen le jour et au cerveau d’une organisation criminelle de nuit me paraît un peu tirée par les cheveux.”

“N’est-ce pas exactement la même chose ?”

Raina Quell se mit à rire. Elle effectua une recherche sur la photo de l’ID du gros bras. Il avait un casier, et bien rempli avec ça. Piraterie, agression, meurtre-sur-commande… c’était un voyou polyvalent, mais rien de tout ça ne le rattachait à Hannigan. Il était temps de passer aux choses sérieuses.

“Cet écran peut rediffuser ?” demandai-je en montrant l’écran mural.

“Je ne sais pas, probablement.”

“Dans une meilleure piaule, la question ne se poserait pas.” Je lui passai devant pour atteindre l’écran.

“Lâchez l’affaire.” Elle me foudroya du regard.

Je consultai l’archive des infos de SSN News, lançai le passage sur le discours de Hannigan, et avançai image par image jusqu’à ce que je voie Marque-de-laser.

“C’est ce type. Sur le terrain d’atterrissage, il a abattu le trafiquant qui prétendait impliquer Caro.”

Quell s’avança vers l’écran pour mieux le regarder. Elle se pencha encore un peu plus près pour examiner la bouillie de pixels. “L’image est trop compressée pour pouvoir en retirer une ID.”

Elle jaugeait mon histoire. Je ne savais pas de quel côté elle allait pencher, mais j’avais besoin que ce soit du mien.

“Je vous parie ma liberté.”

Quell me regarda, l’air amusée.

“Je suis sérieux. Si je me trompe, je vous laisserai m’attraper.” C’était la deuxième fois que je la faisais rire.

“Vous me laisserez ? Je vous ai déjà attrapé.”

Je laissai tomber les menottes. Je m’étais saisi de la clef lorsqu’elle était passée devant moi. “J’allais garder ça pour plus tard, peut-être la prochaine fois que vous m’auriez laissé dans la voiture…”

Je déverrouillai les entraves à mes pieds, les posai sur la table, et m’adossai au mur. Quell avait déjà son arme braquée sur moi.

“Pour vous, c’est du gagnant-gagnant. Si j’ai raison, vous faites tomber le trafiquant le plus notoire de la galaxie. Si je me trompe, vous m’avez, moi. Qu’en dites-vous?”

*****

Quell se tut cinq minutes puis fixa deux règles. Un, je ne pouvais pas porter d’arme. Deux, si je disparaissais de sa vue, elle prendrait ça pour une tentative d’évasion, me retrouverait, et m’abattrait.

Maintenant, nous étions de nouveau dans le glisseur volé, en route vers les Archives de SSN News afin de regarder les images non compressées de Hannigan pour essayer d’obtenir l’identité de Marque-de-laser. Tout d’abord, j’avais une requête personnelle : nous devions retourner au poste de police. Je pouvais me séparer de la plupart de mes affaires, mais pas d’un certain objet dans le coffre de son véhicule.

Quell arriva en vue du poste et fit ralentir le glisseur. Il y avait des flics partout, en train d’évaluer les dégâts. Heureusement, elle s’était garée un peu plus loin. Nous finîmes donc à pied. Deux flics nous dévisagèrent au passage.

“Ça vous dérange de me dire ce qui est tellement important ?” me siffla-t-elle. “Pour ce que nous en savons, ils pourraient encore être là. À observer.”

“Vous verrez bien.” Nous atteignîmes son glisseur. Elle approcha du coffre et l’ouvrit. À l’intérieur, il y avait le LR-620 et l’un de mes sacs. J’ouvris le sac et en sortit la lame Vanduul. Voilà qui piqua sa curiosité.

“C’est ce que je pense ?”

“Ouaip.” Me conformant à la règle n°1, je la lui tendis. “Ne la perdez pas.”

“Je croyais que seuls les Vanduul avaient le droit d’en porter. N’importe quelle autre espèce se verrait traquée impitoyablement.” Elle admira avec fascination le remarquable savoir-faire dans le travail du métal; raffiné, finement ouvragé, et élégant par sa simplicité.

“Exception particulière.” Je jetai un coup d’œil en direction du poste. Un flic nous observait.

“Curieuse d’entendre cette histoire.”

“Plus tard. On devrait se bouger.”

C’est incroyable, tout ce que peut vous apporter un peu d’autorité. Aux archives de SSNtv News, dès lors que Quell montra son badge, nous pûmes bénéficier de toutes sortes de privilèges et permissions. Je dégustai une fantastique tasse de thé tandis qu’ils retiraient les puces de sauvegarde originales de la caméra.

“C’est incroyable. J’aurais dû devenir flic” dis-je, en terminant ma tasse. “Là, vous me faites vraiment retourner ma veste.”

“Un peu de sérieux. Vous n’auriez pas survécu à l’entraînement.” Quell eut un grand sourire.

“J’ai vu des régiments de l’Advocacyà l’entraînement. Moi aussi, je sais courir.” Je fis signe à la stagiaire pour qu’elle m’amène une autre tasse. Elle rit pour la troisième fois.

Le responsable des données, extrêmement guindé, surgit de l’arrière et s’excusa pour le contretemps. Il nous conduisit à une baie de visionnage. Après avoir passé au crible des heures et des heures d’images, nous parvînmes enfin au moment de vérité. Avec la résolution non compressée, nous pourrions voir jusqu’à la moindre goutte de sueur sur son front. Obtenir une identification serait chose aisée.

À l’écran, Hannigan acheva son discours, commença à quitter la scène, et sortit du cadre.

Nous échangeâmes un regard. Quell revint en arrière et relança la lecture image par image. Le résultat fut identique.

Marque-de-laser n’y était pas.

*****

Nous rentrâmes précipitamment à l’hôtel pour tirer tout ça au clair.

“Quelqu’un l’a implanté directement dans la diffusion. Avez-vous la moindre idée de la difficulté que cela présente ?” Je conduisais, le cours de mes pensées allant encore plus vite que le glisseur.

“Quiconque s’est introduit dans la diffusion de SSN a dû laisser des traces. Ce qui signifie que nous pourrions les suivre, ou du moins commencer à nous faire une idée de qui tire les ficelles dans cette histoire.” Quell y réfléchit un instant. “Quelles sont vos compétences en informatique? ”

“Certainement pas au niveau qu’il nous faut, mais je peux faire appel à un type.”

“On peut lui faire confiance?”

“Eh bien, c’est un criminel, donc techniquement non, mais nous savons qu’ils surveillent les canaux de l’Advocacy, donc nous n’avons pas beaucoup d’alternatives.”

De retour à la chambre, j’appelai Raj Benny. Il avait compté parmi les meilleurs craqueurs de systèmes, avant de passer aux crânes. Par chance, il était justement sur un boulot d’extorsion de protection dans le système, et pouvait nous rejoindre le lendemain matin.

“Regardez ça,” dit Quell en passant sur l’écran le dossier du gros bras du poste de police. Je parcourus les données. Ça semblait à peu près inchangé.

À peu près.

Un nouvel élément avait été ajouté, enfoui dans la chronologie des crimes. Le dossier disait maintenant qu’il avait servi dans l’armée dans une unité obscure, et avait été révoqué pour manquement à l’honneur.

“Hmmm. C’est bizarre, ça.”

“Pas vraiment,” dit Quell, arborant un sourire satisfait. Elle afficha une autre page, s’enfonça dans son siège et attendit que j’aie l’air impressionné. L’unité dans laquelle il avait prétendument servi était l’une des unités de défense assignées à un système en cours de développement. Donc ça le rattachait au Sous-Comité pour le Développement et l’Expansion, et donc par là-même, à Hannigan.

Quell se leva d’un bond, revigorée, et s’approcha de l’écran.

“Ce sont de parfaites pièces de puzzle cherchant à démontrer que Hannigan est vraiment Caro. Assez obscures pour qu’aucun enquêteur n’aie l’impression de se faire mener en bateau.”

“Ou un assassin potentiel qui aurait une rancune contre les esclavagistes.”

“Exactement.” Quell se retourna et me regarda. “Ils voulaient vous pousser à faire des recherches, et ont bâti ce récit à votre intention.”

“Et donc, qui est derrière tout ça ? Qui souhaite la mort de Hannigan ?”

“Eh bien, maintenant nous savons où commencer nos recherches. Je veux dire, qui a des comptes à régler avec Hannigan ?” dit-elle. Je secouai la tête. C’était incroyable. Elle me regarda en souriant. “On dirait que vous allez perdre ce pari.”

“On dirait.”

Nous passâmes la nuit à discuter et à nous plonger dans la vie de Hannigan. Ses rivaux en politique. Ses contacts dans le monde des affaires. Des promoteurs qu’il aurait pu contrarier. Même son ex-femme. A la fin, la liste des suspects potentiels était longue.

Le soleil pointait à travers les volets rouillés lorsqu’on frappa à la porte. Raj me fit aussi sonner pour confirmer que tout allait bien. C’était une vieille astuce. Frapper sans sonnerie signifiait qu’il y avait du grabuge.

Quell se mit bien en vue; la main sur son arme, juste au cas où.

J’ouvris la porte. Raj se faufila à l’intérieur. On aurait dit qu’il n’avait plus dormi depuis que je l’avais vu au centre d’expédition de Covalex. À l’instant où il aperçut Quell, sa main se précipita vers son arme. Je m’interposai entre les deux.

“Doucement, Raj. Elle est réglo.” Je levai les mains. Quell fit de même.

“C’est quoi ce bordel, Ethan ?” Il regarda atour de lui avec méfiance. “T’es du côté de la loi, maintenant ?”

“Fais-moi confiance. Quand t’auras entendu ça…” dis-je. Le Tevarin se détendit lentement. Nous lui expliquâmes. Tout : l’assassin furtif, la piste vers le Faux-moi, Marque-de-laser et Hannigan, Caro, la tromperie, tout.

Raj écoutait, et secoua plusieurs fois la tête avec incrédulité au début. Vers la fin, il ne la secouait plus.

“Nous avons donc besoin que tu découvres qui a accédé à la diffusion. Piste-le jusqu’à un terminal, ou mieux encore, à un nom” dis-je.

“Vous pouvez le faire ?” intervint Quell.

“Peut-être.” Raj y réfléchit. “Il est possible que je sois un peu rouillé.”

Quell lança son système et Raj se mit au travail. Nous étions assis sur le lit, à attendre. Une heure environ s’écoula.

“Rédiger le rapport sur cette affaire va être un cauchemar,” dit-elle enfin en gémissant.

“Vous devriez peut-être vous tourner vers une carrière criminelle ? Très peu de paperasse.”

“J’y songerai.” Elle sourit. Quelques instants s’écoulèrent encore, elle se leva et entra dans la salle de bain.

“Eh, Ethan,” marmonna Raj, “Mate ça.”

Il quitta sa chaise pour que je puisse m’asseoir. Je regardai l’écran. Il avait rassemblé tous les fichiers dans un seul répertoire.

Et il était en train de les effacer.

Je sentis à peine l’aiguille se glisser dans ma peau. Une sensation froide d’engourdissement se répandit rapidement à travers tout mon système. Mon corps s’effondra avant que je ne puisse réagir. Raj me rattrapa et me déposa sur le sol.

“Tu ne pouvais pas te contenter de jouer le jeu, tel le prévisible petit singe enragé que tu es” murmura-t-il.

J’entendis la chasse d’eau. Non.

Raj me sourit et dégaina un pistolet. Mon pistolet. Celui que j’avais perdu au terrain d’atterrissage. Je luttai pour bouger. Pour crier. Pour faire quelque chose.

Raj alla calmement se placer à côté de la porte de la salle de bain. Elle était rapide. Beaucoup plus rapide que Raj. Elle pouvait l’avoir. Il fallait simplement que je la prévienne d’une façon ou d’une autre.

La porte s’ouvrit. Raina Quell sortit en s’essuyant les mains.

Non.

Raj lui tira dans la nuque. Elle n’avait rien vu venir. Son corps resta figé un instant. En état de choc. Elle s’écroula sur le tapis sale, ses yeux braqués sur les miens.

Je pus voir la vie la quitter.

Raj ouvrit la porte. Marque-de-laser et d’autres bandits entrèrent.

“Faites en sorte qu’on la trouve.” Raj passa mon pistolet aux bandits, puis baissa le regard vers moi. “On dirait que tu viens juste d’exécuter un Agent décoré de l’Advocacy, Ethan.”

… à suivre

Traduction par Baron_Noir, relecture par Hotaru – Source : https://robertsspaceindustries.com/comm-link/spectrum-dispatch/12837-Tales-Of-Kid-Crimson-Issue-9

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