Le feu se propageait à travers les conduites de câbles des sous-plafonds du bloc de haute sécurité, brûlant si fort que le plastique des tableaux de bord commençait à fondre sur les murs. L’épaisse fumée noire qui se répandait dans le couloir me faisait penser à de l’encre qui se diffuse dans l’eau.

Wes Morgan, l’homme que nous étions venus libérer, approcha son visage du mien. Il tenait une manche de son uniforme de prisonnier, qu’il avait arrachée puis humidifiée dans le petite évier de sa cellule, et l’avait placée devant son visage. L’autre manche, il me l’avait passée. « Ça, là-haut, » dit-il en me montrant le plafond, « c’est de la vapeur sous pression. Plus bas il y a des vapeurs chimiques mortelles si tu les respire. Donc reste baissé, mais pas trop. » Il se tourna et sortit dans le couloir.

« Nous devons nous rendre au pont d’envol. C’est le seul moyen de quitter la station. » lui dis-je, en pointant du doigt l’endroit où Cayla Wyrick nous attendait. La prison était bouclée et elle était la seule personne à posséder les codes d’accès nous permettant de nous y rendre. Nous n’avions pas le temps de faire le moindre détour. J’étais armé d’un pistolet paralysant que j’avais ramassé dans un casier à l’extérieur du bloc, et je pouvais toujours l’utiliser sur lui, mais nous avions besoin de son aide pour passer au travers du blocus des pirates.

« On ne partira pas sans Asari. » dit-il sèchement.

« C’est qui, ça, Asari ? » Demandai-je, mais Morgan était déjà en chemin vers la cellule suivante. J’étais certain d’avoir déjà entendu ce nom quelque part, mais je n’arrivais pas à me souvenir où. Je le suivi donc, résigné, à demi-courbé comme il me l’avait dit. Malgré que je ne voyais aucune flamme, l’air était atrocement chaud et me brûlait les poumons à chaque respiration, même à travers le tissus humide.

« Celle-ci. » déclara Morgan à travers sa manche. Il se tenait devant la seule autre cellule occupée de tout le bloc. Elle ne comportait aucune marque d’identification à part une série de chiffres sur la porte.

Wyrick m’avait confié sa carte d’identification qui permettait d’ouvrir n’importe quelle porte dans la station. Mais il s’agissait du secteur de haute sécurité. C’est ici que l’UEE enfermait les prisonniers que personne ne devait trouver. Des hommes ayant commis des crimes atroces, ou qui étaient connus pour être affiliés à certains pirates, ou…

Je me souvins alors qui était Yusaf Asari.

« Je n’ouvrirai pas cette porte ! » déclarai-je fermement.

Asari était sous le coup d’une accusation de tentative de génocide. C’était un terroriste Tevarin qui avait libéré un virus conçu à des fins militaires sur une colonie du système Geddon. L’idée était que le virus se répandrait grâce au retour des transports reliant la colonie à l’espace de l’UEE. L’Advocacy avait eu vent du plan et bouclé la colonie avant que le virus ne puisse se propager, mais les répercutions au sol furent terribles. Il s’agissait d’un monstre, dans tous les sens du terme.

« On peut rester là à en débattre ou bien je peux prendre cette carte d’identification et ouvrir la cellule moi-même. Tu as toujours la carte parce que je le veux bien. »

Morgan savait que j’étais armé, mais ne semblait pas s’en soucier. Peut-être ne voulait-il simplement pas laisser Asari mourir dans les flammes, pensai-je alors. Si c’était bien ça, je pouvais lâcher un peu de lest.

« Je veux ta garantie qu’il ne sortira pas de la station. »

Morgan considéra ma demande.

« Je ne l’aiderai pas à quitter la station. Ce qu’il fera une fois libéré ne me regarde pas. »

C’était le meilleur compromis possible.

Asari ne sortit pas immédiatement de sa cellule. Il était grand pour un Tevarin, ce qui n’était pas rien. Il avait des cicatrices sur le visage et le haut des épaules qui étaient visibles grâce au t-shirt blanc sans manches qu’il portait. « Morgan, » lâcha-t-il d’une voix pâteuse. « Tu ne ressembles pas à ce que j’imaginais de toi.

– Toi tu corresponds bien aux images que j’ai vues de toi au journal télévisé. » dit Morgan. « Nous venons te sauver. »

Le regard d’Asari passa à travers moi comme si je n’existais pas.

« Je ne peux pas me joindre à vous. » dit-il. « Mes frères Tevarin sont retenus sur un pont inférieur. Je vais les retrouver et me joindre à nos envahisseurs s’il veulent de nous. Sinon nous nous débarrasserons d’eux. »

« Je comprends. » déclara Morgan. Il tendit une main, qu’Asari serra. « Ce fut un plaisir.
– Nous nous reverrons à nouveau Wes Morgan, si ce n’est dans cette vie, alors dans la prochaine. » Sur ces mots, le géant Tevarin tourna les talons et disparut en s’enfonçant dans les couloirs de la prison.

« Nous n’allons pas tout de suite sur le pont d’envol. » dit Morgan alors que nous venions de rejoindre Wyrick. Il parla à nouveau avant que nous n’ayons eu le temps d’objecter quoi que ce soit. « Ce jouet de pistolet paralysant que vous avez là ne nous sera pas d’une grande aide si nous devons croiser les personnes qui ont fait tomber les défenses d’une station de type Orbital Supermax. Et que je sois maudit si je dois leur faire face avec pour seule arme ma belle gueule.
– Pas d’arme !» répondit fermement Wyrick.

Morgan la dévisagea de haut en bas. « Vous m’avez l’air d’une gentille fille, et jolie avec ça. Croyez-moi, vous n’avez pas envie de découvrir ce que ces types vous feraient s’ils en avaient l’occasion. » Il laissa cette horrible pensée s’installer un moment, puis reprit. « Vous savez qui je suis ? »

Elle devint pâle, puis hocha la tête.

« Vous avez lu mon dossier ? »

Encore un hochement de tête.

« Kellog VI voulait un profil psychologique avant que l’on vous transfère. Je m’apprêtai à commencer sa rédaction la semaine prochaine.

– Bien, alors vous savez que je ne suis pas un psychopathe. Les armes sont des outils de négociation. Je ne fais feu que lorsque j’y suis contraint. »

Elle l’étudia un moment, puis acquiesça une troisième fois.

Étrangement, je ne pense pas que ce fut la menace évoquée par Morgan qui la fit changer d’avis. Elle était psychiatre, et les psychiatres sont bons pour lire les gens. Je suppose qu’elle avait vu quelque chose en lui qui l’avait convaincue qu’il disait la vérité.

Malheureusement, nous n’étions pas les premiers à avoir pensé à l’armurerie. Nous nous risquâmes à utiliser l’ascenseur, descendirent de deux étages pour traverser un dédale de couloirs. Alors que nous nous rapprochions, nous commençâmes à entendre des bruits, du métal qui s’entre-choquait, des cris et des jurons. La source de ce raffut apparut alors que nous tournions à un angle. Un prisonnier, si maigre que sa poitrine se voûtait sur elle-même, tenait une sorte de chalumeau contre une porte de coffre-fort scellée. Son arme, d’habitude utilisée pour colmater les fissures dans la coque provoquées par des micro-météorites, faisait des étincelles au contact du métal. De larges traces cramoisies étaient visibles, significatives de nombreuses tentatives infructueuses pour tenter d’ouvrir la porte.

Un prisonnier, un géant que je connaissais sous le nom d’Albus Cronock et qui traînait toujours avec un groupe d’hommes à ses côtés, supervisait l’opération, les bras croisés sur son torse, les yeux plissés.
Une arme, de toute évidence prise à un garde, reposait le long du mur, à bonne portée.

« Dernière chance de faire demi-tour pour se diriger vers le pont d’envol. » proposai-je nerveusement.

« Nous restons. » Dit Morgan. Puis tendant la main. « Donnes-moi le flingue. »

J’hésitais, mais curieusement, Wyrick était d’accord avec lui. « De toute façon, quelle différence ça fait ? »

Elle n’aurait pas fait grande différence, mais le poids de l’arme sur mes hanches me réconfortait et j’étais réticent à l’idée de m’en séparer. À peine l’avais-je remise à Morgan qu’il s’approcha de l’un des panneaux de contrôle sur le mur et le fracassa avec son poing pour en extraire un câble. Il fit sauter le cache de l’arme et bricola quelque chose avec le câble qui produisit des étincelles. Il l’inspecta un moment, puis sembla satisfait et remit le cache en place.

« Là, maintenant c’est mortel. » Il leva le canon et le pointa droit sur nous.

« Et bien, » dis-je à Wyrick, « ça n’aura pas duré longtemps. »

« Tout ça fait partie du plan, n’est-ce pas Morgan ? » Demanda Wyrick pleine d’optimisme.

« Bien sûr que ça fait partie du plan ! » répondit-il dans un haussement d’épaules. « Vous savez le conseil qu’on vous donne lors de votre premier jour en prison ? Trouvez le pire fils de pute qui soit et démarrez un combat ? C’est exactement ce qu’on s’apprête à faire. »

Puis il nous fit signe de bouger, du bout du canon. « Maintenant avancez. »

Il fallut quelques secondes pour que l’homme au chalumeau ne se rende compte que les autres détenus s’étaient tus, mais lorsque ce fut le cas, il baissa l’outil, actionna la sécurité, et regarda en direction de Cornock. Le plus grand du groupe s’écarta du mur où il était appuyé et percuta la crosse du fusil du bout du pied, ce qui la propulsa dans les airs, lui permettant de la reprendre en mains. Il avança alors vers nous, suivit de plusieurs autres taulards.

« Tiens, tiens, Cayla Wyrick. Ça fait plaisir de voir ton joli visage dans les parages. Qui sont tes deux amis ? »

J’aurais dus réaliser plus tôt que tout le monde connaissait la psy de la prison. Morgan attira alors mon attention, Il serrait sa prise sur l’arme et me fit un signe de la tête en direction du type maigre en possession du chalumeau, comme pour me signifier que je devrais m’occuper de lui si les choses tournaient mal. Je haussai les épaules en prétendant ne pas l’avoir compris. Je suis aussi courageux que n’importe qui, mais il avait de quoi fondre le métal… Il n’y avait aucune chance que je me précipite vers une fin certaine.

« C’est Docteur Wyrick. » dit-elle. « C’était Docteur Wyrick la première fois que nous nous sommes rencontré, et c’était toujours Docteur Wyrick la semaine dernière lorsque vous vous êtes mis à pleurer comme un bébé dans mon bureau parce que votre petite amie, lasse de vous attendre, est partie avec son patron. »

Cronock clignait des yeux comme s’il avait été frappé et regarda à droite, puis à gauche. « Pleurer ? Moi ? Vous vous trompez de gars. » Il haussa les épaules puis prit un ton suppliant. « N’y a-t-il pas une confidentialité patient/docteur ou un truc du genre ? »

Mais Wyrick n’avait pas fini. Elle regarda l’homme qui tenait le chalumeau. « Bonjour James. Je suis surprise de vous trouver ici. Que va pensez votre sœur à votre avis lorsque vous écoperez de vingt ans supplémentaires pour tentative d’évasion ? Elle restera avec Slade pour finir à l’hôpital ? Vous étiez pourtant parti pour la sortir de tout ça non ? »

‘James’ rougit puis posa l’arme à terre. « Désolé Cornock, Je ne peux pas faire ça.

– Et vous ! Mick Brown ! N’étiez-vous pas— ? »

Ce coup-ci l’homme en question n’attendit même pas qu’elle termine.

« C’est bon, c’est bon. On a compris. Je ne toucherai pas à un seul de vos cheveux. »

J’étais stupéfait. Wyrick avait réussi à neutraliser l’une des bandes les plus violentes sur Supermax, juste avec des mots.

Les yeux de Morgan étaient grand ouverts.

« Y a-t’il quelqu’un contre qui elle n’a rien ? »

Je ne pus qu’hausser les épaules.

Wyrick s’avança au milieu du groupe. Même avec ses talons, sa tête ne dépassait pas leurs épaules, et pourtant elle les dominait, physiquement et mentalement.

« J’ai une nouvelle pour vous. Je suis la nouvelle directrice de cet endroit. Ce qui veut dire que je suis libre d’offrir la liberté conditionnelle ou des diminutions de peines pour ceux qui nous aideront à sortir d’ici. »

Elle regarda alentour, attendant que la nouvelle soit assimilée par tous. Puis elle tint sa carte d’identification en l’air. « Et en tant que directrice, j’ai accès à l’armurerie. »

Morgan vacilla, n’ayant écouté que d’un air distrait jusque-là. « Attendez une seconde… »

Je bégayai quelque chose aussi. Nous étions sur le point de les armer ? Mais une acclamation monta des prisonniers qui couvrit ma voix. Puis Wyrick ouvrit la porte et nous nous retrouvâmes au centre d’une joyeuse bande de fous armés jusqu’aux dents.

Étant donné que la seule chose qui les empêchait de nous balancer par le premier sas venu était l’attitude de Wyrick qui n’hésitait pas à divulguer des informations confidentielles, je pris soin de m’équiper d’un fusil d’assaut P4SC. S’ils décidaient de s’en prendre à moi, je voulais être armé.

À suivre…

Traduit de l’anglais par Nathaniel Flint avec la participation de Zeptow. Relecture et corrections par Hotaru
Source : https://robertsspaceindustries.com/comm-link/spectrum-dispatch/14009-Orbital-Supermax-Episode-Two

Leave a comment

Your email address will not be published. Required fields are marked *