La douzaine d’entre nous qui avait réussi à atteindre la plate-forme de chargement en vie devait attendre dans le noir pendant que les treize autres s’étouffaient dans leur propre sang. Le son qu’ils émettaient était horrible et humide, et personne n’osa parler avant qu’il ne s’arrête.

Nous pouvions nous rendre compte à quel point les forces pirates, menées par Martin Kilkenny avaient endommagé la station à cause des lumières qui refusaient de s’allumer dans la zone de stockage où nous nous cachions depuis quelques minutes. Lorsqu’elles finirent par s’activer à nouveau, elles étaient faibles et incertaines.

Nous sentîmes la plate-forme remuer après l’activation d’une commande, plus-haut, mais Morgan défonça le panneau de commande avec la crosse de son fusil. Non loin, Wyrick, la thérapeute de la prison, et de facto, notre conscience, sanglotait au dessus d’un cadavre.

« Ok Nylund, » dit Morgan. « Il faut trouver un autre chemin pour sortir de cette station. »

Je réalisai que j’étais partie dans les étoiles et secouai ma tête. Nous nous étions rendus sur le pont d’envol dans l’espoir de voler les deux chasseurs Hornet de la station et passer le blocus mis en place par les Chiens de Nova et leur capitaine, Martin Kilkenny, un pirate à propos duquel je ne savais que peu de choses. Juste qu’il était cannibale, et qu’il y avait, selon les mots de Cayla Wyrick, quelque chose qui n’allait pas avec sa mâchoire. À présent, avec le pont d’envol aux mains des pirates, non seulement nous devions trouver un autre vaisseau, mais il nous faudrait également nous battre contre ces mêmes Hornet que nous étions venus prendre.

« Nylund ?

– Je réfléchis. » dis-je. « Il y a deux chasseurs mis au rebut et un vieux transporteur dans un hangar à l’autre bout de la station, mais ce sera un miracle si nous arrivons à les préparer. En plus les hommes de Kilkenny pourraient très bien nous suivre avec leurs Hornet et nous abattre, ils n’auraient même pas besoin du reste de leur flotte.

– Alors nous devons mettre ces chasseurs hors d’état de nuire. » Morgan regardait tristement le panneau de contrôle détruit. « Je suppose que c’était un peu précipité. Y’a t-il un autre moyen de remonter sur le pont d’envol ? »

« On ne peut pas retourner là-bas. » s’interposa Wyrick. Elle s’était occupée des prisonniers à l’armurerie, avait parcouru la station avec des ex-détenus, et survécu aux tirs des Nova Dogs. Certaines femmes auraient craqué sous une telle pression, mais elle semblait avoir gagné quelque chose de cette expérience. Elle en était sortie plus forte, la tête haute. C’en était fini de la thérapeute réservée. La reprise serait difficile une fois tout ça terminé.

« Nous avons besoin de tous les hommes qu’il nous reste. »

Morgan resserra le poing. « Nous n’avons pas d’autre choix que de-

– On ne négocie pas avec les terroristes. » déclarai-je sans me rendre compte que j’avais parlé à voix haute. Puis je réalisa que tous les yeux étaient tournés vers moi et je compris que je devais m’expliquer.

« Nous ne négocions pas avec les terroristes. Si un groupe de prisonniers venait à s’emparer du pont d’envol, nous avions comme consigne d’activer les tourelles automatiques. Les envoyer dans l’au-delà. »

Wyrick devint rouge de colère. « Je n’étais pas au courant de cette consigne. Expulser les prisonniers dans l’espace est inhumain. »

Morgan leva la main pour la faire taire. « C’est ça, ou mourir. » Il lui laissa le temps d’objecter, mais elle resta subitement muette. « Ok, » dit-il pour passer à autre chose. « On active les tourelles, on explose Kilkenny et ses hommes, puis on s’échappe avec les chasseurs de réserve. »

« Pas si vite. » intervins-je. « Il manque un tas d’étapes ici. Les tourelles s’activent depuis le pont de commandement, lequel est hors d’état. De plus il reste le problème de remettre les chasseurs en état de marche…

– Pas de problème pour ça, je connais un gars. Pour les tourelles par contre… » Morgan regarda alentour et pointa plusieurs nodules circulaires au plafond. « Là, est-ce qu’on peut les pirater depuis ici ?

-Non, elles ne s’opèrent qu’à distance. On ne pouvait pas risquer que les prisonniers les désactivent eux-même. » ajoutai-je, tout excité à ma grand surprise. « Mais il reste la salle des serveurs. Si elle n’a pas été détruite.

– Parfait- »

Quoique Morgan s’apprêtait à dire, ce fut noyé dans un bourdonnement en provenance du système de communication principal. La voix qui s’en échappa était si profonde et résonnate que je n’avais aucun doute sur le fait qu’elle appartienne à un capitaine pirate. Évidemment il s’agissait de Kilkenny lui-même.

‘Mon nom est Martin Kilkenny , et vous pouvez me considérer comme votre agent de libération conditionnelle. Je dis conditionnelle car vous n’êtes pas des hommes libres. Un homme libre peut faire ce que bon lui semble. Cependant il n’y a qu’une seule tâche que vous devez accomplir pour gagner une place à bord de mon vaisseau. Je cherche un homme nommé Martin Browning. Prisonnier numéro AX-345987.’

Il y eu une pause.

‘Vous avez certainement entendu dire que les Nova Dogs sont cannibales. Vous avez bien entendu. Nous sommes des créatures du vide, et le vide est un lieu avide. N’essaye-t-il pas de planter ses griffes dans votre station ? De vous aspirer dans son ventre code des pâtes fraîches ? Nous suivons son exemple. Ce dont on n’a pas besoin, on le mange. J’ai douze postes vacants sur mon navire. Un dans la cabine d’équipage, et onze à la cuisine. Un homme utile saura gagner sa place au sein de mon équipage.’

Silence complet.

« Charmant. » dit sèchement Wyrick.

« Peut-être qu’il partira une fois qu’il aura trouvé son bonhomme ? » dit l’un des prisonniers. Les cheveux éparses, le corps fin comme une allumette. C’était Relic, je crois, le prisonnier qui nous avait menacés avec un chalumeau.

« Peut-être, » Commençai-je, laissant ma phrase en suspens. Si Kilkenny chassait ce Browing, il nous laisserait tranquille. Ce n’était évidemment qu’une supposition, mais je savais que nous avions tué quelques uns de ses hommes et qu’il se vengerait s’il en avait l’occasion.

Nous traversâmes la coursive de service jusqu’à la salle des serveurs. Les anciens détenus qui suivaient derrière nous chuchotaient à propos de l’offre de Kilkenny. Personne ne semblait connaître qui que ce soit nommé Browning, mais chacun d’entre eux pensait connaître quelqu’un qui le connaissait. Malgré le récent massacre de leurs amis, ils rêvaient tous d’être celui qui pourrait prétendre à la couche inutilisée sur le vaisseau de Kilkenny. La pensée que le gagnant de leur petit concours aurait à manger les perdants ne leur avait pas traversé l’esprit.

Je pensais avoir un meilleur moyen de trouver Martin Browning. Wyrick marchait à l’avant du groupe, juste derrière Morgan. J’attrapai son bras, et lui fit signe de ralentir d’un signe de tête. Si Morgan avait remarqué mon geste, il n’en dit rien.

« Il y a un terminal direct dans la salle des serveurs. Avec vos codes d’accès, vous pouvez trouver qui est ce Browning. Dans quelle cellule il est.

– Vous voulez le livrer à Kilkenny ? Après tout ce qu’on a vu ?

– Peut-être. Nous devons considérer toutes les options. Et si une fois l’homme obtenu…, » L’absurdité de ma propre proposition me fit butter, « … il partait simplement. La vie d’un seul homme en échange de cette station. Qui ne conclurait pas cet accord ?

– L’homme en question, je suppose. » Wyrirck semblait penser que le sujet était clos et rejoignit Morgan à l’avant.

Le pont qui abritait la salle des serveurs était sombre, et j’avais peur qu’il n’y ait plus de courant. Si c’était bien le cas, il nous faudrait trouver un autre plan, et vite. Morgan trouva quelques lampes torches sur un mur, qu’il distribua. Nous passâmes une porte, autrefois sécurisée, et entrâmes dans une pièce à la température élevée, du genre à tremper nos vêtements et assécher nos yeux. Des rangées de boîtes noires les unes sur les autres nous dévisageaient avec leurs lumières vertes et rouges.

« C’est chaud là-d’dans. » fit remarquer Relic inutilement.

Morgan regarda alentour puis descendit une des rangées. « Trouvons un terminal actif. Dispersez-vous. »

Je suivi Wyrick. J’avais accompli quelque chose d’important en dirigeant tout le monde jusqu’ici. La salle des serveurs était vraiment le cœur de la station. D’ici, tout était possible. Bien que l’enregistrement de mon arrestation et mon jugement seraient certainement envoyés à l’UEE, nous étions suffisamment isolés pour que le transfert d’une grosse quantité de données puisse coûter cher. Pour l’instant, tout était stocké sur les serveurs de la station. Avec le bon accès, je pouvais effacer toute trace de mes crimes. Toutes les personnes ayant connaissance de mon statut de prisonnier étaient mortes, en dehors de Wyrick elle-même. Mais une fois tout ça terminé, je pourrai peut-être trouver un moyen d’acheter son silence.

« Tout ce que je dis, c’est qu’il n’y pas de mal à regarder dans quelle cellule il se trouve. C’est tout ce que veut Kilkeny. C’est une information précieuse. Nous pourrions la marchander. Ou même prévenir Browning que Kilkenny le recherche. »

Wyrick s’arrêta net. Je failli lui rentrer dedans. Elle se retourna et je pouvais voir le bleu de ses yeux dans le faisceau de la lampe.

« Je suis votre thérapeute, Nylund. Je vous connais mieux que vous ne vous connaissez vous-même. Vous n’avez pas une âme de lâche. Vous savez très bien que vous abaisser au niveau de Kilkenny est mal. Le criminel égocentrique que vous êtes devenu, n’est que votre manière de gérer votre culpabilité. Vous vous punissez vous-même. »

La lampe m’échappa et je me retins à l’une des baies de serveur.

« Mon frère n’a rien à voir avec ça. » Je passai ma langue sèche sur mes lèvres. « Et je suis peut-être un criminel égocentrique, mais je ne m’inflige aucune punition. J’essaie juste d’utiliser tous les outils à ma disposition pour nous sortir tous de là en vie. »

Si les thérapeutes peuvent mentir, leurs patients aussi.

Wyrick soutint mon regard pendant un long et inconfortable moment, le bleu de ses yeux devenant microscopique, comme pour maintenir la ligne imaginaire entre nos pupilles intacte. Finalement, elle sembla être parvenue à une conclusion. « Je vais vous donner les codes d’accès. Si vous les voulez. Les voulez-vous vraiment Nylund ? Réfléchissez bien. »

Malgré moi, je les voulais. Je pensai à Danny et nos années à l’académie. Avant sa mort, j’étais quelqu’un de droit. Je n’aurais jamais envisagé de commettre un crime, et encore moins de supprimer la preuve que j’en avais commis un. Qu’est-ce qui avait changé depuis lors ? Je répugnais à cette pensée. Ces maudits psys commençaient à m’atteindre.

« Oui. » répondis-je aussi innocemment que je le pus.

Je n’étais pas certain qu’elle tienne sa promesse, mais elle pressa une lamelle de métal et un terminal surgit. Elle saisit ses codes et s’en alla. Sa thérapie éclair avait échoué, pensai-je alors victorieusement.

Ce fut uniquement après que j’eus supprimé la preuve de mes crimes dans la base de données que je réalisai qu’il ne s’agissait pas du tout d’une victoire. Sans que je sache pourquoi, j’avais plutôt le sentiment d’une perte.

J’avais activé une fenêtre de recherche et le curseur clignotait en attente de ma saisie. Je ressenti subitement un énorme poids sur moi qui n’avait rien à voir avec la chaleur. J’avais trahi la confiance de Wyrick deux fois en quelques minutes. Je me fis la promesse de me rattraper envers elle. Sans trop y croire tout d’abord, mais je sentais que c’était juste. Je me refis donc la promesse une seconde fois d’arranger les choses avec elle, en le pensant vraiment cette fois.

Mes doigts dansaient sur le clavier comme je tapai le nom Martin Browning. À ma grande surprise la recherche ne donna rien. Malgré près de 2400 prisonniers enfermés au sein de l’OSP-4, pas un seul n’avait la malchance d’être nommé ‘Martin Browning’, et l’identifiant fourni par Kilkenny s’était avéré correspondre à un homme mort du nom de Wilbur Marx.

Morgan avait trouvé un autre terminal au fond de la salle et y afficha une vue du pont d’envol. Un réticule de visée était visible en surimpression des deux Hornet. « Les connexions sont grillées. » dit-il en essuyant la sueur qui s’écoulait de sa nuque. « C’est cette foutue chaleur. Une seule tourelle répond. Nous n’aurons pas beaucoup de temps. »

« Vise les chasseurs en premier. » dis-je en frottant mes mains moites sur mon pantalon.

« Le cargo est dangereux mais nous pouvons le distancer.

– T’as trouvé c’que tu cherchais ? » me demanda Morgan en regardant par-dessus son épaule.

« Évidement, J’ai utilisé l’un des terminaux pour vérifier mes messages. Payé quelques factures. Tu vois quoi. » C’était une plaisanterie douteuse, mais il bougonna un sourire sans poursuivre. Wyrick se tenait debout à côté de lui et s’évertuait à ne pas me regarder. J’essayais de réfléchir à quelque chose à dire pour regagner sa confiance, mais je ne pus rien trouver.

Morgan pressa quelques touches sur le terminal et la mire vira au rouge. « Considérez ça comme une lettre d’amour adressée à Kilkenny. » dit-il en écrasant les touches.

À suivre…

Traduit de l’anglais par Nathaniel Flint. Relecture et corrections par Hotaru
Source : https://robertsspaceindustries.com/comm-link/spectrum-dispatch/14036-Orbital-Supermax-Episode-Four

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