En tant qu’ex quartier-maître à bord de l’OSP-4, j’avais vu pas mal de cadavres. Contrairement à la croyance populaire, les corps des personnes mortes en prison ne sont pas expulsés dans l’espace. En fait, chaque mort fait l’objet d’une enquête rigoureuse, et c’était mon rôle de fournir le matériel médical ou tout autre composant exotique nécessaire aux tests des enquêteurs. J’ai vu les corps d’hommes surinés par d’autres prisonniers, battus à mort avec des tuyaux en plomb, et même un homme coincé dans les conduites chauffantes qui avait cuit lentement.

Le spectacle que nous affrontions, le petit groupe de prisonniers échappés et moi, dans l’aile psychiatrique, était différent de tout ce que j’avais pu voir jusque-là. Des cadavres. D’hommes et de femmes. Certains portaient des uniformes de gardes, d’autres les robes de chambre fragiles des patients. Certains de leurs visages avaient été réduis en un amas de chair rosâtre, alors que d’autres étaient encore reconnaissables. Certains étaient adossés paisiblement à un mur et d’autres arboraient des regards horrifiés. Quelqu’un avait cassé la lampe au plafond et des éclats de verre recouvraient le sol.

J’entendai Cayla Wyrick sangloter. Elle était agenouillée près d’un jeune homme, les joues zébrées de marques écarlates, et un regard rempli d’effroi qui s’était figé à sa mort. Elle lui murmura quelque chose que je ne pusse entendre. Pensant qu’elle avait besoin d’intimité, je la quittai pour rejoindre Wess Morgan, le mercenaire que nous avions délivré de l’aile de haute-sécurité, qui se trouvait plus loin dans le couloir.

« Est-ce que tu sens ça ? » me demanda-t-il.

« La terreur palpable ? Oui je suis là aussi. »

« Non. » Il prit une profonde inspiration. « L’air est vicié dans cette partie de la station. L’attaque du capitaine Kilkenny a due endommager les recycleurs. Il y a trop de nitrogène et pas assez d’oxygène.
– Tu arrives à sentir ça ? »

« Non, « admit-il. « Mais je me un peu éméché. Pas toi ? C’est un signe d’empoisonnement au nitrogène. Nous devons trouver Herby et foutre le camp d’ici au plus vite. »

Je me retournai et regardai la demi-douzaine d’hommes en combinaison orange. Il étaient tous armés, plusieurs avec des tatouages de prisonniers sur leurs visages et leurs mains. L’un d’eux, que je connaissais simplement sous le nom de ‘Jarret’, avait teint le blanc de ses yeux, de telle sorte qu’il nous regardait avec des orbites entièrement noires. Le genre d’homme qui n’avait vraiment pas besoin d’être, en plus, intoxiqué.

Ils étaient les ennemis de notre ennemi en quelque sorte, et nous en étions venus à la conclusion qu’il était préférable de voyager ensemble, étant donné que nous essayions tous d’éviter de devenir le prochain repas des Chiens de Nova. Littéralement. Puisqu’il s’agissait de cannibales. À présent cette décision commençait à paraître risquée.

« Que faisons nous d’eux ?

– Rien. » Morgan leva un sourcil et regarda par dessus son épaule. « Regarde-les. Lorsque nous étions à l’armurerie, ils essayaient de prendre l’ascendant sur les autres, en jouant chacun leur tour au mâle dominant. À présent ? Ils sont plus effrayés par Kilkenny que par nous. Sinon, ils nous auraient déjà tiré dans le dos… » Ses yeux passèrent sur Wyrick qui s’était agenouillée à côté d’autres corps. « … et ils lui auraient fait bien pire. »

Il avait raison bien sûr. Le pire de la bande était resté en arrière avec Gros Max. Je ne doutais pas qu’ils avaient déjà été capturés par Martin Kilkenny. Le reste d’entre eux… était comme un serpent sans tête. Pas aussi excitant qu’un vrai, mais pas plus mortel non plus.

Notre petit groupe réussit à traverser le quartier psychiatrique. C’était une petite salle, mais les couloirs étaient tous désespérément semblables, et il y avait pas mal de portes, fermées à double tour, qui étaient éventrées, ce qui avait dû coûté cher à l’assaillant à en croire les marques ensanglantées qu’elles arboraient. Nous entendions toujours ce rire. – un rire glacial, dérangé, aussi involontaire qu’un éternuement.
Nous finîmes par trouver sa source. Un homme maigre à la peau jaunissante. Il était couvert de bandages qu’il avait volés d’un chariot médical renversé. Il tentait désespérément de bander des plaies sur mains et ses poignets.

Wyrick s’accroupit pour lui offrir son aide, mais recula lorsque le déséquilibré lui tendit ses poignets et qu’elle vit la bande de métal qui entourait l’un d’eux. Elle tomba dans mes bras et pendant un instant je sentis le bois de santal et la rose. Cela me fit penser qu’elle avait mis du parfum plus tôt dans la journée, sans soupçonner un instant qu’une attaque de pirates allait tout chambouler.

« Qu’y a-t-il ? » Demandai-je.

« Sa montre appartenait à un ami. » dit-elle doucement. Ses mains étaient douloureusement agrippées à mon bras, mais ses yeux étaient tournés vers ceux de son patient.
Il était évident que le corps de son ami décorait à présent le couloir derrière nous. L’un des prisonniers, nommé Relique si je me souvenais bien, en était venu à la même conclusion. Quelques heures plus tôt il nous menaçait avec un chalumeau, mais fuir un groupe de cannibales pour sauver sa peau est une sacrée expérience qui créée des liens. Ce n’était pas tant qu’il tenait à Wyrick… mais plutôt qu’il en était venu à la considérer comme un membre de sa meute. Et toute menace envers la meute était une menace envers lui.

Il attrapa l’homme à l’aide d’une chemise d’hôpital et colla le canon de son arme sur sa joue. L’homme ne réagit que par un petit rire ridicule, alors Relique tira dans le mur et pressa à nouveau le métal chaud au même endroit. « T’es un homme mort. C’est un homme mort. »

Wyrick commença à pleurer et je la serrai contre moi.

L’homme commença à marmonner des mots incohérents, et comme Relique le retournait, j’aperçus plusieurs seringues hypodermiques logées dans son dos. « Nord, Est, Sud, Ouest. C’est à l’Ouest, c’est ça ? Non pas tout à fait. Ouest, owest, west. Je plane, Wes, haut dans le ciel, je plane. Il faut que tu m’aides, Wes, avant que je ne chute. »

Morgan avait dégainé son arme à la seconde où Relique avait bougé, mais à présent il plissait les yeux et l’abaissait. « Herby ? »

Les yeux de l’homme se révulsèrent et sa tête bascula de côté.

Morgan avança de quelques pas. « C’est bien toi ? Qu’est-ce qui t’est arrivé, bon sang ? »

Relique les regardait tous les deux, les yeux tellement ouverts que je voyais le blanc tout autour. Son arme pivota de l’homme que nous suspections être Konicek vers Morgan.

« Tu le connais ? Vous êtes ensemble ? » Il se tourna vers ses compagnons prisonniers.

« On nous a conduit dans un piège. Et il en est l’instigateur. »

Les yeux de Morgan se plissèrent et sa mains se crispa sur son arme. « … Mais qu’est-ce que tu racontes bordel ? »

Je me souvins ce qu’avait dit Morgan à propos de l’atmosphère. « Relic » dis-je, utilisant son nom dans l’espoir de l’amadouer. « Il n’y a aucun piège. C’est l’homme que nous sommes venu chercher. Il est la raison de notre présence ici. »

Wyrick s’écarta de moi et je pris soudain conscience combien j’avais apprécié son attention. « Votre ami à tuer le mien. » dit-elle. Son attitude était passée, en un instant, du désespoir à la colère amère. « Il ne vient pas avec nous. »

L’irritation de Morgan était quasi indifférenciable de ses autres émotions, excepté qu’elle était plus froide. Plus dure. Je savais que si je n’étais pas intervenu, il aurait abattu Relique sans aucun avertissement, et nous aurions alors eu à nous frayer un chemin à travers ses amis, en plus des patients.

« Écoute, Caylie – Cayla, » me ressaisis-je rapidement. Je n’étais pas immunisé contre l’atmosphère altérée de la pièce. « Il n’y a aucune preuve indiquant qu’il soit l’assassin. Les seringues dans son dos…. À l’évidence il a été drogué, et pas par quelqu’un avec une formation médicale. »

« T’as dix secondes pour poser ce fusil. » déclara Morgan. Le pouce et l’index de sa main gauche formaient un cercle autour du barillet du fusil qui tournait imperceptiblement. J’avais le sentiment qu’il était en train de prendre l’ascendant sur Relique, et pas l’inverse.

Relique l’avait peut-être compris aussi. Son ton devint presque implorant. « C’est un cinglé. Ce serait lui rendre service. Rndre service à tout le monde – »

Alors que son arme pivota pour couvrir toute la salle, Morgan tira net dans son épaule. L’arme de Relique tomba avec fracas au sol, et sous l’effet de la surprise, le prisonnier la suivit.
Je l’éloignai d’un coup de pied avant qu’il ne puisse reprendre ses esprits. Wyrick me rejoignit peu après, puis arracha la combinaison de Relique pour vérifier l’état de la blessure. Elle n’avait pas besoin de s’inquiéter. Si Morgan avait voulu le tuer, il l’aurait fait. J’étais sûr que la blessure ne serait pas mortelle. Un inconvénient passager tout au plus.

“Laisse-moi t’enlever ces trucs, Herby” dit Morgan. L’une après l’autre, il retira les seringues hypodermiques. Il gifla légèrement la joue du patient, comme s’il essayait de ne pas utiliser toute sa force.

« On doit sortir d’ici, Wes, » chuchotta Konicek. « Ils sont partout autour de nous. »

Morgan acquiesça, et je poussai un soupir de soulagement. Nous avions trouvé l’homme que nous cherchions et apparemment nous allions réussir à sortir d’ici en un seul morceau. Je me levai pour faire face à cinq hommes en colère et armés de fusils. Ne croyant pas qu’ils nous étaient réservés, je me retournai et découvris un troupeau d’humains dans le couloir. Au moins une douzaine d’hommes en blouses tâchées de sang, plusieurs avec de la bave séchée sur eux, se tenaient à l’autre extrémité.

« Vous pouvez tous poser vos armes à présent. » dit l’un des détenus derrière moi.
Je réalisai que les armes nous étaient bel et bien destinées. Wes avait épargné la vie de Relique, mais ils ne l’entendaient pas de la même façon. L’un de nous avait tiré sur l’un des leurs. Notre petite alliance était terminée.

Mon arme tomba au sol, Wyrick regardait en arrière vers les prisonniers. Son visage était trop moite pour qu’il s’agisse de larmes, et je pris conscience que nous étions tous en nage, à croire qu’il faisait bien plus chaud ici que dans le reste de la station. Était-ce un autre symptôme lié à l’air empoisonné ?

Morgan n’avait pas lâché son arme. « Comment comptez-vous vous en tirer à présent ? » demanda-t-il en hochant la tête.

Un homme sec qui n’avait plus toutes ses dents prit la parole. « Ils n’ont pas d’armes. On leur passera dessus comme on vous passera dessus. » Il sourit, laissant apparaître le trait qui le caractérisait si bien.

« Vous ne pouvez pas quitter cette station sans elle. » intervins-je, désignant Wyrick. Sans ses codes, aucun d’entre nous n’irait nul part.

« Vous avez raison. » dit Wyrick, et Morgan et moi la regardâmes alors. Elle ne s’adressait pas aux prisonniers. Elle s’adressait à nous. « Aucun de vous. »

Elle pris une profonde respiration et mis ses bras, comme si elle se tenait accoudée à une sorte de trône, puis se tourna vers les prisonniers. « Que ça vous plaise ou non, Je suis votre seul espoir. À vous tous. Ce qui veux dire que si l’on reste ensemble, on s’y tient. Je vous suggère donc de mettre vos différends de côté. Sur-le-champ. »

Après quoi elle se tourna pour nous conduire dans le couloir. Peut-être était-ce à cause de l’atmosphère, mais nous la suivîmes comme si elle était Moïse marchant au milieu de la mer Rouge. Et que je sois damné si les patients ne s’était pas écartés pas devant nous sans rechigner.

À suivre…

Traduit de l’anglais par Nathaniel Flint. Relecture et corrections par Hotaru
Source : https://robertsspaceindustries.com/comm-link/spectrum-dispatch/14068-Orbital-Supermax-Episode-Six
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